- Écrit par Françoise Verna
- mercredi 4 décembre 2019 09:30
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Le maintien de l’ordre est éclaboussé par plusieurs scandales, et dans ces affaires le gouvernement a une lourde responsabilité.
À Marseille, une octogénaire, Zineb Redouane, est morte après avoir reçu un tir de grenade lacrymogène, effectué par un CRS, alors qu’elle fermait ses volets, le 1er décembre 2018. Une instruction est ouverte à Lyon, la famille ayant obtenu le dépaysement du dossier. Si la dérive du maintien de l’ordre avec son lot de bavures, ne date pas du mouvement des Gilets jaunes, il a pris une particulière acuité depuis novembre 2018. Comme si la seule réponse à la soif d’égalité et de démocratie était la répression et de décourager les manifestants. Les policiers à qui le gouvernement ordonne de faire le sale boulot ne sont pas non plus épargnés.
Scandale sanitaire ?
Il ne s’agit pas ici de faire peur mais d’exposer des faits à l’aune, notamment, du travail minutieux du biologiste Alexander Samuel sur la nocivité des gaz lacrymogènes.
Les armes utilisées à grande échelle ont provoqué à ce jour 2 448 blessés parmi les manifestants et 561 signalements ont été déposés à l’IGPN, selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur. Au 21 novembre 2019, l’État a recensé un total de 9 071 tirs de LBD, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées et 5 420 tirs de grenades de désencerclement
Selon le décompte du journaliste David Dufresne, 25 personnes ont été éborgnées et cinq mains arrachées. C’est à ce jour le plus gros scandale du maintien de l’ordre. Un autre est en train de poindre et pourrait devenir un véritable scandale sanitaire.
« Les lacrymos causent des intoxications au cyanure » Alexander Samuel, docteur en biologie
- Écrit par Sylvain Fournier
- mercredi 4 décembre 2019 09:11
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Les forces de l’ordre avancent dans un nuage de lacrymos après avoir lancé des grenades, le 17 novembre, aux abords de la Plaine (Marseille) , pour empêcher la tête de cortège des Gilets jaunes d’y prendre pied. Un usage massif qui n’épargne ni les manifestants pacifiques, ni habitants et passants ni policiers et gendarmes. PHOTO Sylvain Fournier
Docteur en biologie et enseignant, Alexander Samuel mène des recherches depuis plusieurs mois sur les effets du gaz lacrymogène : « Le gaz CS provoque des intoxications au cyanure qui est libéré dans le sang après inhalation ». Il livre ici sa démarche et ses premières conclusions. Édifiant.
La Marseillaise : Pourquoi se pencher sur de supposés liens entre le gaz lacrymos et cyanure ?
Alexander Samuel : Des Gilets jaunes m’ont montré des résultats d’analyses au cyanure, enfin, un dérivé du cyanure, le thiocyanate, qui reste deux semaines dans le sang, le cyanure reste quelques minutes, au maximum une heure. Ils étaient convaincus que cela venait des lacrymos. Je suis spécialiste fake news de l’Académie de Nice, et leur ai dit que c’était une fake news. Et en tant que biologiste, j’ai voulu démontrer que c’était bidon… Même s’ils m’ont décrit des symptômes qui n’étaient pas simplement dus aux grenades lacrymogènes, mais pouvant être reliés au cyanure, comme tomber dans les pommes, etc. Cela pouvait aussi être dû à tout et n’importe quoi. J’ai, dans un premier temps, regardé rapidement la littérature scientifique.
Et qu’avez-vous constaté ?
A.S. : J’ai été étonné. Depuis les années cinquante, les études montrent que ce gaz libère du cyanure dans le sang, par métabolisme. Il n’y a pas du cyanure caché, dans la grenade, c’est une grosse molécule qui contient des groupements de cyanure, et ces groupements quand ils sont libérés, sont dangereux.
Donc, le cyanure est bien présent dans le gaz lacrymogène ? Comment est-il libéré ?
A.S. : À la base, il se situe dans la molécule entière : l’ortho-chlorobenzylidène malonitrile, le gaz CS, pour faire simple. Dès qu’il rentre en contact avec des fluides, comme le sang, ses composés sont découpés et le cyanure est libéré. Il est aussi libéré par dispersion thermique, quand on le chauffe. Une étude récente, de 2013, a démontré que c’était libéré dès 100 degrés. Et, plus il fait chaud, plus la molécule est dégradée, et plus il y a de cyanure libéré.
Les effets des gazeuses et des grenades sont identiques ?
A.S. : Pour les grenades, il y en a probablement dans l’air puisque ce sont des palais qui sont chauffés – dispersion thermique. Pour les sprays, il n’y en a probablement pas dans l’air. Mais dans les deux cas, la molécule passe par les surfaces poreuses, la peau, va être inhalée, et va être transformée en cyanure dans le corps, par le métabolisme.
Quelles sont les méthodes utilisées pour démontrer la présence de cyanure ?
A.S. : Au départ, nous savons qu’il y a du cyanure. Reste une inconnue : quelle est la dose, est-elle dangereuse ? Une petite dose de cyanure correspond à une bouffée de cigarette, ce n’est effectivement pas très grave. Le seul indice que nous avions c’était cette analyse d’un dérivé de cyanure qui nous disait que la dose était 2 à 3 fois au-dessus de la normale. Nous avons demandé aux gens exposés au gaz lacrymogène de faire des analyses de thiocyanate… Et nous avons eu droit à une levée de boucliers et des critiques très violentes.
Vous avez eu combien d’analyses ?
A.S. : Moi-même j’en ai une vingtaine, et le médecin avec qui je travaille affirme que nous en avons une cinquantaine. Au début, nous avons eu un mal fou à récupérer les résultats… On a dû insister lourdement pour avoir les cinq premiers… Puis la procédure a été critiquée, car le thiocyanate n’était pas un bon marqueur : il reste longtemps dans le corps, et l’ingestion de fumée de cigarettes, de pépins, de manioc ou d’amandes peut influer sur le résultat. Nous ne pouvions en conclure que cela provenait du gaz lacrymogène. Le seul moyen de vérifier qu’il y avait un taux élevé de cyanure juste après l’exposition au gaz lacrymogène, c’était de mesurer le cyanure immédiatement après.
Comment avez-vous fait ?
A.S. : J’ai contacté une entreprise, une start-up suisse, qui fabrique, depuis 2018, un kit novateur permettant de mesurer directement le taux de cyanure dans le sang, un peu comme un alcootest. La différence avec un alcotest c’est qu’il faut du sang. J’ai demandé au médecin s’il pouvait mettre en place un cadre correct, une procédure, pour faire une prise de sang dans l’heure qui suit un gazage. Et donc, trois médecins m’ont aidé. L’objectif était de permettre au patient de vérifier si les vertiges ou la perte de connaissance venait d’une crise d’épilepsie comme l’estimaient les toxicologues ou pouvaient être dus à une intoxication au cyanure, comme je le soupçonnais. C’était dans l’intérêt du patient, tout a été fait avec des consentements signés. Malgré cela, le parquet de Paris a ouvert une enquête – toujours en cours, pour « mise en danger de la vie d’autrui et violence aggravée », concernant les prises de sang… L’ensemble des médecins et moi-même avons été interrogés en juillet.
Puis vous avez été arrêté et votre matériel saisi…
A.S. : Après avoir fait publier les premiers résultats – dans l’Obs et l’Huma – début août, j’ai été mis en garde à vue parce que j’aurais « lancé une trottinette et dégradé un véhicule » lors d’une manif. L’affaire a été classée sans suite. J’ai eu une deuxième garde à vue, un mois plus tard, en octobre. J’avais un rendez-vous à Nice, des militants faisant une action à la Société Générale, à proximité de mon point de rendez-vous, j’ai été contrôlé et embarqué avec 48 heures de garde à vue et perquisition à mon domicile. Les policiers y ont saisi un tee-shirt de medic, un sac à dos… et, ce qui m’a le plus choqué : des livres, concernant les travaux que je fais sur les gaz, et l’ensemble de mon matériel informatique a été saisi, ils ont aussi consulté devant moi mes mails… J’ai été libéré avec un classement sans suite. Un des livres, rare, a été détruit, le matériel m’a été restitué…
Quel est le niveau d’intoxication des manifestants, policiers, habitants ?
A.S. : Il y a déjà les effets directs des lacrymos. Avec de gros problèmes pulmonaires, qui ont fait l’objet d’études, lors de l’entraînement des soldats américains, notamment. Une autre étude, turque, a démontré que les habitants des quartiers exposés avaient aussi de gros problèmes pulmonaires. Pour le cyanure, lorsque la dose est très légère, il est transformé en thiocyanate doucement, et il ne se passe quasiment rien. À côté de ça, on peut avoir des effetsaigus lorsque la concentration arrive entre 0,25 et 0,5 mg / litre de sang. La dose mortelle est difficile à définir, elle tient à une accumulation, mais entre 50 et 100 mg, on est sûr de mourir. Ce que j’ai mesuré, c’est : 0,7 mg par litre de sang, on atteint « l’effet aigu » qui peut occasionner perte de mémoire, perte de connaissance, vertiges, soit les effets d’hypoxie. Ces effets ont été vus, vécus et rapportés. Aujourd’hui l’interrogation porte sur les personnes qui y sont exposées fréquemment. C’est comme si on jouait au jeu du foulard avec les manifestants, toutes les semaines. Avec des risques inhérents, sur les reins, le foie…
Que comptez-vous vous faire pour faire connaître vos résultats…
A.S. : Nous n’avions pas envisagé de les médiatiser à outrance. Nous voulions alerter les autorités de Santé. La Haute autorité de santé, nous a renvoyés vers d’autres organismes. Et pour l’instant ils se renvoient la balle… Je n’arrive pas à imaginer que les autorités de Santé, ne soient pas déjà alertées. Les études sont publiques et publiées. Je suis étonné que peu de toxicologues français agissent… Pour pouvoir alerter davantage, je suis entré en relation avec André Picot, de l’association de Toxicologie-chimie de Paris, il a accepté d’être coauteur d’un dossier et de le publier au nom de l’ATC. Avec plus de 500 références scientifiques.
Entretien réalisé par Sylvain Fournier