Les habitants de Plaza Dignidad accusent les tribunaux de ne pas les protéger contre l’utilisation aveugle de gaz lacrymogènes

D. Ortiz / J. Riffo / F. Velásquez le 10/01/2021

https://interferencia.cl/sites/default/files/styles/article/public/unnamed.png?itok=a41Chasf&c=8108ec73ce751315a29763450d0b7783

Les habitants des quartiers de Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes ont déposé des recours en protection devant la Cour d’Appel de Santiago contre les tirs de gaz toxiques en quantité abusive dans leurs secteurs. Ces recours ont tous été rejeté par la justice.

Le 29 décembre 2019, un groupe de voisins appartenant à ce qu’on appelle « l’Axe de la Dignité » – qui comprend les quartiers de Parque Forestal, Lastarria, Bellas Artes et les secteurs entourant la zone qui concentre les manifestations depuis la révolte sociale – a déposé un recours en protection contre les Carabineros du Chili et le ministère de l’Intérieur pour sauvegarder les garanties constitutionnelles.

Dans le texte, les plaignants ont indiqué qu’ils étaient « tous des résidents du quartier de Lastarria, Bellas Artes et Parque Forestal de Santiago, un quartier qui, au fil des ans, bien qu’il soit devenu l’un des principaux centres touristiques, gastronomiques et culturels de la ville, conserve encore une importante composante résidentielle, abritant une importante communauté de résidents qui ces jours-ci et après la révolte sociale que connaît notre pays depuis le 18 octobre dernier, a été particulièrement touchée dans sa vie quotidienne en raison de l’utilisation aveugle par les forces de l’ordre, de gaz lacrymogènes, de gaz poivré et d’autres substances qui ont gravement porté atteinte à notre intégrité physique et mentale, ainsi qu’à celle de nos enfants, de nos familles et de nos animaux domestiques ».

L’appel a été accepté mais finalement débouté en mars 2020 par la Septième Chambre de la Cour d’Appel de Santiago, rejetant les arguments des voisins et constatant que « l’occurrence de quelques faits concrets et spécifiques qui équivaut à une affectation des garanties constitutionnelles des appelants n’est pas démontrée, car il n’a pas été suffisamment justifié que, lors des manifestations, il y ait eu un comportement qui, directement, individuellement et spécifiquement, pourrait signifier une atteinte, dans le degré de privation, de perturbation ou de menace, à leurs droits, à l’intégrité physique ou psychologique, à l’inviolabilité du domicile et au droit de vivre dans un environnement exempt de toute contamination ».

La fin de non-recevoir des tribunaux à la demande des habitants de réduire et de contrôler l’utilisation des gaz toxiques dans le secteur n’est pas nouveau. Selon eux, ce recours était l’un des rares à avoir été traité par les tribunaux, d’autres n’ayant même pas été acceptés.

« Nous faisons ici appel à une garantie constitutionnelle de vivre dans un environnement exempt de pollution. Légalement, l’émission systématique d’un produit chimique dans l’environnement nécessite une étude d’impact environnemental, basée sur les éléments connus qui constituent ce type de bombe lacrymogène. Ce que nous soutenons, c’est que le problème était l’utilisation du gaz sans discernement et hors protocole », a déclaré Angello Retamal à Interferencia, l’un des voisins qui a participé à l’action en justice.

En effet, comme notre média l’a rapporté il y a quelques semaines, la récurrence de l’utilisation de cette arme chimique dissuasive dans cet endroit a également fait l’objet d’enquêtes internationales.

Le 20 décembre dernier, Interferencia a révélé une étude menée par l’agence de recherche Forensic Architecture, basée à Londres. Une équipe multidisciplinaire de 12 experts a mesuré la concentration de gaz CS – l’agent irritant des gaz lacrymogènes – sur la Plaza Dignidad lors de manifestations qui ont eu lieu le 20 décembre 2019. En une minute donnée, les concentrations sur le site ont dépassé 135 fois la limite fixée par les Carabineros pour l’utilisation du gaz dans leur « Manuel d’Opérations pour le Contrôle de l’Ordre Public ». De plus, le niveau enregistré de la substance chimique irritante dépassait 27 fois le niveau que les instituts de santé américains qualifient « d’immédiatement dangereux pour la vie et la santé » (Immediately Dangerous to Life and Health).

(https://www.gazlacrymo.fr/2020/12/21/lacrymogenes-lancees-sur-la-plaza-dignidad-une-enquete-anglaise-a-enregistre-des-concentrations-135-fois-superieures-a-la-limite-etablie-par-les-carabineros-du-chili/ )

Parmi les effets nocifs du gaz CS, il a été mis en évidence la production de cyanure dans l’organisme, ce qui représente « un facteur de risque majeur pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux et le système gastro-intestinal » selon une recherche scientifique française menée par le docteur en biologie moléculaire, Alexander Samuel, et le président de l’Association française de toxicologie chimique, le Dr André Picot (https://www.gazlacrymo.fr/2020/09/18/daniel-soto-au-chili/).

En outre, de nombreuses études internationales ont montré que le gaz CS, lorsqu’il est utilisé par des canons à eau – et donc mélangé à de l’eau – produit des brûlures sur la peau. Des recherches militaires et civiles menées en Australie, aux États-Unis, en Uruguay, au Japon et en France, entre autres, concluent que l’irritant chimique est capable de provoquer des brûlures plus ou moins graves sur le corps humain. (https://interferencia.cl/articulos/evidencia-cientifica-global-muestra-que-gas-cs-usado-por-guanaco-causa-quemaduras-en-la).

Irací Hassler, conseillère municipale (PC) de Santiago, habitante du secteur touché et actuelle candidate à la mairie, a déclaré à ce journal numérique que « des gaz toxiques entrent dans nos appartements même les jours où il y a très peu de gens qui manifestent. Au lieu d’un dialogue ou d’une forme de dissuasion, le cas échéant, ils affectent l’ensemble du quartier, sans aucune proportionnalité. C’est ce que nous avons essayé de rendre visible, sans une réponse favorable des autorités et malheureusement sans un bon accueil de la part de la justice ».

Hassler a ajouté qu’« il y a un mal-être chez de nombreux habitants, certains ont même migré hors du quartier. Il existe une incertitude permanente quant au moment où les forces spéciales arriveront pour réprimer d’une manière qui ne nous permet pas de vivre normalement notre quotidien. Quand nous allons marcher et que soudain il y a un énorme déploiement de bombes lacrymogènes ou de canons à eau, cela provoque un stress qui affecte la santé mentale des habitants du quartier, cela en raison de l’état de belligérance constant. Et nous sommes également attentifs aux conséquences que l’exposition à ces gaz peut avoir sur la santé des membres de notre communauté ».

Entre les gaz lacrymogènes

Récemment, le groupe de voisins « El Barrio Que Queremos » qui réunit le secteur du Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes, a mené une enquête auprès de la communauté afin de connaître la situation sanitaire et environnementale de ses membres, entre Novembre et Décembre 2020.

En considérant des éléments tels que l’état de la flore et de la faune du quartier, la situation en matière de santé physique, la situation en matière de santé mentale, le sentiment de sécurité et les informations personnelles pour les statistiques, les résultats ont montré une nette tendance à imputer l’utilisation de gaz toxiques par les Carabineros aux changements de la flore et de la faune du secteur et à la santé physique et mentale des habitants.

Elena Stephen, présidente de « El Barrio Que Queremos », a déclaré à Interferencia que « les gens ont commenté que les plantes étaient en train de mourir. Quatre animaux de compagnie sont morts, parce qu’ils ont été emmenés au Parque Forestal et ont été intoxiqués par les résidus de poudre lacrymogène. Nous avons eu des diagnostics médicaux d’intoxication au gaz, nous avons dû prendre des médicaments pour nous soulager. Les voisins âgés ont choisi de laisser leur maison à leurs proches tous les vendredis afin de ne pas être là lorsque la répression des Carabineros commence. Il en va de même pour les enfants, de plus en plus de parents décident de quitter le quartier pour protéger leurs enfants qui, depuis Septembre, doivent être enfermés chaque vendredi.

Pour sa part, Hector Juan Vergara, président du conseil de quartier 1 de Santiago Parque Forestal, qui s’étend de la Plaza Dignidad à la colline de Santa Lucia, entre Alameda et le fleuve Mapocho, nous a dit que « c’est un gros problème pour nous. Les pathologies déclenchées par le gaz lacrymogène sont des problèmes respiratoires et même des problèmes gastriques. Compte tenu de l’âge avancé de nos voisins, la grande quantité de gaz que nous devons supporter les place en danger, voir un danger vital. Nous avons de nombreux voisins qui souffrent de maladies sous-jacentes, ce qui rend ce scénario plus complexe ».

Vergara ajoute que « nous avons envoyé des lettres et tenu des réunions avec des conseillers municipaux, des maires entres autres, pour leur faire comprendre à quel point nous voyons de manière négative les actions des Carabineros et nous n’avons eu aucune réponse. Les actions de la police sont disproportionnées par rapport au nombre de personnes qui manifestent, même lorsqu’il y a moins de manifestants, la répression est maintenue et s’est même accrue dernièrement ».

                                                Photo : https://www.nomaslacrimogenas.com

F. J. Newman, analyste canadien de renseignements criminels : « Les Carabineros sont une force de police incontrôlée et leur destin est de disparaître ».

par Roberto Bruna12 février, 2021   

Voici le diagnostic d’un professionnel chilien, membre de l’une des plus prestigieuses forces de police du monde, qui rend compte des lacunes des Carabineros. Ce citoyen chilieno-canadien fournit aussi une série de recommandations pour créer une nouvelle force de police, probante, efficace, compétente et respectée par les citoyens.

La fin du système de double rang hiérarchique, la création d’un conseil d’administration de la police indépendant qui intègre les organisations sociales et la création d’une unité de relations communautaires semblent être trois actions indispensables dans cette entreprise.

Reforma a Carabineros de Chile

Il a été curieux de voir les officiers des Carabineros distribuer des bâtons à la volée lors des manifestations qui ont accompagné la révolte sociale. L’obsession des bombes lacrymogènes et un penchant malsain à tabasser des personnes non armées lui ont montré que la police chilienne en uniforme avait peu changé depuis les années 1970, lorsqu’il a quitté le pays, étant jeune. « Il s’est avéré qu’il s’agissait essentiellement de la même police de la dictature, et c’est grave », dit-il. « Saviez-vous que dans la ville où je travaillais, l’une des plus grandes d’Amérique du Nord, une seule fois une bombe lacrymogène a été utilisée ? Juste une fois. Et ce n’est arrivé qu’une fois, et la police a averti par mégaphone avant de tirer », dit-il.

Cette curiosité initiale s’est transformée en surprise lorsqu’il a appris l’utilisation aveugle des armes anti-émeutes, dont l’usage est strictement interdit dans les manifestations de rue dans le pays où il est devenu policier. La surprise se transforme en horreur lorsqu’il apprend les cas de Fabiola Campillay et de Gustavo Gatica (rendus aveugles par les tirs de la police NDT) ou le cas d’un jeune homme écrasé par deux véhicules policiers.

Sans parler des coups atroces qui ont laissé un jeune homme de Maipú dans un état quasi végétatif. Tout l’étonnement qui l’a accompagné s’est transformé en indignation totale lorsqu’il a vu un officier des forces spéciales jeter d’un pont un adolescent dans la rivière Mapocho, plusieurs mètres plus bas.

INDH valoró como
Gustavo Gatica
Fabiola Campillay

Les choses ont empiré lorsqu’il a vu à la télévision comment deux policiers et un garde municipal se sont causé des blessures plus ou moins graves par leurs propres tirs croisés, tout cela au milieu d’une procédure visant à arrêter un « motochorro » à Providencia (digne d’un film comique selon lui…). Puis il a commencé à ressentir un étrange sentiment de tristesse. Et la pertinence de l’adjectif « étrange » est due au fait que, bien que le tableau invite à l’amertume et à l’inquiétude, à la longue, il a eu envie de rire, ce qui est plus ou moins ce que nous ressentons chaque fois que nous assistons à un spectacle pathétique, hilarant, extrêmement ridicule, « comme cette conférence de presse dans laquelle un général a dit que les troupes des forces spéciales utilisent du Mentholum pour lutter contre les effets des gaz lacrymogènes (alors qu’elles étaient soupçonnées de « sniffer » de la cocaïne :

« C’est incroyable le manque de modestie en ces temps de transparence qu’entraînent les réseaux sociaux. Des choses comme tirer sur des enfants dans une maison d’enfants est quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. J’étais stupéfait », dit l’analyste des renseignements de la police.

« Dans le contexte de la révolte sociale, nous avons vu des choses terribles, mais aussi beaucoup de choses déroutantes, très mystérieuses, des actes qui auraient dû être étudiés et clarifiés. Mais rien de tout cela ne se produit, car il est clair que personne ne contrôle les Carabineros. Au contraire, le gouvernement est tellement affaibli qu’il semble devoir son maintien au pouvoir aux Carabineros », déclare FJ. Newman, dont le CV fait état de plus de 20 ans d’expérience dans l’unité d’analyse des renseignements criminels de l’une des plus grandes forces de police du Canada.

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Le Président Piñera et le nouveau directeur de Carabineros Yañez.

La police chilienne en uniforme doit partir

Les événements récents l’ont convaincu : « La police chilienne en uniforme doit tout simplement disparaître parce qu’elle est déjà morte, et elle doit faire place à une autre police, avec un autre uniforme. Mais surtout, il faut que ses membres apprennent les valeurs démocratiques d’une société du XXIe siècle », dit-il.

    « Ce qui est urgent, c’est d’assumer que cette force de police est moralement en faillite aux yeux des citoyens, des citoyens qui la considèrent comme un ennemi et comme une partie du problème. Il est clair que les Carabineros sont perçus comme une institution qui fait partie du vieux Chili, le Chili dont ils ne veulent plus jamais entendre parler. Il n’y a pas de police efficace et performante lorsqu’elle est rejetée par le peuple. C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas d’autre option que de créer une nouvelle force de police dans les cinq ans », dit-il.

Et il ajoute : « Dans la première étape, les deux coexisteront. Il y aura une force de police émergente et une autre qui sera progressivement supprimée au fur et à mesure que la nouvelle force de police augmentera en taille. Cette force doit être formée de manière très différente, de manière plus professionnelle, avec une approche différente de ce que signifient la démocratie et la protestation sociale. Ce qui semble très rare dans un pays aussi autoritaire et oligarchique que le Chili.

El Soberano : C’est-à-dire qu’il faut leur apprendre ce que signifie vivre en démocratie. À partir de là…

– Exactement. Exactement, parce qu’il est clair qu’ils ne le comprennent pas, et c’est clair quand on voit les mauvais traitements infligés aux gens dans le cadre de la protestation sociale. Il suffit de se souvenir de ces images de Valparaíso où des officiers des Carabineros frappent des personnes qui descendent au plan pour exercer leur droit légitime de protester.

Nous devons leur faire comprendre qu’ils sont là pour protéger les citoyens même lorsqu’ils décident de descendre dans la rue pour protester. Au Canada, c’est comme ça : la police protège les manifestants, s’assure que personne ne les attaque, qu’ils ne les écrasent pas. Il faut apprendre aux nouveaux policiers que manifester n’est pas une mauvaise chose et que, au contraire, cela fait partie de la démocratie, et d’une démocratie saine en plus. Au Canada, nous préférons même qu’ils brûlent les voitures de police afin de pouvoir y canaliser leur énorme indignation. C’est mieux que de mettre le feu aux transports publics, n’est-ce pas ? C’est là que réside l’un des problèmes des Carabineros : leur entraînement militaire.

E.S. : L’armée est-elle en conflit avec le concept de démocratie ?

–           Bien sûr. C’est un problème grave parce que les militaires ont tendance à croire que les sociétés doivent fonctionner comme un régiment, et la société n’est pas un régiment: il y a des civils, des gens de différentes confessions, avec des visions du monde différentes, idéologiquement et culturellement différents, d’âges différents, avec des points de vue très différents, avec des goûts et des préoccupations divergents et souvent contradictoires ; certains sont supporteurs de Colo Coloet d’autres de la Chile (Clubs de footbal rivaux – NDT) … Carabineros est, en ce sens, une force de police archaïque et problématique dans une société qui se dit démocratique et libérale. À moins, bien sûr, que nous ne déclarions être une dictature ou une ploutocratie. Dans ce cas, oui ; les Carabineros sont l’institution appropriée pour maintenir un ordre dictatorial.

E. S. : En Espagne, ce que vous me dites s’est produit : avec le retour à la démocratie, après la mort de Francisco Franco, la Garde civile, police militaire très semblable aux Carabineros, a dû céder son espace dans les grandes villes à une nouvelle Police nationale et à d’autres forces de police autonomes au Pays basque et en Catalogne. Aujourd’hui, le rôle de la Guardia Civil se limite aux bâtiments publics, aux autoroutes et aux petites villes…

– Ce pourrait être une formule à envisager. Mais il y a un problème supplémentaire : tous les éléments formés dans les Carabineros ne pourront pas être recyclés dans une nouvelle force de police, et la raison en est qu’ils sont formés dans une culture d’abus et d’impunité. Certains, une minorité des 60 000 officiers de l’institution, pourront faire partie du nouveau corps, mais ils seront très peu nombreux. Ce qui se passe, c’est qu’il y a beaucoup de dommages accumulés. D’autre part, la police d’investigation (PDI) a effectué cette transformation à temps, au début des années 1990, et a pu se sauver elle-même. On remarque que ses éléments sont mieux formés et préparés, même s’ils devraient encore faire partie de la réforme car nous devons insister sur le respect de la civilité et des droits de l’homme. Cependant, le cas des Carabineros est encore plus grave. En ce sens, il serait bon d’uniformiser les processus de formation et d’éducation de la police entre le PDI et le nouveau corps.

E. S. : La marque des Carabineros a-t-elle été à ce point dévaluée ?

– Totalement. Beaucoup de gens disent que les Carabineros sont une force de police corrompue, abusive, cruelle, non professionnelle, inefficace, incompétente et tout le reste. Je préfère dire que les Carabineros sont une police amateur, qu’elle est complètement hors de contrôle et que son inexorable destin n’est autre que de disparaître pour le bien de la démocratie et de la République. En ce qui concerne le cas spécifique du jeune jongleur de Panguipulli,

je peux seulement dire qu’il s’agit d’une affaire importante et que pas beaucoup de policiers canadiens hautement professionnels pourraient partager l’idée de légitime défense, soutenue par l’avocat du policier. Mais, indépendamment du cas spécifique, il est évident qu’une partie importante de la population – la majorité, je dirais – en a assez des Carabineros, de leurs abus et de leur impunité, et à ce titre, ils sont a priori contre la police dès qu’ils apprennent un événement aussi controversé et regrettable que celui-ci. Cet acte immédiat de condamnation est un symptôme de cette rupture, et cette rupture est définitive. Bien sûr, des efforts devront être faits pour sauver les agents qui travaillent dans des groupes hautement spécialisés, comme le GOPE, par exemple, dont la formation est coûteuse et complexe. Nous arrivons ici à un autre élément qui affecte l’efficacité de la police chilienne en uniforme, et c’est quelque chose d’aussi simple que son double rang hiérarchique. C’est incroyable qu’une telle chose existe dans le monde d’aujourd’hui.

Les effets du double classement

E. S. : Ce qui se passe également dans l’Armée…

–           C’est de la folie. C’est inconcevable à notre époque. La première chose est que cette odieuse division entre officiers et sous-officiers va à l’encontre du principe méritocratique que les politiciens et les hommes d’affaires chiliens affectionnent tant. Mais deuxièmement, et c’est le plus important, ce système pervers réserve les postes de direction à ceux qui ont les moyens de payer, qui sont ceux qui seront formés à l’école des officiers des Carabineros. Au fond, et d’un point de vue de classe, nous disons à la société dans son ensemble que ceux qui dirigent l’institution sont ceux dont les parents ont de l’argent et des contacts. Et que se passe-t-il alors ? Eh bien, l’institution reproduit le regard oligarchique de ceux qui la dirigent, et ce regard imprègne toute la base.

La police devient une garde prétorienne de ceux qui sont nés avec le privilège du berceau. Si les Carabineros sont maladroits et incompétents, c’est parce qu’ils ne sont pas dirigés par ceux qui ont de meilleures idées ou qui sont mieux formés. C’est pourquoi, en Amérique du Nord, il n’existe pas de double échelon hiérarchique. Il faut que cela cesse maintenant parce que c’est nocif.

E. S. : Les secteurs les plus conservateurs défendront ce double système de hiérarchie au sein de la Convention constituante.

–           Je suis sûr qu’ils le feront, mais c’est compréhensible au vu de la défense naturelle du privilège. Il est important de préciser que cette incompétence, ces abus, cette vision classiste des Carabineros, n’est pas une coïncidence, mais est le produit d’une conception délibérée des élites pour créer une force de police qui, en fait, est orientée pour se protéger en ordonnant le territoire. Les hommes politiques au pouvoir et les hommes d’affaires ont une police pour eux et seulement pour eux.

E. S. : Comment cela ?

– Bien sûr. Que dit la devise des Carabineros ? « Ordre et patrie ». Bien sûr, l’ordre est compris comme le contrôle de l’espace public face à ces Chiliens qui sont moins chiliens que ceux qui font partie des secteurs les plus riches du Chili. Il ordonne le territoire en disant à l’enfant à l’air pauvre qu’il ne doit pas se promener dans Las Condes et Vitacura (quartiers riches de Santiago). Il ordonne le territoire en refusant la circulation de ceux qui protestent, manifestent et exigent une action de l’État. Souvent, la police détermine quels crimes sont commis et lesquels ne le sont pas, ceux sur lesquels elle ferme les yeux et ceux qu’elle ne commet pas.

Il est incroyable de voir combien de membres des Carabineros ont le sentiment de faire partie des privilégiés simplement parce qu’ils agissent pour protéger les privilégiés. Beaucoup doivent se sentir importants dans leur démonstration de pouvoir. Il y a une question de reconnaissance dans tout cela.

E. S. : Cela explique-t-il pourquoi un carabinero jetterait un manifestant d’un pont ? (référence à un politique d’extrême droite qui disait qu’un jeune des quartiers pauvres n’avait pas à manifester au centre de Santiago – NDT)

– Je suis très frappé par la défense de ce policier, qu’il se soit embrouillé, qu’il soit devenu nerveux et tout ça. Un policier anti-émeute ne peut pas déraper dans des tâches visant à contrôler le désordre de la rue ! C’est pour ça qu’ils sont formés ! Pourquoi sont-ils allés à l’académie de police alors ! Ainsi, en étant moins naïf, on en arrive inévitablement à la conclusion que l’accent n’est pas mis sur la pacification ou le rétablissement de l’ordre, mais sur la discipline et la punition. Les Carabineros ne sont là que pour punir les pauvres et protéger les riches et les politiciens. Rien d’autre. Je regarde les infos et je vois les forces spéciales qui tirent des gaz lacrymogènes et des jets d’eau… Et ils n’en tirent aucun résultats ! Tout cela est inutile ! Pour couronner le tout, je vois des rapports sur l’utilisation d’agent chimique dans l’eau des guanacos (canons à eau). Il est évident qu’il y a quelque chose de très mal dans cette institution. Un changement de gouvernance et de direction semble donc essentiel.

E. S. : Qui devrait contrôler les Carabineros ?

– Les Carabineros ne peuvent pas être sous le contrôle du ministère de l’intérieur, car la tentation de la gestion politique de ses cadres est très grande. La nouvelle police ne peut être placée sous le contrôle d’un ministère, mais d’un conseil composé de citoyens et d’organisations sociales, ainsi que de représentants politiques et autres. Au Canada, c’est comme ça. Les citoyens et les organisations ont une voix et un vote au sein de ce conseil. Ce conseil est une entité indépendante. Je ne sais pas si cette indépendance est commode ou non, mais je peux vous assurer que l’indépendance de la police doit être totale par rapport aux autorités et au cycle politique. Total.

E. S. : En Amérique du Nord, la police dépend des municipalités.

–           Bien sûr, et le président du conseil est généralement le commissaire du maire, la personne que le maire délègue pour représenter le conseil. Le commissaire est presque toujours un ancien officier de police avec une énorme connaissance territoriale et opérationnelle, très professionnel, un expert avec une connaissance du sujet et de tout ce qui est lié à la ville. Ainsi, comme il possède d’énormes connaissances techniques, il est généralement la figure qui dirige le conseil. Mais il existe des exceptions à la règle, ce qui montre que ce ne sont pas toujours d’anciens policiers qui président ces conseils. Il dépend de la qualité du projet qu’il présente, qui peut être d’une durée de trois, cinq ou dix ans, et ce mandat peut être prolongé ou révoqué en fonction des résultats.

E. S. : Et la gestion de l’argent ? Dans les Carabineros, il y a des officiers qui ont ramené chez eux plus de 28 milliards de pesos (malversations pour plus de 40 Millions d’euros – NDT).

– Autre point essentiel : la nouvelle police ne doit avoir aucun pouvoir de décision ni d’ingérence dans la gestion financière de l’institution. Zéro. La police ne doit pas entrer en contact avec l’argent, mais doit présenter ses besoins matériels et logistiques pour remplir sa tâche efficacement, en justifiant par des chiffres toutes ses demandes et exigences, mais rien de plus. Et puis le conseil prendra une décision. Les chefs de police ne doivent pas manipuler les ressources financières de quelque nature que ce soit, ni même entrer dans cette discussion. C’est un gros risque. Autre chose : les fautes de la police doivent faire l’objet d’une enquête par un organe indépendant de la police et du conseil. De même, une force de police ne peut être efficace si elle consacre une grande partie de ses ressources à des guerres qu’elle n’a aucune chance de gagner.

E. S. : Vous voulez dire la guerre contre la drogue ? Nous avons dépensé une quantité infinie de ressources pour une stratégie prohibitionniste sans obtenir de résultats positifs.

– Il est prouvé que cette stratégie est un échec. J’ai bien étudié ce sujet, et je connaissais très bien la guerre contre la drogue que Richard Nixon a commencée en 1970 avec le Drug Prevention and Control Act et que (Ronald) Reagan a intensifiée aux États-Unis avec son Anti-Drug Abuse Act, qui a réussi à réduire le trafic mais avec un coût social énorme, car cela s’est fait au prix de la persécution des pauvres et de la criminalisation des personnes de couleur, ce qui est la façon que beaucoup ont trouvée pour les empêcher d’exercer leur droit de vote. Qu’est-ce que le Mexique a réalisé avec la guerre contre la drogue que Felipe Calderón a commencée ? Rien, sauf qu’il a réussi à renforcer les cartels et obtenir 300 000 morts environ. Peu à peu, au Canada, nous avons commencé à réaliser que le problème de la drogue est un problème de santé, et non un problème de police. La première chose que le Chili devrait faire est de légaliser la consommation et la vente de cannabis.

E. S. : La fameuse loi 20.000…

– C’est un non-sens. Il s’agit essentiellement d’une guerre contre les pauvres. Le contrôle d’identité est également un moyen de contrôler les personnes pauvres. Tout le reste n’est qu’un ramassis de conneries. C’est une action extrêmement inefficace et dangereuse car elle se prête aux abus. Le problème ne réside pas dans les utilisateurs ou les petits trafiquants, mais dans les mafias qui sont « en amont ». Le Chili devrait mettre en place un système comme celui que le Canada a créé en 1976, le Système automatisé de renseignements sur la criminalité (SARC), qui est une plateforme en ligne. Cette base de données est le National Intelligence Repository, qui doit être utilisé par tous les membres des services de renseignements criminels, pour coopérer à la collecte d’informations, à l’évaluation et à l’analyse des activités criminelles. Il n’y a rien de tout cela dans ce pays. Il suffit de regarder ce qui se passe en Araucania (Territoire Mapuche – NDT), où personne ne sait qui est derrière les incendies de camions et des biens agricoles.

E. S. : Mais ils disent que le contrôle d’identité est efficace pour arrêter les criminels qui recherchés par la justice…

– Encore un autre non-sens. L’objectif de chaque force de police dans le monde est la prévention de la criminalité. C’est-à-dire que le moins de crimes possible soient commis dans mon quartier, dans ma ville et dans mon pays dans son ensemble. L’accent ne doit pas être mis sur la recherche efficace de la responsabilité de ceux qui commettent des crimes, mais sur la prévention de leur survenance, et la première étape consiste à commencer à combler les écarts sociaux. Nous devons comprendre que l’inégalité est pernicieuse car elle corrompt les démocraties et menace la paix sociale, et dans ce cadre les sociétés ne peuvent pas se développer ou prospérer.

Sur cette question, nous avons un autre besoin impératif en tant que pays : la nouvelle force de police doit disposer d’une division des relations communautaires. Tout comme elle dispose d’une division antiterroriste et d’intervention spéciale comme le GOPE, d’une division anti-émeute, d’une préfecture d’aéropolice, etc.

E. S. : Et quel est le travail de cette division des relations communautaires au sein de la police canadienne ?

– Dans chaque commissariat, il y a cette unité composée de policiers qui sont en relation avec les citoyens, avec les organisations communautaires, avec les conseils de quartier, avec les voisins eux-mêmes, et qui écoutent leurs plaintes, leurs problèmes, leurs angoisses… Au Chili, les gens vont au commissariat et laissent un dossier ou une plainte et il ne se passe jamais rien. C’est juste une connerie de témoignage. Pas au Canada, car cette division a l’obligation de traiter cette énorme quantité de données pour guider son action préventive. Pour faire partie de cette division, il faut avoir des caractéristiques très particulières et être éduqué. Beaucoup ont fait des études de troisième cycle en anthropologie, sociologie, psychologie sociale, etc.

E. S. : Mais au Chili, il y a un problème : la dictature a rayé de la carte la dimension communautaire de la vie, au point que les conseils de quartier sont presque inexistants, ce qui empêcherait la création de ce lien entre la communauté et les forces de police qui contribuerait à prévenir la criminalité. En d’autres termes, il n’y a pas de tissu social.

– Mais attention, la nouvelle police peut contribuer à reconfigurer ce tissu social, et cela peut se produire tant que les citoyens remarquent qu’il s’agit d’une police différente, avec de nouveaux protocoles, avec un nouveau look qui est en accord avec l’idée d’une société diverse et complexe. Cela va bien au-delà d’un plan de quartier.

De temps en temps, F. J. Newman vérifie son téléphone pour obtenir des informations et des données pour étayer ses opinions. Dans la dernière partie de l’interview, il fixe l’appareil et dit : « Regardez ça », tout en montrant l’écran, où l’on peut lire le titre d’un média national rapportant le dernier joyau des Carabineros : deux policiers abandonnent un homme mourant juste à côté du service de médecine légale à Calama (Nord du Chili),. « On a toujours dit que les Carabineros ne pouvaient pas faire plus. Mais cette police va toujours un cran plus bas », conclut-il. 

 » El peligro del gas CS es subestimado »

La asociación Toxicologie-Chimie de París (ATC)(Toxicologia-Quimica de París) pública un informe sobre « el uso del gas lacrymogeno CS y sus efectos tóxicos a corto y largo plazo ». « L’Obs » entrevistó uno de sus autores, el profesor Alexander Samuel.

De L’Obs

Publicado el 02 de Julio 2020.

Despues de un año de trabajo, sus investigaciones, iniciadas durante la movilización de los chalecos amarillos franceses, están por fin reunidas en un informe de 126 páginas (PDF), publicado por la ATC (Association Toxicologie-Chimie de Paris).

Alexander Samuel estuve presente durante las protestas para dirigir las análisis de sangre y orina con la voluntad de demostrar la presencia de cianuro en los gases lacrymogenos y estudiar las consecuencias en la salud (ver video)

Si la pregunta de la nocividad de los gases lacrymogenos ya es un tema estudiado en varias parte del mundo, el interés de este informe reside en que suma diferentes estudios. Es aún más cierto ya que una parte de estos estudios no estaba accesible « porque reservada al sector militar » indica André Picot, présidente de ATC y coautor del informe.

Hace más de un año que Alexander Samuel empezó a interesarse a la presencia de cianuro en tasa anormalmente elevada en un organismo expuesto al gas CS.

En un principio, este profesor de matemática (cuenta además con un PhD de Biología Molecular) pensaba demostrar muy fácilmente, « en un par de minutos en Internet », que se trataba de un Fake News. « Pero me di cuenta que no. Claramente no hay cianuro en el gas lacrymogeno, pero sí, este se metaboliza en el cuerpo en dos moléculas de cianuro. Incluso con bajo dosis, el gas CS puede causar daños en la salud, en los ojos y el sistema nervioso central »

« Síntomas a largo plazo »

El informe (cuyas conclusiones han sido publicada en « l’Obs » en exclusivadad) entrega detalle sobre las patologías que pueden resultar del contacto con el gas CS : cataratas en los ojos pero también síntomas como dolor de cabeza, parálisis, malestar respiratorio. También se informa sobre daños a la tiroideos, molestias gastrointestinales (náuseas y vómitos, diarrea) y daños musculoesqueléticos (rigidez muscular), hepática…

Cómo lo cuenta en la video, Alexander Samuel también ha sido participante de un estudio realizada por los Chalecos Amarillos franceses con la meta de evaluar los síntomas a largo plazo del gas lacrymogeno.

« Encontramos mucha gente con malestar, mareos, etc. […] Estas personas tenían efectos persistentes en el sistema nervioso central o síntomas apareciendo a largo plazo. También encontramos síntomas poco conocidos. Por ejemplo, varias mujeres se han quejado de tener sangrado menstrual excesivo, abundante, después haber estado expuesto al gas CS. En este tema, todo está por descubrir. »

Peligroso incluso en zona abierta ?

El peligro de los gases lacrymogenos está subestimada, insiste el doctor en biología molecular, acusando el uso masivo de parte de la policía. El gas CS sigue siendo considerado como una arma química en el marco del derecho internacional y por ende prohibido en las guerras entre países.

 Si bien el peligro de este gas en lugar cerrado está claramente conocido (en 2014 en Egyptia, bombas lacrymogenos han sido lanzada en un camión transportando prisioneros causando la muerte de 37 de ellos), la baja concentración del gas en lugar abierto, como un plaza o calle, supuestamente no llevará peligrosidad.

« El problema es cuando se dispara muchos gases en pocos minutos. En este caso si se puede decir que hay un peligro » ,  contrasta Alexander Samuel.

Su deseo es que a raíz de su trabajo y de la publicación en ATC, las autoridades tomen en cuenta este estudio para desclasificar otros estudios, en particular las investigaciones sobre las consecuencias a largo plazo, de las cuales incluso los integrantes de las policías, carabineros etc… pueden ser las víctimas.

« Debería haber otras maneras de mantener el orden público » suele pensar Alexander.

Question au Gouvernement à l’Assemblée Nationale

Le député Sébastien Nadot a posé une question au Gouvernement, dont voici le texte.

« M. Sébastien Nadot alerte M. le ministre des solidarités et de la santé sur l’utilisation des gaz lacrymogènes dans le cadre du maintien de l’ordre public, compte tenu de la dangerosité démontrée pour la santé des gaz lacrymogènes. Le 11 janvier 2020, semaine 61 du mouvement des « gilets jaunes », des manifestants s’étaient donné rendez-vous dans le centre-ville de Toulouse. Après quelques heures de déambulation, certains se retrouvent place Saint-Georges. Les policiers qui les suivent jettent alors des grenades de gaz lacrymogène dans leur direction. À quelques mètres derrière les manifestants se trouve un espace de jeux avec des enfants. Très vite le gaz se propage sans épargner toboggans et tourniquets. Prise au dépourvu, une maman affolée avec un enfant en poussette quitte la zone à la hâte. Apeurée, une petite fille pleure, figée debout. Un policier se dirige alors vers elle pour l’évacuer de la place. En bon père de famille, il la prend dans ses bras, tente de la rassurer et l’éloigne rapidement des dernières fumées blanchâtres. Les exemples de « dommages collatéraux » dans l’usage de grenades lacrymogènes ces deux dernières années, dont certains de la plus grande gravité, sont légion en France. Il est impossible d’évaluer le nombre de personnes exposées à ces gaz, qu’il s’agisse des participants à un rassemblement illégal, de ceux qui exercent l’un de leur droit fondamental à manifester sans excès ou des « badauds » pris au piège des hasards d’un affrontement entre forces de l’ordre et manifestants, jusqu’à ces enfants innocents. Avec cinquante ans d’utilisation derrière lui, plusieurs drames récents qui lui sont directement liés et un stock d’images sur les réseaux sociaux de manifestants, parfois de badauds, piégés dans ses fumées blanchâtres, on pourrait imaginer qu’une documentation scientifique complète consacrée aux effets du gaz lacrymogène est accessible. Jusqu’ici rien n’était véritablement documenté en France sur le sujet. Aussi, le rapport intitulé « Le Gaz lacrymogène CS – effets toxiques ? » de Samuel Alexander et André Picot publié en juin 2020 par l’association toxicologie-chimie vient combler cet étonnant vide et pose des questions de santé publique majeures. Les effets biologiques à court et long termes sont nombreux. Au 21ème siècle, dans un pays comme la France, il lui demande si le simple fait que des enfants puissent être exposés à des gaz lacrymogènes à la toxicité démontrée n’est pas suffisant pour les interdire. »

Une réponse lui a été faite, et je me permets de la commenter avec des références :

« Corollaire de la liberté d’expression, le droit de manifester est une liberté garantie par la Constitution. Les forces de l’ordre concourent au libre exercice de ce droit en déployant des services d’ordre qui ont pour but d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Dans un Etat de droit, il est impératif que le recours à la contrainte et aux armes soit gradué et proportionné et s’exerce dans le respect du droit. C’est pour répondre à ces exigences que les forces de l’ordre disposent d’une législation et d’une gamme de techniques et de moyens pour préserver ou rétablir l’ordre public, assurer la sécurité des personnes et des biens ou faire face aux menaces auxquelles elles sont exposées. Le niveau d’exercice de la contrainte prend en compte les situations particulières et se traduit par la mise en œuvre de la force physique, l’emploi d’armes de force intermédiaire et, en dernier lieu, le recours à des armes à feu.« 

Je suis d’accord avec cette introduction dans les grandes lignes qui fixe le cadre de la réponse.

« Les armes de force intermédiaire permettent de faire face à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est souvent insuffisante mais qui nécessitent une riposte immédiate, notamment pour faire face à des groupes armés ou violents. Dans bien des situations, elles évitent le recours aux armes létales et abaissent le niveau de risque, tant pour l’intégrité physique des personnes ciblées que pour celle des tiers ou des forces de l’ordre.« 

Cette affirmation semble inexacte. En effet, Paul Rocher a montré, malgré le peu de transparence du ministère au sujet de l’introduction et l’augmentation de l’emploi des armes « de force intermédiaire », que celle-ci ne s’était jamais accompagnée d’une réduction de l’emploi d’armes à feu.

« Le code de la sécurité intérieure liste de manière exhaustive ces armements et définit les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés. Il en est ainsi, par exemple, des moyens lacrymogènes (diffuseur, grenade lacrymogène et fumigène, etc.). Leur emploi permet en particulier d’éviter, lors de mouvements de foule ou lorsque les forces de l’ordre sont prises à partie par des groupes violents, les risques inhérents à des contacts physiques directs ou l’usage d’autres moyens présentant plus de risques. Il permet la dispersion de foules et d’éviter l’enfoncement ou le contournement des dispositifs de sécurité. Il peut aussi viser à la neutralisation d’une personne menaçante ou dangereuse pour elle-même ou pour autrui. L’emploi de moyens lacrymogènes relève du cadre légal d’emploi de la force.« 

Il manque des éléments pour étayer ces affirmations, qui sont cependant contredites par bien des études

« La solution pour une meilleure sécurité et des interventions policières responsables dans des situations potentiellement dangereuses ne devraient pas être recherchées du seul côté de la technologie, mais surtout en améliorant les compétences tactiques et techniques des policiers » par Adang Otto

L’emploi de ces armes se fait majoritairement dans des situations où il n’y a pas de violences ou de menaces pour la sécurité publique imminente comme l’indique Rohini Haar.

L’emploi du spray OC aux Etats-Unis, aux effets directs très similaires au CS, a par exemple été corrélé à une augmentation des blessures sur policiers comparée à des situations similaires où l’ordre a été rétabli sans leur emploi.

De plus, ces armes causent des dégâts sur la santé des officiers de police, lorsque des rapports sont faits, contrairement à ce que fait la France selon un rapport rendu à la Commission Européenne en 1998, dénonçant tout simplement l’absence de rapports sur l’usage des gaz lacrymogènes.

« A ce titre, il n’est possible que lorsque les conditions requises par la loi l’autorisent et répond aux critères de nécessité, de proportionnalité et de gradation. L’emploi de certains moyens lacrymogènes répond en outre à des règles supplémentaires spécifiques particulièrement strictes (emploi uniquement sur ordre hiérarchique, nécessité de disposer d’une habilitation individuelle obtenue après une formation et avec le suivi d’une formation continue, etc.). L’usage des grenades de ce type n’intervient qu’après un ordre de dispersion et trois sommations qui annoncent l’usage de la force (sauf en cas de violences ou de voies de fait exercées contre les forces de l’ordre). Si une exposition résiduelle au produit lacrymogène peut être subie par des manifestants qui quittent la zone où elles sont lancées, ceux qui se maintiennent délibérément sur place sont auteurs, a minima, du délit prévu à l’article 431-4 du code pénal. Aussi, si l’effet d’une grenade lacrymogène peut toucher de manière indifférenciée un groupe de manifestants, ceux-ci ont pour point commun d’avoir voulu s’inscrire et se maintenir dans l’illégalité. »

Pourtant les témoignages de personnes n’ayant jamais entendu la moindre sommation avant d’être exposés sont nombreux (et vous pouvez prendre le mien en personne : cela m’est arrivé à 4 reprises l’an dernier, dont une Place d’Italie documentée en détail par des vidéos en direct où il est aisé de constater que j’ai été exposé sans jamais avoir entendu la moindre sommation, tout en étant nassé et en n’ayant aucune possibilité de me disperser). De même, les nasses empêchent toute dispersion et sont donc en contradiction avec l’ordre donné. Il faudrait donc faire évoluer le cadre d’usage de ces grenades en les interdisant a minima en cas de nasse, et en améliorant les ordres de dispersion.

« S’agissant des produits eux-mêmes, communément appelés « gaz lacrymogènes », ils ne sont en fait ni gaz, ni agents incapacitants. En ce qui concerne leur éventuelle toxicité, parmi les policiers chargés du maintien de l’ordre, qui sont régulièrement soumis à une exposition à des produits lacrymogènes, la médecine de prévention du ministère n’a eu à connaître d’aucune remontée significative qui pourrait évoquer un lien direct entre, d’une part, l’exposition au CS (produit de synthèse chimique – ortho-chlorobenzylidène malononitrile – de faible toxicité, qui constitue la molécule active) et, d’autre part, certaines pathologies chroniques ou évolutives possibles (pathologies respiratoires, ophtalmologiques, etc.).« 

Sachant qu’il existe un précédent sur la volonté de ne pas faire de rapports sur l’usage de ces armes, nous demandons davantage de transparence : comment une remontée aurait-elle pu avoir lieu ? Comment distinguez-vous les effets des gaz lacrymogènes d’autres facteurs confondants dans les remontées sur les pathologies neurologiques long terme par exemple, ou sur les cataractes décrites clairement dans le dossier ? Le volume expiratoire est-il mesuré régulièrement chez les forces de l’ordre ? Comment distinguez-vous la perte de vision liée à l’âge de la perte de vision générale, quelles études sont disponibles publiquement ?

« Les effets recherchés ont une incidence sur les yeux, les poumons et la peau mais sont réversibles. Les effets du CS ont une durée brève, conséquence d’une exposition aigüe généralement bénigne, mais liée à la dose et à la durée d’exposition. Les symptômes observés habituellement sont dus à une telle exposition aiguë. L’exposition aigüe n’implique généralement pas d’effet à long terme : l’effet irritant disparaît rapidement (15 à 30 minutes) après « décontamination » (à grande eau et éviction du produit).« 

Quels moyens de décontamination sont mis à disposition des personnes exposées parmi les habitants des quartiers, les passants, les manifestants pacifiques et même les manifestants violents qui restent des citoyens avec des droits même s’ils ont pu contrevenir à la loi ?

« Les éventuels effets secondaires disparaissent généralement dans la journée. Les irritations sont les plus fréquentes et se manifestent sur l’œil, la peau, le tractus respiratoire. Peuvent s’y ajouter des troubles digestifs et des céphalées. Des phénomènes allergiques peuvent également survenir. Il convient de souligner que ces produits sont acquis par les forces de l’ordre en tenant compte de la composition (excipients et produits solvants) et du dosage des composants. Comme rappelé plus haut, leur usage obéit par ailleurs à des règles de droit et conditions d’emploi strictes (emploi très encadré en milieu fermé par ex.). Toutes les précautions sont donc prises pour limiter les risques, tant pour les utilisateurs que pour les manifestants.« 

Au regard des connaissances sur ces armes, ces précautions sont largement insuffisantes.

« Il convient enfin de souligner que la molécule active des produits employés dans d’autres pays (OC – mélange de capsaïcine, capsaïcinoides, diterpènes et autres substances, PAVA – vanillylamide de l’acide pélargonique, etc.) n’est pas celle (CS) composant les moyens en dotation au sein des forces de l’ordre en France.« 

Le CS est employé partout dans le monde, notamment dans les grenades. Par exemple, à Portland durant le mouvement Black Lives Matter, c’est bien le CS qui a posé un problème de santé publique. Le maire a d’ailleurs fini par interdire son usage de ce fait.

C’est aussi le cas à Hong Kong lors du siège de l’université polytechnique, où le CS a posé également un problème de santé publique.

Enfin c’est le cas au Chili, où c’est toujours le CS qui est en cause.

« S’agissant du rapport de l’association toxicologie-chimie, il ne s’agit pas d’une étude scientifique de recherche sur les effets du CS : O-chlorobenzylidène malononitrile sur l’homme, mais d’un document qui agrège des données issues de différents horizons bibliographiques. Il n’y figure aucun élément qui ne soit déjà connu.« 

A l’évidence, l’auteur de la réponse n’a pas lu le dossier.

D’une part, celui-ci remet en cause un « élément connu », un calcul théorique sur la quantité de cyanure formée par métabolisme, car les conditions de calcul théorique (il ne s’agit en fait pas d’une mesure, comme certains auteurs vont le dire par erreur par la suite) repose sur une exposition d’une minute à 20 mètres d’une grenade. Ceci est décrit en page 38 du dossier.

D’autre part, le dossier présente un tableau de mesure de CYANURE (et non de thiocyanates) sur lequel nous reviendrons, en page 41.

Enfin en annexe du dossier, on peut trouver page 123 des éléments factuels sur les niveaux de cyanure (encore une fois, et non de thiocyanate) mesurés à l’autopsie des personnes décédées dans le cadre de l’incident de Waco aux Etats-Unis en 1993, avec la démonstration qu’ils ont très probablement été intoxiqués par le cyanure provenant des grenades lacrymogènes et non par l’incendie du complexe.

« Ce document, clairement à charge, débute par un catalogue des agents chimiques (de guerre, dont l’ypérite, etc.), au sein duquel figure le CS sans que ne soit précisé que les agents anti-émeute ne sont en aucun cas des agents incapacitants ni des gaz (ainsi que rappelé plus haut). »

Je cite une phrase dans le document décrivant l’une des expériences pour ce qui concerne le fait qu’il ne s’agit pas d’un gaz à proprement parler :

« La Grenade qui brûle pendant environ 30 secondes libère un nuage de Particules en suspension généré thermiquement pendant environ 10 à 15 minutes. »

En page 9 du dossier, il est indiqué une définition des agents incapacitants, et le CS ne figure pas dans cette liste, mais figure dans la catégorie suivante, celle des « irritants ».

Ces dénominations, comme de nombreux auteurs l’ont signalé, sont souvent assez poreuses. Un agent irritant peut devenir incapacitant selon le contexte, la concentration, la personne affectée… C’est pour cela que certaines études ont nommé le CS « incapacitant ».

De plus, un document qui décrit la littérature scientifique de façon exhaustive n’est pas « à charge contre le CS », mais est plutôt un moyen d’alerter sur des dangers pour la santé publique. Je ne comprends pas l’emploi du terme « à charge » pour décrire ce dossier.

« Les aérosols cités ne sont en outre pas utilisés par les forces de l’ordre françaises. Le gaz lacrymogène CN (chloroacétophénone) n’est plus employé et le MIBK (solvant) n’entre pas dans la composition des aérosols CS utilisés par nos forces de police et de gendarmerie.« 

Merci pour cette dernière information, j’ai posé la question à de nombreuses reprises car les sprays CS fabriqués en France par la compagnie Alsetex contenaient ce solvant, ce qui a fait scandale en Angleterre à la fin des années 1990.

« Par ailleurs, lorsque ce document évoque les lésions provoquées par le CS, il n’apporte aucune précision sur les concentrations du principe actif du produit concerné (concentrations pourtant essentielles) et fait référence à des constatations après utilisation en milieu clos. »

Une simple recherche dans le document fait apparaître le mot « concentration » 90 fois dans le dossier. A l’évidence, il n’a pas été lu correctement par les auteurs de la réponse. Sur tous les effets décrits d’après la littérature, lorsque la concentration était disponible, elle a été indiquée dans le document.

Cependant, il est exact que nous n’avons aucune donnée sur la concentration du nuage effectif en France. J’aurais souhaité faire des mesures mais Airparif a décliné par exemple, et il n’a pas été possible d’obtenir une telle mesure de quiconque contacté en France, il suffit pourtant d’appareillages largement disponibles comme des Hapsites. Pour approximer la concentration en France, nous nous sommes basés sur les données du fabricant, probablement sous-estimées, décrites en détail page 122 :

Par ailleurs, aucun élément comparatif n’est abordé, notamment sur la concentration létale des produits, la dose efficace, les excipients.

Encore une fois, l’auteur de la réponse n’a pas lu le dossier. La concentration létale est décrite sur la même page 122 :

De même, le détail des concentrations et leurs effets sur l’homme :

Les excipients ne nous ayant pas été communiqués par le fabricant malgré les nombreuses relances et tentatives de savoir, nous avons donc « deviné » les excipients possibles et décrit leurs effets. Ceci était pourtant visible dans la table des matières, qui n’a donc même pas été consultée par les auteurs de la réponse.

« Sans surprise, l’accent est mis sur le risque lié au cyanure, qui est un des produits de métabolisation du CS, mis en avant pour avoir été retrouvé dans le sang de manifestants (fumeurs ?) lors de manifestations du mouvement dit des « gilets jaunes ». »

Des concentrations en thiocyanate élevées ont été retrouvées chez des fumeurs comme chez des non-fumeurs, sur une cinquantaine de personnes au total, données couvertes par le secret médical, mais résultats diffusés et rendus publics par certains gilets jaunes eux-mêmes. Toutes dépassaient le seuil maximal de leur état (il est différent entre fumeur et non-fumeur).

Or, s’il est établi que le cyanure peut être nocif, les concentrations sont un élément indispensable à prendre en compte. Un article des Annales de toxicologie analytique (« Cyanures et thiocyanates en toxicologie hospitalière », vol. XII, n° 2, 2000) montre ainsi que le niveau de thiocyanates habituel chez un fumeur est de 20 mg/ l dans le sang. Trouver 15,9 mg/l dans le sang, comme ce fut le cas lors de manifestations, n’a donc rien d’étonnant.

Précisons bien cette donnée essentielle en citant la phrase exacte de la référence :

« Les valeurs habituelles des cyanures et thiocyanates dans le sang sont respectivement de 0,02 mg/l (non-fumeurs) à 0,05 mg/l (fumeurs) pour les cyanures et de moins de 4 mg/l (non-fumeurs) à 20 mg/l (fumeurs) pour les thiocyanates. »

Il s’agit d’une fourchette large, sans détails précis, et sans aucune référence. Quelles mesures ont été faites exactement pour affirmer cela ? On n’en sait rien.

Pourtant, des mesures, il en existe dans des études présentant de réels résultats et non une fourchette (réaliste, mais « à la louche »).

La moyenne pour les fumeurs dans une étude sur 135 sujets plus récente était de 6,5 mg/l comparée à 2,4 mg/l pour des non-fumeurs. Dans cette étude, le niveau le plus élevé enregistré pour un fumeur était de 8,6 mg/l (conversions réalisées à partir de concentrations molaires).

Une autre étude a présenté une mesure moyenne de 8,3 mg/l de thiocyanates (écart-type de 0,18) dans le sérum sanguin des fumeurs comparée à 3,4 mg/l (écart-type de 0,14) de thiocyanates pour des non-fumeurs.

Dans un essai clinique randomisé incluant 29 patients par groupe la moyenne est de 6,67 mg/l pour un maximum de 9,3 mg/l chez des fumeurs contre une moyenne de 3,5 mg/l (maximum à 4,5 mg/l) chez des non-fumeurs.

Une étude a comparé les niveaux de fumeurs et de non-fumeurs exposés ou non de par leur profession à du cyanure. Les mesures ont été faites dans les urines et dans le sang, avec des niveaux exprimés en mg/100ml, il faut les multiplier par 10 pour les lire. Le niveau le plus élevé enregistré, pour un fumeur exposé de par sa profession, était de 9,2 mg/l.

Les concentrations les plus élevées que nous avons pu trouver est de 16,8 mg/l dans la littérature indiquent pour de très gros fumeurs (groupe S4, le plus élevé, consommant plus de 20 cigarettes par jour. Le nombre de cigarettes de chaque personne n’a pas été détaillé, mais la concentration moyenne dans ce groupe était de 7,7 mg/l).

La patiente dont le niveau a été mesuré à 15,9 mg/l et dont le résultat a été médiatisé ne fumait pas plus de 20 cigarettes par jour, elle nous a affirmé être à moins de 10 cigarettes par jour.

« Par ailleurs, les prélèvements nécessaires au dosage du cyanure doivent respecter un protocole rigoureux.« 

Cette remarque montre que les auteurs de la réponse font quelques confusions. En effet, ce sont les thiocyanates qui sont dosés dans les chiffres annoncés précédemment, et non le cyanure.

Le cyanure apporté par l’alimentation ou par les cigarettes n’implique que de très faibles doses de cyanure. En effet, dès 0,5 mg/l dans le sang, le cyanure devient très dangereux et le risque de létalité est atteint dès 1 mg/l. L’organisme va très rapidement le métaboliser en thiocyanate pour éviter une augmentation de la concentration aigüe. Un apport faible mais constant en cyanure ne présente donc pas le même danger qu’un apport conséquent instantané. Pour s’en faire une idée simple, cela reviendrait à comparer le fait de fumer 10 cigarettes en une journée à en fumer 10 d’un coup en même temps.

Le thiocyanate est éliminé très lentement par filtration rénale. Dans l’essai clinique cité précédemment, après arrêt de consommation de cigarettes, la réduction du niveau de thiocyanate dans les urines n’est que de 30% au bout de 5 jours. Ainsi, le thiocyanate peut refléter une consommation de faibles doses répétées (cigarettes et alimentation) comme il peut refléter un niveau d’absorption instantané élevé.

Pour contourner ce problème, nous avons mesuré non pas les niveaux de thiocyanates dans le sang, mais le niveau de cyanure directement, comme présenté précédemment. Et des niveaux dangereux immédiatement pour la santé ont été relevés. Je rappelle donc le tableau déjà ignoré par les auteurs de la réponse précédemment, page 41.

« Par ailleurs, si la littérature scientifique est relativement rare sur le sujet, d’autres études méritent cependant d’être prises en compte, notamment l’article « Effects of tear gases on the eye » dans la Survey of Ophthalmology (vol. 61, 2016) ou l’étude « Riot Control Agents – Exposure and Treatment » de M. F. Dorandeu (pharmacien, chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce, titulaire de la chaire de recherche appliquée aux armées, conseiller technique de la directrice centrale du service de santé des armées pour les questions de défense médicale contre les risques chimique) présentée au 36e congrès de la European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, à Madrid le 26 mai 2016. »

Loin de contredire le contenu de mon dossier, effectivement, la première étude n’aborde pas le métabolisme en cyanure d’une part, et aborde les effets sur la santé d’autre part.

Kim discute les effets et le traitement des gaz lacrymogènes de tous types (OC, CS et CN) en s’appuyant sur des références concernant le CS, l’OC et le CN… Pour le CS, il cite des références (numéro 7, 9, 13, 18, 22, 25, 36, 38) que nous avons également citées dans notre dossier. Par exemple Hill, avec le cas d’un patient qui est resté 6 mois en soins intensifs après une exposition au CS :

“Hill presented a case of multisystem hypersensitivity reaction to CS that lasted 6 months and required an intensive care unit (ICU) stay”

Il n’est pas utile de citer une revue des mêmes éléments bilbiographiques, et qui dit sensiblement la même chose, tout en répétant certaines erreurs chimiques publiées dans la littérature scientifique que nous sommes en train de corriger dans la version définitive du dossier de l’ATC concernant les propriétés d’agent alkylant SN2, et s’appuyant sur un mécanisme d’action désuet puisque depuis cette revue nous savons que le mode d’action, décrit dans le dossier de l’ATC également, passe par les récepteurs TRPA1/TRPV1.

“CS is an SN2 alkylating agent”

Pour ce qui concerne l’étude de Dorandeu, malheureusement, son nom n’apparaît pas dans le rapport du 36ème congrès de l’EAPCCT.

Il ne se trouve aucune référence nulle part à ce travail et il est donc impossible d’en dire plus dans cette réponse.

« En employant des moyens lacrymogènes comme en toute autre circonstance, les forces de l’ordre interviennent dans le respect du droit, notamment des dispositions du code pénal et du code de la sécurité intérieure relatives au délit d’attroupement et à l’emploi de la force pour le maintien de l’ordre. Leurs actions sont soumises au contrôle de l’autorité judiciaire et de différentes autorités administratives indépendantes. Si des comportements inappropriés sont relevés, ils donnent systématiquement lieu à des suites administratives, voire judiciaires. »

Malheureusement, les délais de traitement sont très longs, et peu d’affaires aboutissent réellement. De nombreux sociologues évoquent ces problèmes très connus, comme Sébastian Roché ou Olivier Fillieule.

« Les forces de l’ordre, qui sont fréquemment prises à partie et victimes de violences dans le cadre de débordements qui surviennent en marge de certaines manifestations, interviennent toujours avec professionnalisme, sang-froid et discernement.« 

Le mot « toujours » semble être un peu catégorique. Tout être humain peut perdre son professionnalisme, son sang-froid et son discernement, surtout dans des situations de tensions, notamment lorsqu’il y a escalade de la violence.

« Dans des situations fréquemment difficiles, face à des enjeux multiples, les policiers et les gendarmes ont à cœur de mener à bien leur difficile mission dans le respect des personnes et avec pour souci constant la garantie de l’ordre public républicain. Il convient enfin de souligner que, pour tenir compte des nouveaux enjeux de l’ordre public, qui résultent de la violence croissante observée depuis plusieurs années dans les manifestations mais aussi des exigences accrues de communication, le ministre de l’intérieur a présenté le 11 septembre un nouveau schéma national du maintien de l’ordre. Ce schéma développe une doctrine protectrice pour les manifestants et ferme avec les auteurs de violences. Il réaffirme la priorité à l’intervention face aux auteurs de violences (notamment grâce aux armes de force intermédiaire). »

Ce nouveau schéma a suscité de nombreuses inquiétudes et interrogations, notamment auprès des journalistes.

« Mais il renforce également les conditions de la légitimité de l’action de l’Etat et les garanties du libre exercice du droit de manifester en dynamisant et modernisant les actions de communication et de prévention des tensions.« 

Une telle intention est louable.

« Il doit par ailleurs être souligné que cette nouvelle doctrine pérennise le retrait décidé en janvier 2020 des grenades lacrymogènes instantanées modèle F4, à caractère explosif en raison de leur teneur en tolite, et qui avaient un triple effet lacrymogène, assourdissant et de souffle. Elles sont désormais remplacées par la GM2L (la composition explosive que l’on trouvait dans la GLI F4 est dans cette munition remplacée par une simple composition pyrotechnique). »

La composition « pyrotechnique » remplaçant la composition « explosive » ne semble pas avoir un effet final extrêmement différent. Ceci a été documenté sur des sites dédiés et relayé par la presse.