Alexander Samuel, qui enquête depuis plusieurs mois sur l’effet du gaz lacrymogène sur les manifestants, a été placé en garde à vue à Nice le week-end dernier. Sans que cela ne semble avoir un lien avec ses études sur la présence de cyanure dans le sang des manifestants exposés au lacrymo.
Question posée par Agnès le 31/10/2019
Bonjour,
Vous faites référence à l’interpellation d’Alexander Samuel, docteur en biologie, placé en garde à vue à Nice le 26 octobre. Cet été, l’Obs avait consacré un portrait à l’homme, aujourd’hui professeur de mathématiques dans un lycée professionnel de Grasse (Côte d’Azur), intitulé : «L’homme qui enquête sur le gaz lacrymogène utilisé contre les gilets jaunes».
Pendant les manifestations de ces derniers mois, Alexander Samuel s’était fait remarquer en faisant des analyses sanguines – contestées – sur les manifestants, pendant les manifestations. Son objectif ? Caractériser la présence de cyanure dans le sang des manifestants exposés au gaz lacrymogène. CheckNews avait d’ailleurs répondu à la question sur la fiabilité du protocole utilisé, et sa valeur scientifique.
C’est Juan Branco, écrivain et avocat, qui a le premier annoncé la nouvelle de cette interpellation sur son compte Twitter. En suggérant un lien avec l’activité du biologiste en manifestations : «Alexander Samuel, le biologiste qui enquête sur les gaz lacrymogènes depuis des mois, arrêté et mis en garde à vue quarante-huit heures sans raison, alors qu’il allait rejoindre une amie. Il a été perquisitionné, tout son matériel informatique et les données de son enquête ont été saisis». Ajoutant : «La question de l’effet des gazages répétés sur la santé, qui n’avait jamais fait l’objet d’études scientifiques, commence à monter. Qui gêne-t-elle ?»
Que s’est-il vraiment passé, et son interpellation a-t-elle un lien avec ses recherches sur l’effet des gaz lacrymogènes sur les manifestants ?
A Nice, le 26 octobre, une dizaine de personnes (parmi eux des militants d’Extinction Rebellion, des gilets jaunes et des membres d’Attac) s’en sont prises à une agence de la Société générale, en marge d’une manifestation de gilets jaunes. Un mélange de blanc de Meudon et de charbon a été lancé sur les murs de la banque. Dix personnes, dont Alexander Samuel, sont interpellées après cette action, pensée pour dénoncer l’évasion fiscale de la Société générale et des investissements dans les énergies fossiles, selon un communiqué d’Attac publié depuis pour dénoncer une répression «disproportionnée».
Rendez-vous manqué
Alexander Samuel faisait-il partie des activistes ? Non, affirme-t-il à CheckNews. «J’avais rendez-vous avec une demoiselle, que j’avais rencontrée sur Internet, on est tous les deux profs, on discutait depuis quelque temps, et c’est la première fois qu’on se rencontrait. On s’était donné rendez-vous près de la place Massena», raconte-t-il à CheckNews. Une version confirmée par la «demoiselle» en question, également contactée par nos soins, et qui affirme qu’elle était en retard au rendez-vous.
C’est donc en l’attendant qu’Alexander Samuel, toujours selon son récit, se rapproche des policiers qui procédaient à l’interpellation des neuf personnes. Pour leur demander ce qu’il se passait, ainsi que leur RIO, leur numéro d’identification que les forces de l’ordre, à de très rares exceptions, doivent porter sur leur uniforme.
«Les policiers m’interpellent alors, et me font monter dans une voiture de police pour un contrôle d’identité au poste», continue Alexander Samuel, qui se met alors à filmer avec son téléphone, qui reste allumé dans la voiture. Il a depuis posté la vidéo sur son compte Facebook.
Dans cette vidéo, visible ci-dessous, on l’entend s’adresser au policier au volant : «J’ai vu qu’il y avait un gros attroupement, j’ai d’abord parlé à un officier de police pour lui demander ce qu’il se passait. Ensuite, j’ai vu qu’il y avait une action d’Extinction Rebellion, qui a balancé des sacs de boue sur la banque. Et j’ai demandé aux officiers de police qui les contrôlaient de s’identifier. Je leur ai demandé leur RIO. Et pour avoir demandé leur RIO, apparemment on m’embarque.» Réponse du policier : «Mais vous les empêchez de travailler là.»
Finalement, Alexander Samuel restera quarante-huit heures en garde à vue, comme les neuf autres personnes interpellées. Comme eux également, son domicile a été perquisitionné pendant sa garde à vue. Sur son compte personnel Facebook, le professeur a listé les éléments qui ont été perquisitionnés à son domicile, ainsi que dans son véhicule. Parmi ceux-là, son ordinateur portable, des clés USB contenant ses cours et ses travaux sur les gaz lacrymogènes, plusieurs livres sur la police ou l’histoire du gaz lacrymogène, plusieurs grenades lacrymogènes vides. Toujours selon lui, plusieurs éléments auraient depuis été «détruits», dont un livre, deux casques de trottinette et un sac à dos.
Au terme de cette garde à vue, neuf personnes ont été déférées lundi, et seront jugées le 10 février. Ils sont poursuivis pour «dégradation en réunion» et «participation à un groupement en vue de commettre une infraction». Les quatre femmes et cinq hommes, âgés de 28 à 66 ans, risquent jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, détaille France Bleu.
Alexander Samuel est donc le seul à ne pas être poursuivi à la suite de cette garde à vue. Et pour cause : «L’enquête et la garde à vue n’ont pas permis de retenir d’éléments à son encontre», assure à CheckNews le procureur adjoint de Nice, confirmant donc sur ce point la version de l’intéressé. Sur les raisons de son interpellation, le procureur indique que l’homme «semblait être en compagnie des personnes qui ont participé à cette action». C’est donc pour vérifier si c’était bien le cas qu’Alexander Samuel a été arrêté, placé en garde à vue, puis perquisitionné. Sans lien apparent avec ses études sur la présence éventuelle de cyanure dans les gaz lacrymogènes utilisés en France sur les manifestants, affirme le procureur adjoint.
De son côté, Alexander Samuel n’établit aucun lien entre son interpellation et ses activités, assurant qu’il n’a jamais été question de ses travaux sur les gaz lacrymo pendant l’intégralité de sa garde à vue… même s’il a relayé le tweet de Juan Branco faisant le lien, et envisage même de le prendre pour avocat.
Concernant la destruction d’éléments perquisitionnés que dénonce Alexander Samuel, le procureur adjoint a répondu à CheckNews : «S’il s’estime victime de dégradation, il peut écrire une plainte au procureur de la République, et elle sera instruite. Mais ce n’est pas quelque chose qui a été porté à ma connaissance.»
Troisième garde à vue
C’est la troisième fois, en quelques mois, qu’Alexander Samuel est placé en garde à vue. Le 23 mars, à Nice, le jour où Geneviève Legay, manifestante de 73 ans avait été grièvement blessée à la tête à la suite d’une charge policière lors d’une manifestation interdite à Nice, il avait été arrêté et placé en garde à vue pendant vingt-quatre heures. Le motif : non-dispersion suite à sommation. «J’ai reçu à cette occasion un rappel à la loi», assure-t-il.
Le 21 septembre, lors de la manifestation pour le climat à Paris (à laquelle il participait accompagné d’un journaliste médical), il avait également été interpellé, cette fois-ci, pour «jet de trottinette». Il avait là aussi libéré après vingt-quatre heures. Selon Alexander Samuel, qui nie tout jet de trottinette, l’affaire, comme au terme de sa garde à vue à Nice, a été classée sans suite. Contactée par CheckNews, la préfecture de Paris n’a, pour l’heure, pas répondu à nos sollicitations.
À LA LOUPE – Le biologiste Alexander Samuel, connu pour ses études sur les effets des gaz lacrymogènes et son surnom associé, ‘Gaz Buster’, a été arrêté samedi dans les rues de Nice et son domicile perquisitionné. Que s’est-il passé ?
31 oct. 2019 19:17 – Cédric Stanghellini
Une interpellation étonnante. Le samedi 26 octobre, le biologiste et enseignant en mathématique niçois Alexander Samuel a été arrêté en pleine rue par la police, placé en garde à vue puis relâché au bout de 48 heures sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Plus surprenant, d’après son récit, son domicile a été perquisitionné et son matériel informatique aurait été saisi par les forces de l’ordre. Des ordinateurs et des clés USB qui contenaient l’avancée de ses travaux relatifs aux effets des gaz lacrymogène sur la santé.
Une publication largement partagée sur les réseaux sociaux
Tout part d’une publication sur le compte Facebook de l’avocat Juan Branco, partagée plus de 2.000 fois en l’espace de quelques heures. « Alexander Samuel, le biologiste qui enquête sur les gaz lacrymogènes depuis des mois, vient de m’appeler », explique l’avocat, dont le témoignage est ensuite largement relayé sur de nombreux groupes Facebook, notamment en lien avec le mouvement des Gilets Jaunes. D’après ces publications, le biologiste n’a pas seulement été maintenu en garde à vue durant deux jours, il aurait également subi une perquisition à son domicile.
Que s’est-il passé ?
Contacté par LCI, Alexandre Samuel raconte que plusieurs policiers l’ont interpellé, le samedi 28 octobre, sur l’avenue Jean-Médecin à Nice. « J’avais rendez-vous avec une amie à 14 heures sur la place Masséna, située un peu plus bas. Les policiers m’ont arrêté alors que je passais devant l’agence de la Société générale, où des militants avaient recouvert les vitrines de Blanc de Meudon mélangé à du charbon. » D’après le biologiste niçois, cette action était déjà terminée lorsqu’il est arrivé sur les lieux et les policiers procédaient aux arrestations de participants à cet événement organisé à l’initiative d’Attac et du groupe Extinction Rebellion PACA.
Alexander Samuel nous explique qu’après son contrôlé d’identité, les forces de l’ordre lui auraient notifié sa garde à vue pour avoir participé au happening contre la banque Société générale. En tout, 10 personnes ont été placées en garde à vue.
Il assure que les policiers n’ont jamais cherché à contacter l’amie avec qui il avait rendez-vous place Masséna. « Normalement, quand on vous présente un alibi, la première chose que vous faites c’est de le vérifier, non ? » s’étonne-t-il. Une procédure pour dégradation de bien public en réseau est alors ouverte et sa garde à vue se poursuit.
Dans la soirée du samedi 26 octobre, les policiers l’accompagneront pour assister à la perquisition de son domicile et de son véhicule. Le biologiste assure que tout son matériel informatique a été saisi – ordinateurs, clés USB – mais aussi son matériel utilisé pour ses activités de street medic – t-shirt, lunettes de plongée, gants, casques. Plus surprenant, les policiers auraient saisi trois livres, dont ‘Petite histoire du gaz lacrymogène‘ et ‘Instruction sur la protection contre les gaz de combat‘, ainsi que des capsules vides de gaz ramassées lors des manifestations.
« A aucun moment les policiers n’ont évoqué mes travaux sur les effets des gaz lacrymogènes sur l’organisme », nous assure Alexander Samuel. « Ni au moment de l’arrestation, ni durant la garde à vue, ni pendant la perquisition. » D’autres personnes gardées à vue ont également été perquisitionnées ce jour-là. Mais pour le biologiste, les faits sont là. « Tout mon matériel informatique a été saisi et détenu pendant plusieurs heures. Bien que tout m’a été restitué lundi, je ne sais pas ce qu’ils ont fait avec. »
Ses ordinateurs et clés USB contenaient toutes les informations relatives à son travail sur l’utilisation des gaz lacrymogènes. Depuis plusieurs mois, ce docteur en biologie moléculaire réalise une enquête sur les effets sur la santé de ces gaz largement utilisés par les forces de l’ordre depuis novembre 2018 pour dissiper les rassemblements de Gilets Jaunes. En collaboration avec Alexander Samuel, trois médecins ont réalisé des prélèvements sanguins sur des manifestants avec leur consentement. Leur objectif : démontrer que les personnes seraient exposées à la présence de cyanure, et mesurer l’effet de ce dernier.
Si une enquête préliminaire est toujours en cours concernant sa participation à cette campagne de prélèvements sanguins, pour l’heure aucune instruction judiciaire à son encontre n’a été diligentée.
Après le prolongement de sa garde à vue pour une journée supplémentaire, Alexander Samuel a finalement été relâché le lundi 28 octobre après-midi, libre et sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Son nécessaire de street medic aurait été détruit, ainsi que le gilet jaune de son véhicule et l’ouvrage ‘Instruction sur la protection contre les gaz de combat TTA 602‘, un manuel militant datant des années 1950.
Malgré nos nombreuses sollicitations, ni le parquet, ni la préfecture des Alpes-Maritimes n’ont répondu à nos questions. Le procureur adjoint de Nice a toutefois été contacté par nos confrères de Libération. « L’enquête et la garde à vue n’ont pas permis de retenir d’éléments à son encontre », leur a-t-il déclaré, ajoutant que l’homme « semblait être en compagnie des personnes qui ont participé à cette action ».
Selon Nice Matin, le parquet a demandé le renvoi devant le tribunal correctionnel des neuf militants gardés à vue en même temps qu’Alexander Samuel.
France — Alors que le mouvement des Gilets jaunes en est à sa première année d’existence, un biologiste, accompagné de trois médecins engagés, se sont inquiétés des conséquences sur l’organisme de l’usage massif et chronique de gaz lacrymogène contre les manifestants suite à la découverte de thiocyanate, dérivé du cyanure, dans certaines analyses sanguines. L’hypothèse d’une vraie intoxication au cyanure est cependant jugée improbable par d’autres cliniciens et toxicologues. L’éclairage de Medscape.
Alexander Samuel, docteur en biologie, et par ailleurs professeur de mathématiques dans la région niçoise, devrait faire paraître dans les semaines qui viennent une étude co-signée, entre autres par le toxicologue André Picot, président de la Société française de toxicologie-chimie (voir encadré), sur ses recherches liant gaz CS et intoxication au cyanure. Cette étude sera publiée par l’association Toxicologie-chimie, créée il y a une trentaine d’années pour « former, informer, expertiser sur les dangers des produits chimiques en milieu de travail, dans l’alimentation et dans l’environnement ».
Ses observations, Alexander Samuel les a faites sur le terrain, depuis un an et demi. Le docteur en biologie était présent, le 23 mars dernier, dans la manifestation des Gilets jaunes (GJ) au cours de laquelle une manifestante de 73 ans, Geneviève Legay, est matraquée par un CRS et perd connaissance. Alexander est au premier rang et filme la scène. Cela lui vaut une courte interpellation mais aussi la confiance des protagonistes du mouvement des GJ. « J’ai alors été repéré par un groupe de Gilets jaunes qui ont contacté toutes les personnes témoins d’événements graves : des personnes qui ont été énucléés, etc. J’ai donc été contacté par la présidente du groupe SOS ONU, Shirelle David », se rappelle-t-il, joint par Medscape édition française.
Des analyses positives au thiocyanate
C’est à ce moment-là qu’Alexander Samuel entend parler pour la première fois des effets nocifs du gaz lacrymogène. Un membre de l’association SOS ONU, proche des Gilets jaunes donc, lui confie le résultat d’une analyse sanguine positive au thiocyanate. « Je ne connaissais rien de cela, je me suis renseigné, pour me rendre compte que c’était le test standard d’intoxication au cyanure. La personne qui m’a confié ce test positif me dit que cela provient des gaz lacrymogènes. Je n’y ai pas cru. J’ai été critique », ajoute-il. Alexander décide donc de travailler le sujet. « Ils m’ont mis en contact avec plusieurs personnes qui m’ont raconté qu’elles ont eu de grosses désorientations, des vertiges, d’autres crachaient du sang, des effets secondaires comme des pertes de connaissance, perte de mémoire, etc., après avoir été exposées au lacrymogène. J’ai trouvé cela bizarre. J’ai donc décidé de consulter la littérature pour voir s’il y avait un rapport entre les gaz lacrymogène et le cyanure. « En fait, c’est connu et rien n’est caché : le gaz lacrymogène métabolise du cyanure. »[1,2,3,4]. Le gaz utilisé dans le lacrymogène, le 2-Chlorobenzylidènemalononitrile, aussi appelé gaz CS, une fois dans le corps humain, se métaboliserait en cyanure d’hydrogène, puis en thiocyanate.
Des analyses sur le terrain des manifestations
C’est une révélation pour Alexander Samuel, qui décide de documenter le sujet. Sur le terrain. Et part d’une hypothèse : les gazages massifs de GJ, via entre autres leur métabolisation en cyanure, sont à l’origine des effets secondaires nocifs constatés chez nombre de manifestants.
Dans un premier temps, avec l’aide du Dr Josiane Clepier de SOS ONU (qui a quitté cette association), Alexander Samuel demande aux GJ gazés lors des manifestations, en avril 2018, de faire des analyses de thiocyanate pour débusquer les quantités atypiques de cyanure dans l’organisme : « Nous avions des retours de toute la France, de gens de Marseille, de Paris, etc. Au bout d’une semaine nous avons accumulé 5 à 6 résultats positifs et aucun résultat négatif. « Les taux étaient supérieurs à la normale, parfois trois à quatre fois supérieurs au seuil fumeur. Les patients qui ont fait ces analyses se sont plaints de vertiges, pertes de connaissances ou désorientations le jour de la manifestation, et de maux de têtes persistants les jours suivants. Un cas précis que j’ai suivi a eu des insuffisances hépatiques lourdes » qui seraient clairement associées à de fort niveaux de thiocyanates, selon Alexander Samuel : « il m’a remercié publiquement d’avoir conseillé son médecin sur les analyses. »
Critiques scientifiques sur les tests utilisés et leur interprétation
Ces premiers résultats sont médiatisés par l’association SOS ONU et des toxicologues reconnus les critiquent : Pour le professeur Jean-Luc Renaud du laboratoire de chimie moléculaire et thioorganique (LCMT), université de Caen, Basse-Normandie les gaz lacrymogènes ne se transforment pas en cyanure.
Puis les toxicologues Marie Deguigne et François Parrant, et le clinicien Jean-Marc Sapori s’expriment tous dans la presse pour dire qu’il n’y a pas de cyanure dans la lacrymogène. « Il faut bien comprendre que le cyanure est extrêmement dangereux, si c’était le cas, il y aurait des milliers de morts dans la rue, ce n’est absolument pas plausible », indique Marie Deguigne pour LCI. Plus précisément, pour Marie Deguigne, les thiocyanates ne sont pas des indicateurs fiables ; mieux vaut vérifier directement le niveau de cyanure dans le sang. De même, le professeur Parrant, médecin au laboratoire qui a effectué les analyses publiées par SOS ONU, considère que le thiocyanate est un très mauvais marqueur. « La véracité des documents publiés n’est pas remise en cause, mais les concentrations retrouvées, bien que parfois supérieures aux valeurs de référence du laboratoire, ne permettent pas de caractériser une intoxication au cyanure », explique François Parrant dans Libération.
Il se fie plus aux niveaux de lactate pour repérer le cyanure.
Mais pour Alexander Samuel, « le niveau de lactate va monter lorsque l’on a une intoxication mortelle au cyanure, mais il n’est pas sûr que les niveaux de lactate montent suffisamment pour une intoxication bénigne au cyanure ».
Pour les uns, les taux de thiocyanate retrouvés ne permettent donc pas de caractériser une intoxication au cyanure qui serait susceptible d’entraîner une toxicité. Pour les autres, ces quantités de thiocyanate sont caractéristiques d’une intoxication au cyanure légère avec, déjà, des conséquences sanitaires.
De son côté, le biologiste a créé un site Internet, gazlacrymo.fr, lequel recense les effets secondaires d’une intoxication légère et chronique au cyanure. Aussi bien le système nerveux central (anxiété, confusion, vertiges…), que le système respiratoire (hyperventilation, apnée, tachypnée…), ou encore le système cardiovasculaire (hypotension, asystole, fibrillation ventriculaire…) peuvent être touchés. Aussi, précise Alexander Samuel, le ministère de la Santé du New Jersey relève des effets secondaires sur le foie et les reins et recommande des analyses de thiocyanate. Un faisceau de toxicités qui est, par ailleurs, décrit dans la littérature scientifique pour chacun de ces différents organes [5,6,7,8,9,10,11]..
Tests de détection du cyanure
Alexander Samuel prend toutefois acte de ces critiques et découvre dans le même temps CyanoGuard, une entreprise suisse qui commercialise des tests rapides de dépistage du cyanure dans le sang. « Quand on travaille dans le manioc, dans les mines d’or, on peut être intoxiqué au cyanure. L’antidote est très cher, et il y a des morts dans les pays du tiers monde. CyanoGuard a donc eu l’idée de développer un kit pas cher, pour 15 euros, de détection du cyanure. Cela permet de mesurer de manière instantanée le niveau de cyanure que nous avons dans le sang. C’est un test colorimétrique tout bête qui devient violet lorsque la dose de cyanure atteint des seuils mortels. Si c’est violet, on prend l’antidote », explique le biologiste. Contacté par Medscape, CyanoGuard confirme l’existence de ces tests, tout comme ils nous certifient avoir fourni ces tests à Alexander Samuel. Car une idée trotte dans la tête du scientifique : pour certifier la présence de cyanure dans le sang des manifestants après s’être fait gazer au lacrymogène, il faudrait faire des prélèvements sanguins in situ et les analyser grâce aux tests de CyanoGuard. « Le test est en vente libre, et pour le réaliser il faut 0,2 ml de sang. J’en ai parlé au médecin de SOS ONU qui a décidé d’en parler à d’autres médecins, pour voir s’il était possible de le faire légalement. Il m’a dit qu’avec des ordonnances, des consentements signés, des explications fournies aux personnes prélevées, et si l’on annonce en manifestation qu’ils peuvent venir nous voir quand ils se font gazer pour savoir de manière instantanée s’ils ont du cyanure dans le sang, on pouvait le faire. »
Analyses le 20 avril
Décision est prise de faire les premiers prélèvements le 20 avril 2018, avec le biologiste, le médecin de SOS ONU, un médecin belge, Renaud Fievet, anesthésiste-réanimateur habitué à ce genre de manifestations, ainsi que des paramédicaux. « Le jour même, il y a un médecin qui nous a rejoints. Elle est ophtalmologue, et nous a dit qu’elle était très intéressée par ce que nous faisions car elle avait beaucoup de ses patients qui avaient des débuts de cataractes ; ces patients avaient été exposés au gaz lacrymogène pendant des manifestations. »
Les tests ont donc commencé le 20 avril, comme convenu : « Nous avons fait 6 analyses ce jour-là. Le tout premier était un street medics, qui s’est pris une grenade lacrymogène tout à côté de lui. Il s’est retourné et s’est mis à courir vers moi, et nous a demandé de le piquer. Au moment où il nous parlait, il me tombe dessus, et se met à convulser. Il a repris ses esprits, nous avons attendu 5 minutes, puis nous avons fait le test, qui a changé de couleur. Ce qui indiquait qu’il y avait une dose équivalente à 50% de la dose mortelle de cyanure dans son sang, selon le test CyanoGuard. Nous avons obtenu des résultats légèrement positifs pour l’ensemble de ceux qui se sont prêtés à ces analyses. »
Présence de cyanure
Les analyses sont adressées à CyanoGuard, qui est formel : elles indiquent une présence importante de cyanure dans le sang. « Il nous a en revanche recommandé de doubler la dose de sang et de passer à 0,4 ml plutôt que 0,2 : ainsi, si on obtenait un changement de couleur au violet, nous étions sûr qu’il y aurait 50% de dose mortelle de cyanure. »
Les trois médecins et Alexander Samuel décident donc, pour la manifestation du 1er mai 2018, de renouveler les prélèvements sanguins avec 0,4 ml de sang. Seulement la présidente de l’association SOS ONU est en désaccord avec ces méthodes et décide de « dénoncer » Alexander Samuel et les médecins aux médias. « Comme beaucoup de médias en ont parlé, le parquet de Paris a ouvert une enquête courant mai pour « violences aggravées et mise en danger de la vie d’autrui », alors que nous avions des consentements signés uniquement pour faire des prélèvements de sang ! Le premier médecin de l’association, dégoûtée par la médiatisation, a préféré abandonner. En revanche l’ophtalmologue nous a suivis », explique Alexander Samuel.
Nouveaux résultats
Malgré les injonctions judiciaires et la pression médiatique, Alexander Samuel décide de poursuivre ces mesures de cyanure dans le sang, d’autant que CyonaGuard décide de mettre à disposition un appareil de mesure du cyanure dans le sang beaucoup plus précis que ces tests rapides, avec un taux d’erreur de 0,1, le CyanoSmart. Le CyanoSmart est par ailleurs un test connecté de détection du cyanure dans le sang, qui permet, grâce à un smartphone et une application, de prendre connaissance immédiatement des résultats du test.[12]
L’équipe est de nouveau sur le terrain le 8 juin à Montpellier. « Il y a eu 9 personnes au total qui ont fait une analyse préalable. Six ont été gazées et ont fait des analyses après gazage. Avant manifestation, nous étions entre 0 et 0,2 (selon le mode de vie des gens, la tabacologie, etc.). Après gazage, nous sommes montés à 0,7 mg/l, le record étant de 0,75 mg/l. Une dose potentiellement considérée comme mortelle est de 1 mg/litre », explique Alexander Samuel. Tout en ajoutant que l’expression « dose mortelle » est à prendre avec des pincettes. « Mais nous avons établi qu’il y a bien une hypoxie et une intoxication au cyanure de bas niveau. Pour moi, c’est clairement une utilisation abusive de lacrymogène qui est responsable de la métabolisation importante en cyanure. »
Les effets nocifs du CS dépendent de la capacité de métabolisation du cyanure
Interrogé par Medscape édition française, le toxico-chimiste, André Picot, qui co-signe l’étude d’Alexander Samuel, explique : « Ce gaz CS a été beaucoup étudié, sans qu’il y ait pour autant publication, par les services sanitaires des armées américaines, françaises, etc. Ils ont bien entendu étudié les faibles doses et l’effet recherché était l’action très brève, très intense, qui ne mettait pas en danger la vie des personnes gazées.
Les effets nocifs du CS vont dépendre de la capacité de métabolisation du cyanure de chaque organisme. Ce gaz est moléculairement instable. Dès qu’il se retrouve dans l’eau ou le sang, il libère une molécule organique qui conserve un reste cyané, ainsi qu’un ion cyanure.
Pour le neutraliser, l’organisme prend un produit soufré, oxydé, qui en présence d’une enzyme, la rhodanèse, que l’on trouve dans tous les tissus, mais aussi dans la salive, neutralise le cyanure. Donc, selon les réserves en souffre apportées par les protéines, et l’activité de la rhodanèse, l’organisme va pouvoir lutter contre des quantités plus ou moins importantes en cyanure. Cela va aussi dépendre de l’état physiologique de l’organisme. Deuxième type de défense de l’organisme qu’il faut signaler contre le cyanure : la vitamine B12 qui est beaucoup plus stable.
Les services sanitaires des armées ont aussi fait des études sur les effets faibles à répétition du gaz CS. Au fur et à mesure que vous épuisez vos systèmes de défense en vous exposant plusieurs fois au gaz CS, vous augmentez la nocivité du cyanure. Ce que l’on observe avec les Gilets jaunes par exemple, qui montent tous les samedis sur les barricades. Les effets sont toujours les mêmes : une grande fatigue, car le cyanure bloque la chaine respiratoire. Les organes très vascularisés qui consomment beaucoup d’oxygène vont être impactés, comme le cerveau, ce qui peut provoquer des dépressions. Mais le cœur peut aussi être atteint, ce qui va causer des troubles cardiovasculaires non négligeables. Et puis il y a aussi la vision. Samuel Alexander consacre une partie de son article à l’atteinte du cristallin. C’est très intéressant. Le cristallin est peu vascularisé, donc nous observons quelque chose de tout à fait spécial, puisque le cyanure peut faire apparaître la cataracte. L’étude d’Alexander est très structurée, c’est un bon document scientifique », nous explique André Picot.
Conséquences graves ? Deux médecins s’inquiètent de l’exposition chronique
Au final, la question centrale et qui n’a aujourd’hui pas de réponse est celle de la dangerosité de l’exposition chronique au gaz lacrymogène au cours de ces manifestations répétées.
Médicalement parlant, les conséquences de l’exposition au gaz lacrymogène pourraient être graves, à moyen et long terme, selon le Dr Renaud Fievet, anesthésiste-réanimateur, qui a accompagné Alexander Samuel, lors des manifestations des GJ : « Je considère que si la cigarette est cancérigène, alors les gaz lacrymogène le sont aussi, potentiellement. Je pense qu’il faut appliquer le principe de précaution et non pas attendre dix ans pour se dire : voilà on a des malades, qu’est-ce qu’on fait ? Il y en a certains qui auront des maladies chroniques, respiratoires, qui vont apparaitre, des problèmes peut-être d’insuffisance hépatique aggravés ou d’insuffisance rénale, pour moi, cela me parait assez clair. »
Le Dr Christiane Blondin, ophtalmologue, a elle aussi accompagné Alexander Samuel sur le terrain. Elle partage avec le Dr Renaud Fievet, un constat plutôt sombre : « En tant que médecin ophtalmologue, on voit des yeux rouges, des yeux qui pleurent, ça parait tout bêtement banal, et c’est vrai que ça se soigne très bien. Mais je me pose la question de savoir quelle sera la santé oculaire des manifestants qui auront été aspergés de gaz pendant un an. Ma réaction aura été de chercher dans la littérature ce qui a été écrit là-dessus [13], quelle est la dose absorbée par l’œil, où le cyanure peut-il aller dans l’œil, va-t-il dans les mitochondries ? Nous avons vu en consultant la littérature qu’il y aurait eu des cas de cécité non seulement au niveau de la cornée, ou du cristallin, mais aussi des atrophies optiques avec le cyanure. Donc il y a quand même pas mal de pistes et l’on se demande pourquoi cela n’a pas été objectivé par des institutions officielles. »
Le groupe de médecins et de biologistes a adressé un courrier à la Haute autorité de santé (HAS) pour lui faire part de ses inquiétudes. Elle les a redirigés vers l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et du travail.
C’est un paradoxe qui prête à confusion : les armes chimiques sont interdites en temps de guerre mais pourtant, le gaz lacrymo – qui est considéré comme telle – est autorisé en temps de paix et sur des civils. Quelques éléments de réponses ci-dessous.
En théorie, les gaz lacrymos devraient être interdits par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993, dont la France est signataire. Cette convention fait toutefois la différence entre les gaz indubitablement mortels – genre sarin ou ypérite – et les lacrymogènes utilisés dans les manifs, qu’elle appelle poliment des « agents de lutte antiémeute », définis comme des substances entraînant « une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé l’exposition ».
Cependant, cette distinction est tout de même étrange, car le lacrymo est par définition, qu’on le veuille ou non, une arme chimique. Pour s’en sortir en beauté, la convention stipule que « chaque État partie s’engage à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre ». Autrement dit, on ne peut pas utiliser de lacrymos en temps de guerre contre des soldats…, mais on le peut contre des civils en temps de paix ! Quelle logique là-dessous ? Allez savoir…
La convention de 1993 s’inscrit dans la longue histoire de la guerre chimique, qui a débuté pendant la Grande Guerre. On considère que c’est la France qui a fait le tout premier pas, en août 1914, en aspergeant les tranchées allemandes d’un gaz irritant mais non mortel. Les Allemands mettront un peu de temps à répliquer, en avril 1915, mais ils ne feront pas les choses à moitié (c’est le caractère allemand), puisqu’ils inaugureront le gaz moutarde, ce qui ouvrira la voie à toutes les horreurs qu’on sait.
Interdites car accessibles à tous
Après tout, quand on y réfléchit, pourquoi interdire les armes chimiques ? Parce qu’elles font plus souffrir que les armes traditionnelles ? Ce n’est pas évident. Être brûlé vif ou enseveli sous des gravats n’est pas forcément plus agréable qu’être asphyxié. Quant au manque de discrimination entre civils et militaires, les armes classiques ne font guère mieux, comme on peut le constater chaque jour en Syrie.
En fait, si l’on a interdit les armes chimiques, c’est surtout parce que les pauvres pouvaient se les payer. Dans un texte consacré au sujet, le Sénat l’admet explicitement : « L’utilisation des armes chimiques par des pays du Sud avait clairement illustré les dangers liés à la multiplication du nombre de détenteurs d’armes chimiques, due pour l’essentiel au faible coût de celles-ci. » Une autre motivation étant « l’écrasante supériorité chimique soviétique ».
L’interdiction de telle ou telle arme est motivée par des convenances politiques, et on se pare ensuite de beaux principes pour faire joli. Sinon, pourquoi les lacrymos seraient-ils interdits en temps de guerre et autorisés en temps de paix ? Mais il est vrai que lorsque ça pète sérieusement, il vaut toujours mieux être soldat que civil, c’est une constante dans tous les conflits.
Sous prétexte qu’ils ne tuent pas, les lacrymos sont utilisés à tout bout de champ. Il s’agit pourtant d’armes chimiques. En tant que telles, elles sont interdites en temps de guerre…, mais autorisées contre les civils en temps de paix. Des moyens légaux et très commodes pour restreindre la liberté de manifester.
Aujourd’hui, pas besoin d’être un black bloc cagoulé et lanceur de pavés pour se prendre des lacrymos dans la gueule. Femmes, enfants, retraités, tout le monde y a droit. (Si vous n’avez jamais expérimenté les lacrymos, imaginez qu’on vous verse du poivre dans les yeux pendant qu’on vous appuie fortement sur la poitrine.)
D’une certaine façon, on pourrait dire que les lacrymos sont un progrès. Avant l’avènement de cette technologie, les policiers tiraient allègrement à balles réelles sur les manifestants. Cela ne fait pas si longtemps que la pratique a cessé (en France, les derniers tirs sur la foule datent de 1961 en métropole et de 1974 en Martinique).
Le problème, c’est que cette humanisation policière s’est vite transformée en escalade répressive. Et c’est facile. Il suffit de quelques jets de canettes de bière (vides, en plus, comme si cela risquait d’égratigner quelque peu les Robocop) pour que les CRS arrosent la foule à coups de centaines de lacrymos : parfait pour dissuader les plus pacifiques de défiler. Au pire, on infiltre – un grand classique – deux ou trois flics parmi les black blocs, et le tour est joué.
Or l’usage des lacrymos entre théoriquement dans le cadre de l’article R. 434–18 du Code de la sécurité intérieure, qui a le mérite d’être très clair : « Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. » Sauf que le déluge de lacrymos déversé sur les « gilets jaunes » est tout sauf nécessaire et proportionné.
Les gaz lacrymos ne sont pas seulement défensifs
Le 1er décembre 2018, 15 000 grenades ont été balancées sur Paris en quelques heures. Elles ont été lancées sur des enfants, des femmes avec des poussettes, des handicapés en fauteuil roulant, des manifestants pacifiquement assis, et le tout dans des rues étroites où les paisibles badauds crachaient leurs poumons sans pouvoir s’enfuir (ou alors, au risque de dangereuses bousculades).
Les gaz lacrymos ne sont pas seulement défensifs, ils sont le fer de lance d’une stratégie offensive. Sans même attendre de recevoir les premiers projectiles, les flics éjaculent leurs grenades pour bloquer et disloquer les cortèges. Du point de vue policier, on comprend la logique. Cela permet de faire un tri entre les manifestants « pacifiques » – qui se barrent au premier gazage – et les « irréductibles », ainsi plus faciles à isoler et à arrêter.
C’est un peu l’inverse de ce que, dans Mythologies, Roland Barthes disait à propos des publicités pour détergents : « La saleté n’est plus arrachée de la surface, elle est expulsée de ses loges les plus secrètes. » Avec les lacrymos, la « saleté » est accrochée avant d’être « traitée ».
À ça près que le tri est très discutable, comme le relevait le rapporteur spécial des Nations unies dans un rapport de 2012 : « Le recours au gaz lacrymogène ne permet pas de faire de distinction entre les manifestants et les tiers, observateurs ou passants par exemple, ni entre les personnes en bonne santé et celles dont l’état de santé est défaillant. » Cela rejoint l’analyse de la chercheuse anglaise en sciences sociales Anna Feigenbaum, auteure de Petite histoire du gaz lacrymogène (éditions Libertalia). Elle estime que « son usage vise à semer délibérément la confusion dans une foule – et peut ainsi la « ridiculiser » et l’affaiblir par la suffocation et la nausée » et qu’à ce titre « le lacrymo peut être traîné devant les tribunaux au nom de la liberté de parole et d’assemblée ».
Le pire, c’est qu’il est interdit de se protéger des lacrymos. Si vous venez en manif avec un masque, on considère que vous avez l’intention d’être violent. Or c’est justement l’inverse : comme les flics arrosent tout le monde indifféremment, on peut se faire gazer sans être un casseur. Et dès lors, ce n’est que pure logique, se protéger du gazage ne signifie pas qu’on est casseur. C’est juste de la légitime défense de la part de quelqu’un qui n’a rien fait de répréhensible.
Une banalisation abusive des lacrymos
En plus, même du point de vue du maintien de l’ordre, pas sûr que les lacrymos soient vraiment utiles. Plusieurs études de psychologie sociale ont montré qu’ils avaient plutôt tendance à exciter les manifestants. Un rapport à paraître relate une enquête menée par le biologiste et enseignant Alexander Samuel sur des « gilets jaunes », gazés ou non. Eh bien, les premiers « exprimaient 20 % de plus de perceptions d’humiliation et de honte à cause du comportement des forces de l’ordre », ce qui, poursuit-il, « pourrait être un facteur aggravant des violences des « gilets jaunes » ».
On ne va pas regretter les tirs à balles réelles dans les foules. Les lacrymos sont peut-être plus démocratiques que les mitrailleuses, mais leur banalisation abusive relativise quelque peu ce côté démocratique. Et puis, si les flics tiennent tant à gazer les foules pour ne pas perdre la main, suggérons-leur de balancer du protoxyde d’azote… Autrement dit, du gaz hilarant. Au moins, il y aurait plus de monde dans les manifs.
Scientifiquement parlant, c’est un abus de langage : le fameux « gaz lacrymogène » n’est pas un gaz à proprement parler, mais un nuage de gouttelettes. Son composant actif répandu est les produit chimique baptisé CS (de son vrai nom o-chlorobenzylidène-malonontrile). Le lacrymo ne serait pas toxique, dit-on, mais seulement désagréable. Passons sur les tirs tendus dans la foule – une pratique répandue, comme le savent tous les manifestants et le prouvent de nombreuses vidéos. A part ça, il a quand même été démontré que les lacrymos peuvent déclencher toutes sortes de troubles : difficultés respiratoires, nausées et, dans les cas plus graves, œdèmes pulmonaires, hémorragies internes, voire décès dans des espaces confinés (prisons, notamment). Des effets cancérigènes ont même été soulevés par certaines études… Il y a aussi la question du cyanure. Ce produit extrêmement toxique n’est pas contenu directement dans les lacrymos, mais il est métabolisé dans l’organisme quand on respire ces gaz. Alexander Samuel, docteur en biologie et enseignant en lycée, s’est penché là-dessus, et après avoir passé au crible toute la littérature scientifique, il est formel : « La présence de cyanure a été prouvée dans des études avec des animaux ». Et il n’est pas le seul. Le toxico-chimiste André Picot, éminent directeur de recherche honoraire au CNRS, est tout aussi catégorique : « Il est absolument certain qu’il y a du cyanure métabolisé dans l’organisme. » La seule question n’est donc pas de savoir si l’inhalation de lacrymos produit du cyanure – ça, c’est acquis-, mais si ce poison est à une concentration toxique ou pas. Jusqu’ici, les scientifiques estimaient que le taux de cyanure était faible… Mais Alexander Samuel n’est pas du même avis : « les précédentes études avaient été faites sur une grenade lancée à 20m, mais ce n’est pas la même chose que si on est noyé sous des dizaines de grenades. Là, les doses peuvent être beaucoup plus importantes. » André Picot va exactement dans le même sens : « Il n’y a jamais eu de mesures effectuées sur des manifestants. Il y a bien eu des études menées par des militaires, mais elles n’ont jamais été rendues publiques. Et les gens qui reçoivent des lacrymogènes tous les samedis finissent par épuiser leurs systèmes de défense contre le cyanure. » Le 1er mai, à Paris, avec une équipe de médecins, Alexander Samuel a donc décidé d’utiliser un kit de mesures pour analyser le taux de cyanure chez les manifestants : « Nous avons fait les mesures avant et après la manif, et sur 6 kits de mesures, tous sont devenus violets, ce qui montre la présence de cyanure à un taux élevé. Lors de la manif du 8 juin, on a fait les mesures quantitatives, et on n’a pas trouvé de cyanure avant gazage aux lacrymogènes, et un taux de 0,75 mg/l après gazage alors que le seuil de danger est théoriquement de 0,25 à 0,5. » Même s’il faut rester prudent avant d’affirmer quoi que ce soit -et les conditions dans lesquelles ont été faites ces mesures sont contestées, par des scientifiques (il est vrai que le protocole est discutable, scientifiquement parlant)-, la controverse est loin d’être close. Cyanure ou pas, ce qui est certain, c’est le faible nombre de travaux sur la toxicité des lacrymos. Et donc, sur les preuves de leur non-toxicité.
Enquête 1/3 — Fatigue, infection pulmonaire, problèmes neurologiques… Des manifestants sont restés malades plusieurs jours voire plusieurs semaines après avoir été fortement exposés aux gaz lacrymogènes alors que leurs effets sont censés se dissiper rapidement.
Cet article est le premier d’une enquête en trois volets sur les conséquences des gaz lacrymogènes sur la santé.
Ce ne sont pas des gueules cassées de la manif’, ils n’ont pas de cicatrices visibles, de main mutilée, d’œil aveugle à jamais. L’arme qui les a rendu malades est moins impressionnante et moins questionnée que les lanceurs de balles de défense ou les grenades explosives. Pourtant, elle produit aussi ses effets sur ceux qui y sont exposés : cette arme, c’est le gaz lacrymogène.
Logiquement, c’est tout d’abord au milieu des nuages que l’on peut se trouver mal, après que les grenades ont été lancées à la main ou propulsées à l’aide de lanceurs. « En manifestation, il m’arrive souvent d’aider des personnes qui vomissent ou qui ont l’impression de ne pas pouvoir respirer », raconte Charly [*], street medic à Paris depuis 2017. Ariane [*], infirmière à Clermont-Ferrand, a commencé à soigner les personnes blessées ou en malaise dans les manifestations de Gilets jaunes en février, avec une équipe d’amies. Elles ont constaté que les symptômes se répétaient et que les problèmes respiratoires pouvaient être graves pour les asthmatiques : « Les crises sont difficiles à gérer car la ventoline écarte les bronches et accentue l’effet des gaz. »
Elles ont aussi pris en charge des malaises, et géré les conséquences psychologiques de ces gaz. « Certaines personnes sont totalement désorientées, même une fois sorties du nuage. C’est ce que j’ai observé récemment lors d’une manifestation à Saint-Étienne, où les forces de l’ordre ont beaucoup gazé, à l’aveugle », raconte Ariane. « J’ai déjà retrouvé des personnes prostrées dans des coins, qui ne pouvaient plus bouger et paniquaient à cause des gaz », complète Charly. Pour Ariane, cela s’est déjà terminé à l’hôpital : « Une membre de l’équipe a fait une réaction allergique, tout le visage a gonflé, elle a dû aller aux urgences. »
Les grenades lacrymogènes de 40 mm CM3 et MP3.
En tant que professionnelle du monde médical, elle dispose d’un appareil qui permet de mesurer la saturation du sang en oxygène. « L’idéal est à 100 %. En dessous de 90 %, cela montre une mauvaise oxygénation du sang et donc des organes. En manifestation, on est rarement au-dessus. L’organe le plus touché par ce manque est le cerveau, c’est pour cela qu’il y a des malaises. »
Le gaz lacrymogène utilisé en France contient plus précisément comme matière active la molécule CS (o-chlorobenzylidene malononitrile), choisie pour ses effets irritants, censés se dissiper rapidement dès que l’exposition cesse. Mais les témoignages recueillis par Reporterre montrent que certains effets persévèrent plusieurs jours voire plusieurs semaines après la manifestation. Tous lient l’importance ou la durée des symptômes à l’intensité de leur exposition aux gaz. Les descriptions se recoupent avec celles collectées par Mediapart à la suite de la manifestation du 23 mars dernier à Montpellier, où l’utilisation de gaz avait été particulièrement intense.
Bronchite, bouche et yeux irrités, saignements de nez et mal de ventre
Les maux de tête et de ventre reviennent le plus fréquemment dans les témoignages. « Après les manifestations où j’ai mangé beaucoup de gaz, j’ai des migraines et un dérèglement intestinal, des diarrhées dans les jours qui suivent », poursuit Charly. « S’il y a plus de gaz, ou que je me suis fait confisquer mon matériel et suis moins protégée, les symptômes durent plus longtemps. » Certains racontent ne pas arriver à manger pendant plus d’une semaine et subir des pertes de poids.
Les conséquences sur la peau et les yeux peuvent aussi perdurer. Ariane se souvient avoir déjà eu « une réaction cutanée, avec la bouche et les yeux irrités pendant deux semaines ».
Là encore, bronches et poumons sont particulièrement touchés, souvent pris d’assaut par une infection dans les jours qui suivent une exposition. « Une de mes équipières fait régulièrement des bronchites après les manifestations », observe Ariane. Claire, infirmière vivant du côté de Nîmes, a rejoint les Gilets jaunes dès le 17 novembre. Mais elle a découvert ces effets le 16 mars. « On est montés à Paris, on n’avait pas pris les masques pour ne pas se les faire confisquer. Après, j’ai eu une infection pulmonaire qui a durée trois semaines, j’ai été mise sous antibiotiques. »
Des street medics, à Toulouse.
Sarah [*] s’est carrément retrouvée à l’hôpital pendant dix jours, à la suite de la manifestation du 16 février à Montpellier : « Le lendemain, j’ai cru que j’avais une grippe. Puis je n’arrivais plus à me lever, ni à manger. Au bout de cinq jours, mon mari a pris ma saturation en oxygène : j’étais à 72 %. Il m’a emmenée aux urgences. » Les médecins lui diagnostiquent une pneumonie. « Ils m’ont gardée dix jours, et une fois sortie je suis restée quinze jours de plus sous antibiotiques », se rappelle-t-elle. « D’habitude, je ne vais jamais chez le médecin, je ne suis jamais malade. »
« Je ne pouvais même plus emmener ma fille à l’école »
La sensation de fatigue particulièrement intense revient aussi régulièrement dans les récits. « J’ai mis un mois à me remettre de la manifestation du 9 juin, lors de l’Acte 30 », se rappelle notamment Doki, observatrice de la section de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Montpellier. « J’avais les jambes coupées, je me sentais comme si je faisais une grosse dépression, et j’ai chopé une laryngite. Je ne pouvais même plus emmener ma fille à l’école. »
D’autres symptômes sont plus surprenants. Gilet jaune de l’Hérault, Stéphane [*] a parfois combiné manifestation du samedi et actions militantes dans la même semaine. Le 23 mars dernier, à Montpellier, il a été exposé plus intensément que d’habitude. « J’ai eu des problèmes au niveau des mollets, je me sentais comme après un marathon. Ma compagne, de son côté, est allée chez le kiné pendant des semaines. Cela ne s’est calmé que quand on n’est plus allés en manif’. » Il rapporte, une fois, une irritation de la gorge telle qu’il crachait du sang, et « des saignements de nez qui m’obligeaient à me lever la nuit ». Claire est elle aussi abonnée au nez qui saigne, mais a également eu « des problèmes neurologiques comme une mauvaise coordination des mouvements. En parlant autour de moi, je me suis rendue compte que les gens avaient les mêmes symptômes », relate-t-elle.
Les manifestants se munissent de masques à gaz pour se protéger.
Une étude menée par des Gilets jaunes a tenté de mieux caractériser ces symptômes. Soizic Lesage, retraitée Gilet jaune dont le médecin lui a « formellement interdit de se faire gazer », a décidé de se rendre utile en récoltant les témoignages, avec une petite équipe de médecins. « On a établi une liste d’une cinquantaine de questions et distingué les symptômes pendant le gazage, juste après, puis dans les jours qui suivent », explique-t-elle. L’équipe a recueilli les témoignages durant les mois de mai, juin et juillet principalement, puis a regroupé l’ensemble des réponses dans un tableau anonymisé détaillant 47 cas. Ainsi, il apparaît qu’au moment du gazage, la toux, les difficultés respiratoires et les brûlures au niveau des yeux et de la peau sont logiquement — ce sont les effets recherchés — les symptômes les plus ressentis. Certains ont également eu des nausées (28 personnes) ou des vertiges. Dans les minutes et heures qui suivent, l’irritation se calme mais les vertiges persistent. Apparaissent sensation de désorientation, maux de tête et même troubles de la mémoire (pour 19 personnes sur 47, soit 41 %). Dans les jours et semaines qui suivent, les symptômes semblent même s’accentuer. 94 % des témoignages relatent une forte fatigue, des problèmes de sommeil. Les problèmes respiratoires, la toux, les fortes irritations des yeux et de la peau reviennent de plus belle. Les maux de tête persistent. Crampes musculaires et pertes d’appétit sont aussi signalées, voire une insuffisance hépatique. « On a dû ajouter des colonnes au fur et à mesure des témoignages, on est tombés sur des symptômes auxquels on ne s’attendait pas », raconte Soizic. « Notamment ceux qui pourraient être le signe d’une atteinte neurologique, comme les pertes de mémoire. »
Autre résultat surprenant, des femmes rapportent des troubles gynécologiques. Un tiers de celles qui ont témoignées et sont ménopausées évoquent un retour des règles. Parmi les non ménopausées, plus d’un quart signalent que leurs règles sont irrégulières depuis qu’elles respirent des gaz lacrymogènes. Plusieurs femmes ont effectivement relaté à Reporterre des effets sur leur cycle menstruel. « J’étais en pleine période de règles un samedi où je n’avais pas mis mon matériel correctement, se souvient Charly. Le lendemain, les règles s’étaient interrompues, puis elles ont repris deux jours après. » Ariane a échangé sur le sujet avec ses coéquipières : « Je n’ai pas eu mes règles pendant deux mois. Une autre ne les a pas eues pendant trois mois. À l’inverse, une a ses règles trois fois dans le mois à chaque fois qu’elle va en manifestation. » Elles s’interrogent : stress ou effet des gaz ?
Les forces de l’ordre rechignent à évoquer le sujet
Le tout montre des conséquences durables du gaz lacrymogène sur les personnes régulièrement ou fortement exposées. Stéphane a fini par constater une baisse de forme générale, alors qu’il exerce un métier physique : « Avant, sur les chantiers, je bougeais un mètre cube de sable en une ou deux heures, maintenant cela me prend la journée… Je faisais des semi-marathons, désormais je mets une semaine à me remettre d’une manif. » Claire, qui exerce en libéral, a dû diminuer le nombre de jours qu’elle travaille chaque mois. « Mais je n’ai pas d’enfants, il ne me faut pas grand-chose pour vivre, et mes patients me soutiennent », indique l’infirmière.
Si beaucoup hésitent à témoigner du côté des Gilets jaunes — et la plupart préfèrent l’anonymat — c’est également compliqué d’avoir des témoignages de la part des membres des forces de l’ordre. Le service de communication de la police nationale indique qu’il n’y a jamais eu la moindre remontée de problèmes liés aux gaz lacrymogènes.
Selon le syndicat Alliance, « il n’y a pas de collègues qui se plaignent des gaz lacrymogènes ».
Côté syndicats, l’Unsa police refuse de répondre à nos questions. Chez Alliance, « il n’y a pas de collègues qui se plaignent des gaz lacrymogènes », indique Jean Cavallero, délégué national des CRS. Christophe Miette, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure avait été amené à se renseigner, des collègues lui ayant signalé avoir été incommodés après une manifestation riche en gaz à Montpellier (celle du 23 mars) : « Un plus grand nombre de grenades ayant été utilisées, il y avait plus de particules irritantes dans l’air », a-t-il conclu. Seuls les syndicats minoritaires s’inquiètent des conséquences sur la santé, comme le syndicat Vigi. Michel Thooris, secrétaire général de France police – Policiers en colère, demande quant à lui une étude sur les conséquences « pour les collègues qui sont en contact sur le long terme avec ces produits. On avait envoyé une lettre pour demander une étude, à l’époque où le ministre de l’Intérieur était Manuel Valls, mais elle n’a jamais reçue de réponse », indique-t-il.
« Pour moi les lacrymos, c’est aussi dangereux que les LBD, estime Ariane. Ça pénètre dans notre organisme et ça y reste pendant un certain temps. On va finir par voir des maladies chez ceux qui y sont exposés tous les week-ends », craint l’infirmière. Reste un effet à long terme, lui, facilement observable : la majorité des personnes interrogées par Reporterre vont désormais moins souvent en manifestation.
L’utilisation massive de gaz lacrymogènes inquiète les scientifiques du monde entier
Enquête 2/3 — L’utilisation massive des gaz lacrymogènes pour réprimer les foules est alarmante : aspergés en grande quantité, de manière répétée, ou dans des milieux confinés, ils se révèlent dangereux comme le montrent plusieurs études scientifiques.
Cet article est le deuxième d’une enquête en trois volets sur l’impact des gaz lacrymogènes sur la santé. Pour lire le premier, c’est ici.
Venue à Paris pour le premier anniversaire des Gilets jaunes, Nelly a connu un lendemain de fête douloureux. Diarrhées, nausées, vomissements, grosse fatigue, perte d’appétit, mal de tête… « J’ai perdu trois kilos », a-t-elle expliqué à Reporterre quelques jours après la manifestation du 16 novembre dernier. Nelly s’est retrouvée malgré elle nassée place d’Italie. « On a essuyé 2 h 30 de tirs nourris de lacrymos, Flash-Ball, grenades explosives… Tout le monde crachait, pleurait, raconte la jeune retraitée. C’est la première fois que j’étais exposée à autant de gaz, aussi concentrés, car il n’y avait pas de vent et les fumées sont restées stationnaires », poursuit-elle. Le résultat, son médecin l’a constaté à son retour chez elle, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Il lui a fourni un certificat médical et prescrit une batterie d’analyses pour vérifier son état de santé général. Dix jours plus tard, elle était toujours affaiblie et les maux de ventre persistaient.
Comme Reporterre l’a constaté au travers de multiples témoignages — auxquels nous avons consacré le premier volet de notre enquête — les gaz lacrymogènes ne provoquent pas que des pleurs et une irritation passagère. Les symptômes constatés chez les Gilets jaunes interrogés sont très divers : allergies, maladies des bronches et des poumons, fatigue extrême, troubles digestifs voire perturbation du cycle menstruel. Pour certains, les effets d’une exposition aux gaz lacrymogènes durent plus d’un mois. Une manifestante a même été hospitalisée.
Les gaz lacrymogènes ont été adoptés pour contrôler les foules, notamment dans les empires coloniaux
Le gaz lacrymogène a été utilisé pour la première fois pendant la Première Guerre mondiale. L’historienne Anna Feigenbaum démontre, dans sa Petite histoire du gaz lacrymogène (éd. Libertalia, 2019) [1] que ce dernier a été promu auprès des gouvernements dès les années 1920 et qu’il a été « assimilé non plus à une arme toxique, mais à un moyen inoffensif de préserver l’ordre public ». Il a peu a peu été adopté pour contrôler les foules, en particulier dans les empires coloniaux, ou ensuite pendant la guerre du Vietnam par les États-Unis pour déloger les Viêt-congs des tunnels.
Il est classé parmi les armes chimiques dites « non létales » et désormais interdit dans un cadre militaire par la Convention de Genève de 1993, mais on peut cependant continuer de l’utiliser dans un cadre civil. La substance active choisie par la France est la molécule CS (2-chlorobenzylidène malonitrile). Celle-ci a été découverte en 1928 par deux chimistes britanniques. La très grande marge entre la dose à partir de laquelle elle est irritante et celle à laquelle elle s’avère létale pourrait la faire passer pour inoffensive. Pourtant, son utilisation massive afin de réprimer les foules pose question. Utilisés en grande quantité, de manière répétée, ou dans des milieux confinés, les gaz lacrymogènes peuvent se révéler dangereux et parfois mortels.
Les premières apparitions massives du gaz lacrymogène remontent à la guerre de 1914-1918.
L’ONG étasunienne Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits humains) avait recensé, en mars 2012, 34 morts en lien avec l’usage des gaz lacrymogènes, depuis le début du soulèvement populaire survenu un an plus tôt au Bahrein. Beaucoup étaient dus à la pénétration des gaz dans les habitations des quartiers abondamment arrosés. Parmi les grenades utilisées, certaines étaient probablement exportées par la France, avec autorisation du gouvernement. À la même période, un documentaire étasunien dénonçait les exportations de grenades au gaz CS vers l’Égypte, déversées chaque jour sur les manifestants lors de la révolution de 2011. Des médecins y rapportaient plusieurs cas de décès attribués aux gaz lacrymogènes.
En 2017, une étude de l’université de Berkeley s’intéressait à leur usage, jusqu’à plusieurs fois par semaine, dans les camps de réfugiés palestiniens. Parmi les conséquences rapportées : crises d’épilepsie, avortements spontanés, fausses couches, problèmes de sommeil, stress aigu et syndromes de stress post-traumatique.
En octobre dernier, des scientifiques de Hong-Kong s’inquiétaient de l’emploi de « plus de 3.000 cartouches » de gaz lacrymogène CS contre les manifestants pro-démocratie, dans un court article publié dans The Lancet. « Dans l’environnement humide subtropical de Hong-Kong, le déploiement de gaz lacrymogènes dans des espaces clos et des stations de métro très fréquentées, à proximité de centres commerciaux, peut exposer les gens à de très fortes concentrations de gaz lacrymogènes pendant un temps prolongé », écrivaient-ils.
« De nombreux rapports indiquent que l’utilisation et le mauvais usage de ces produits chimiques peuvent causer des blessures graves »
Toute une littérature scientifique vient ainsi documenter des cas de patients malades des gaz lacrymogènes, parfois même des décès. Un article de 2017, paru dans la revue BMC Public Health, compile 31 études de 11 pays documentant des dommages causés par des gaz lacrymogènes sur des manifestants. « De nombreux rapports indiquent que l’utilisation et le mauvais usage de ces produits chimiques peuvent causer des blessures graves », indiquent les auteurs. Sur plus de 5.000 cas, ils relèvent notamment deux morts (un pour des problèmes pulmonaires et un dû à l’impact de la grenade). 58 cas « d’incapacité permanente » sont aussi signalés, dont 14 personnes avec des symptômes psychiatriques persistants, et 23 avec des problèmes respiratoires chroniques. 8 % des problèmes de santé documentés « étaient sévères et ont nécessité une intervention médicale professionnelle », indiquent-ils encore. « Nos recherches démontrent qu’il y a un sévère risque de mauvais usage » des armes chimiques en manifestation, concluent-ils. « Elles peuvent potentiellement porter atteinte aux libertés en causant des blessures, en intimidant les communautés et en menant à une escalade de la violence. »
Pour certains Gilets jaunes, les effets d’une exposition aux gaz durent plus d’un mois.
Une équipe proche des Gilets jaunes, rassemblant médecins, infirmières et Alexander Samuel, un docteur en biologie, a collectionné les articles scientifiques rapportant les effets du CS. Une bibliographie que Reporterre a pu éplucher. Des décès sont signalés, en particulier dans des cas où les personnes étaient dans des lieux clos, comme les prisons.
La peau, les yeux et les poumons sont particulièrement touchés. Ainsi, pour la peau, les réactions recensées vont de la rougeur à la brûlure, en passant par l’eczéma, l’apparition de croûtes et des réactions allergiques. Autre cible privilégiée, les yeux. « Chez des personnes exposées, j’ai soigné des conjonctivites ou des œdèmes de cornée [la cornée enfle, on voit trouble]. En général, au bout de dix jours, les symptômes passent », explique Christiane Blondin, ophtalmologue membre de l’équipe qui a travaillé sur les effets pour les yeux. « La littérature scientifique rapporte des problèmes durables à la vision, notamment des risques de cataracte. J’ai envoyé ces informations à la Société française d’ophtalmologie, j’attends leur retour. » Pour les poumons, une étude de scientifiques turcs sur les conséquences à long terme chez 93 patients régulièrement exposés aux gaz lacrymogènes lors de manifestations donne une idée du tableau : « débit expiratoire » diminué, bronchites chroniques augmentées, toux et douleurs à la poitrine durant parfois plusieurs semaines. Du côté du système digestif, nausées et vomissements ont également été documentés. Ces symptômes digestifs et respiratoires correspondent à ceux décrits dans les témoignages recueillis par Reporterre.
« Les effets du CS dépendent de la concentration du produit, de la durée d’exposition, du contexte, mais aussi de la personne, notamment si elle a des antécédents respiratoires », résume Jean-Marc Sapori, toxicologue au centre anti-poison de Lyon. L’exposition quasi hebdomadaire des Gilets jaunes lui a apporté quelques patients. « J’en ai envoyé aux urgences pour une ulcération cornéenne » (une blessure sur la cornée de l’œil), indique-t-il. Pour les effets à long terme, il signale avant tout l’effet sur les poumons : « Une exposition répétée, comme celle des Gilets jaunes qui manifestent tous les samedis, va faire que le temps de récupération des bronches et des poumons sera de plus en plus prolongé. Si on s’expose à nouveau alors que l’on n’a pas récupéré de la semaine précédente, on peut à terme développer de l’asthme ou une BPCO [bronchopneumopathie chronique obstructive, maladie chronique inflammatoire des bronches]. En hiver, s’il y a contact avec un virus, cette irritation peut être un terrain favorable pour une infection. »
Une autre utilisation répétée en France, moins médiatisée, est celle faite sur les migrants. En 2018, le Défenseur des droits avait dénoncé« un usage parfois injustifié du gaz lacrymogène ».
Aucun problème de santé selon les forces de l’ordre
Autant de données qui tranchent avec le discours officiel sur le sujet. « Les gaz lacrymogènes, cela fait pleurer, cela fait tousser. Si un risque était avéré, le ministère de la Santé aurait pris des mesures pour interdire ce produit », nous indique le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop). « Par ailleurs, nous n’avons aucune remontée de problèmes de santé liés aux gaz lacrymogènes au sein des forces de l’ordre. » On nous confirme par ailleurs que les grenades lacrymogènes peuvent être utilisées sans restriction de quantité. Le tout est de respecter le « cadre légal ».
Reporterre a tenté de savoir si leur utilisation a augmenté depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. « On sait combien de grenades sont utilisées à chaque manifestation, il y a des rapports », nous apprend Jean Cavallero, délégué national des CRS du syndicat Alliance. Mais il faut l’accord de la direction générale pour communiquer. » Contacté, le ministère de l’Intérieur ne nous a pas encore répondu. « L’utilisation a augmenté depuis les Gilets jaunes », indique cependant M. Cavallero, confirmant un constat largement partagé par tous les observateurs des mouvements sociaux. Beaucoup font débuter cette montée en intensité aux manifestations contre la loi Travail, en 2016.
À l’international, « les manifestations qui ont ébranlé le monde ces dernières années ont fait exploser les ventes de gaz lacrymogène », écrivait dans le Monde Diplomatique en mai 2018 l’historienne Anna Feigenbaum. « Quels dommages cause-t-il à ses victimes ? Quels problèmes pose-t-il en matière de santé publique ? Nul ne le sait, car personne ne s’en soucie. Dans aucun pays il n’existe d’obligation légale de recenser le nombre de ses victimes. Aucune obligation non plus de fournir des données sur ses livraisons, ses usages, les profits qu’il génère ou sa toxicité pour l’environnement », poursuivait-elle. Alors qu’il tentait de connaître la formule précise (avec les additifs qui peuvent influencer la puissance du gaz) des grenades lacrymogènes, un journaliste de Reporterre s’était vu opposer un silence assourdissant sur le sujet. Plus récemment, au salon Milipol, les deux principaux fournisseurs de l’État français, Alsetex et Nobel Sport, ont refusé de répondre à Reporterre.
Mais que l’on se rassure, l’État français gère rigoureusement ses stocks. « Parfois ils diminuent, mais on complète toujours assez vite », indique Jean Cavallero, délégué national des CRS du syndicat Alliance.
Les gaz lacrymogènes exposent-ils au cyanure ? Un biologiste l’assure
Enquête 3/3 — Depuis huit mois, Alexander Samuel, biologiste, étudie la dangerosité des gaz lacrymogènes. Le coupable : le cyanure ingéré à fortes doses lorsqu’un manifestant est massivement et régulièrement gazé. Pour le prouver, il se base sur des prises de sang et une solide littérature scientifique.
Cet article est le troisième et dernier d’une enquête sur les effets des gaz lacrymogènes sur la santé. Le premier est ici, le deuxième, là.
Professeur de mathématiques le matin, chercheur un peu pirate l’après-midi et le soir. Voilà la vie d’Alexander Samuel depuis maintenant plus de huit mois. Son sujet d’investigation est, en cette période de mouvements sociaux, d’une prégnante actualité : les effets à long terme des gaz lacrymogènes sur la santé. Et il est parvenu à une conclusion inquiétante : une partie de leurs effets les plus nocifs seraient dus au cyanure.
Enseignant dans un lycée professionnel à Grasse (Alpes-Maritimes), mais aussi détenteur d’un doctorat en biologie, il a pénétré dans le trouble nuage des lacrymos un peu par hasard. Se décrivant comme « très écolo », avec « pas mal de potes zadistes », il s’est d’abord tenu à distance des Gilets jaunes, y voyant un mouvement loin de ses préoccupations. Jusqu’à ce que des amis le traînent à une manifestation, le samedi 23 mars dernier, à Nice. « Je me suis retrouvé aux premières loges de l’affaire Geneviève Legay. J’ai voulu témoigner, j’étais très actif sur les réseaux sociaux et des Gilets jaunes m’ont contacté. » Il leur envoie son témoignage, et signe de son titre de docteur en biologie. « Ils m’ont répondu : “on a un truc pour toi”. Et ils m’ont envoyé un résultat d’analyse de thiocyanates. »
Un taux élevé de thiocyanates dans le sang pourrait démontrer une exposition au cyanure
Les thiocyanates sont le produit de la dégradation du cyanure dans le corps. Alors que le cyanure est rapidement transformé, les thiocyanates peuvent persister et être mesurés pendant plus de deux semaines. Un taux élevé de thiocyanates chez un manifestant pourrait donc montrer qu’il a été exposé au cyanure, via les gaz lacrymogènes. « Au début, quand les Gilets jaunes m’en ont parlé, j’ai cru à une fake news, raconte Alexander Samuel. Mais les témoignages de personnes malades des gaz m’avaient l’air sincères. »
Outre les irritations classiquement attendues, certains lui rapportent des évanouissements, des vertiges, des fatigues extrêmes, des problèmes musculaires, hépatiques (du foie) ou cardiaques. C’est ce qu’Alexander Samuel appelle les « effets cyanure ». « Le principal effet du cyanure est le blocage de la chaîne respiratoire des cellules », explique-t-il. Les organes très consommateurs d’oxygène comme le cerveau ou les muscles sont alors touchés, ce qui explique ces symptômes — Reporterre avait d’ailleurs collecté des témoignages relatant de tels troubles. « Mais ils sont trop généralistes, reconnaît M. Samuel. J’ai donc eu une démarche dans l’autre sens. J’ai regardé s’il était possible que la molécule utilisée dans le gaz lacrymogène nous expose au cyanure. » Il déroule la démonstration, tantôt pédagogique, tantôt emporté par ses termes de spécialiste.
« Au début, quand les Gilets jaunes m’en ont parlé, j’ai cru à une fake news. »
Il vérifie rapidement que c’est effectivement le cas. La molécule utilisée dans les gaz lacrymogènes en France est du o-chlorobenzylidène malonitrile, appelée CS. Elle libère, une fois dans l’organisme, un peu de cyanure, ce célèbre poison, que l’on croise dans pas moins de cinq romans d’Agatha Christie et de nombreuses fois dans l’histoire… Le gaz lacrymogène, désormais régulièrement et abondamment utilisé en manifestation, peut-il causer des intoxications (même légères), ou des problèmes chroniques du fait du cyanure ? Pour répondre à la question, il faut pouvoir doser la quantité de cyanure pouvant arriver dans le corps par les gaz lacrymogènes.
Car, en matière de cyanure, la dose fait le poison. La cigarette ou l’alimentation (pépins de certains fruits, manioc) sont des sources d’exposition quotidiennes au cyanure. « Quand il y en a peu, il est rapidement neutralisé par l’organisme, nous indique le toxico-chimiste André Picot, un soutien de poids qui encourage Alexander Samuel dans ses recherches. Mais chez les personnes qui y sont exposées tous les week-ends via les gaz lacrymogènes, le système de défense s’épuise, et le cyanure commence à jouer son rôle toxique. » Alexander Samuel poursuit : « Il y a des effets directs, sur le moment, quand on est exposés à de fortes doses. Mais il y a aussi les effets d’une exposition répétée. Les boxeurs qui ont des hypoxies [manque d’oxygène] toutes les semaines développent ensuite la maladie de Parkinson. »
D’un débit rapide, Alexander Samuel détaille chacune de ses affirmations. Son smartphone dans une main et son ordinateur dans l’autre, il fait défiler les documents, mitraille les informations qu’il a commencé à « résumer » dans un document de plus de cent pages, qui s’appuie sur plus de 400 références, majoritairement tirées de la littérature scientifique. Il partage chaque nouvelle trouvaille, sur sa page Facebook mais aussi sur le site qu’il a créé. « Je fais de la recherche open source », lance-t-il d’un air nonchalant.
« Dès que vous respirez le gaz, il pénètre très rapidement, arrive dans le sang, des réactions se produisent et il libère une molécule de cyanure »
Le biologiste a identifié deux voies d’exposition au cyanure. Tout d’abord, la molécule de CS peut libérer, comme on l’a vu, le cyanure une fois dans le corps. « Le gaz CS fait partie des molécules plutôt instables, explique André Picot. Dès que vous le respirez, il pénètre très rapidement, arrive dans le sang, des réactions se produisent et il libère une molécule de cyanure. » Alexander Samuel cite une étude des années 1980, qui avait tenté de calculer quelle quantité de cyanure pouvait ainsi se retrouver dans le corps [1]. « Elle indiquait qu’un manifestant situé à vingt mètres, pendant dix minutes, d’une grenade lacrymogène, recevait autant de cyanure que dans deux bouffées de cigarettes de l’époque [la cigarette expose aussi au cyanure] », résume Alexander Samuel. Mais cette valeur doit être désormais revue à la hausse, estime-t-il : « Avec des calculs plus proches de nos réalités de manifestation, où l’exposition est plus forte et plus longue, on peut atteindre des doses de cyanure bien plus élevées. »
Le cyanure pourrait aussi être directement libéré dans l’air. « La dégradation du CS à forte température produit du cyanure, poursuit Alexander Samuel. Une étude de 2013, menée au sein de l’armée étasunienne, montre que cela arrive dès 100 degrés, et que les soldats sont exposés. » Elle conclut notamment que, même si les quantités de cyanure repérées restent en dessous des limites d’exposition, il faudrait « de nouvelles recherches sur les effets d’une exposition chronique », les soldats étant régulièrement au contact du CS. On pourrait donc, tout simplement, respirer du cyanure quand on se fait gazer en manifestation.
Des soldats étasuniens dans une « chambre » dédiée pour leur faire faire l’expérience de l’exposition au gaz lacrymogène CS.
Pour Alexander Samuel, une personne exposée régulièrement plusieurs heures d’affilée aux gaz lacrymogènes risque d’avaler des doses de cyanure dangereuses pour la santé. Pour le démontrer, des Gilets jaunes avaient déjà incité à faire des analyses de thiocyanates (dérivé du cyanure dans le corps, comme nous l’avons expliqué plus haut). Des groupes Facebook de Gilets jaunes avaient relayé, dès avril, des résultats montrant des taux de thiocyanates supérieurs à la normale chez certains manifestants. Mais elles avaient été jugées insuffisantes par les toxicologues interrogés dans différents médias pour juger d’une intoxication au cyanure. Les taux étaient importants, certes, mais pas suffisamment significatifs selon eux. Et puis, comment prouver que c’est bien par les gaz lacrymogènes, et pas par l’alimentation ou la cigarette, que ces personnes ont été exposées ? Les articles de presse publiés en avril et mai dernier avaient donc écarté cette hypothèse. « Le danger des gaz lacrymogènes vient plus de leur effet irritant que de potentielles traces de cyanure », avait conclu LCI, résumant ainsi la position de la majorité des médias.
« Quand beaucoup de grenades lacrymogènes sont lancées sur des personnes nassées, il y a lieu de s’inquiéter »
Mais Alexander Samuel, à l’aide de trois médecins, a aussi réuni plus d’une cinquantaine d’analyses de thiocyanates dans le sang ou les urines de manifestants, présentant des taux élevés. Face aux critiques des toxicologues relayées dans les médias, « on a décidé de mesurer directement le cyanure présent dans le sang au moment de la manifestation », explique-t-il, le regard déterminé encadré par sa barbe et ses cheveux détachés, tous deux longs et roux. Pour ce faire, le biologiste a trouvé un test développé par une jeune entreprise suisse, Cyanogard, qui permet de mesurer facilement de taux de cyanure dans le corps. Les premières tentatives, le 20 avril et le 1er mai, ont été un échec relatif. Le test s’est révélé difficilement lisible, et une polémique s’est installée, partant du petit monde des Gilets jaunes et des street medics pour atterrir dans les médias. Les prises de sang « sauvages » en manifestation sont dénoncées comme dangereuses. Une enquête préliminaire est ouverte par le parquet de Paris, notamment pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Toutes les personnes étaient consentantes, avaient des ordonnances, et les prises de sang ont été faites par des professionnels, se défendent Alexander et les trois médecins.
Des manifestants dans les gaz, le 1er mai 2019 à Paris.
Finalement, il a fait une ultime tentative de mesure, en juin. Cette fois-ci, ce sont lui et son équipe qui ont joué les cobayes, prélevant leur sang avant la manifestation, puis après exposition aux gaz. Ce jour-là, l’équipe de médecins et le biologiste étaient accompagnés de la journaliste du Nouvel Obs Emmanuelle Anizon et du fabricant du kit de mesure. « Je suis resté dans les gaz jusqu’à avoir des vertiges, ce qui arrive régulièrement à des gens », raconte Alexander Samuel. Pour lui, le résultat est cette fois-ci sans appel, les analyses montrent que les taux de cyanure augmentent significativement, et atteignent « des niveaux supérieurs au seuil de dangerosité », indique-t-il. Désormais, « on sait qu’il y a du cyanure, poursuit-il. Donc quand beaucoup de grenades lacrymogènes sont lancées sur des personnes nassées, et utilisées en quantité importante et de façon répétée, il y a lieu de s’inquiéter. » Il relève notamment qu’« il n’y a aucune limitation du nombre de grenades lacrymogènes pouvant être utilisées par les forces de l’ordre ».
Son discours reste cependant contesté par plusieurs toxicologues français, et notamment Jean-Marc Sapori, du centre anti-poison de Lyon, qui travaille dans le domaine des NRBC — comprenez risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. « Le test de Cyanoguard n’est utilisé ni en France ni en Suisse, et cette firme ne répond pas aux normes. Je reste donc très prudent quant à l’efficacité de ce test, conteste-t-il. Par ailleurs, reprenez les articles scientifiques qui synthétisent les conséquences d’une exposition au gaz lacrymogène. Les effets décrits ne correspondent pas à ceux d’une intoxication au cyanure. » Il préfère en rester à la réponse scientifique majoritairement donnée aujourd’hui, qui écarte la possibilité que le CS produise suffisamment de cyanure pour atteindre des doses dangereuses.
Un silence officiel est entretenu autour des effets sur la santé potentiels des gaz lacrymogènes
Alexander Samuel estime que le débat a été prématurément enterré. Une expérimentation en bonne et due forme serait donc nécessaire pour conclure la discussion. Mais veut-on vraiment connaître la vérité ? Alexander Samuel voulait doubler ses analyses avec un protocole plus officiel. « J’ai contacté tous les laboratoires de France qui possédaient l’appareil nécessaire, ils m’ont tous répondu qu’il n’est pas possible de le paramétrer pour le cyanure », regrette-t-il. Il a tenté en Belgique, où un toxicologue avait accepté de recevoir les échantillons, avant de se retirer.
Comme Reporterre l’a expliqué dans ses précédents articles, en France, un silence officiel est entretenu autour des effets sur la santé potentiels des gaz lacrymogènes. Il faut dire qu’au-delà de leur utilisation pour le maintien de l’ordre, ils représentent un marché prospère. « Le secteur de la sécurité a connu 4,5 % de croissance annuelle en moyenne entre 2013 et 2017 », se félicitait le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au salon Milipol 2019. Car la France exporte en quantité du matériel de répression.
Pour tenter de briser ce silence, Alexander Samuel écrit, sollicite, échange en permanence sur le sujet avec des scientifiques un peu partout dans le monde. Il a traduit la synthèse de son travail en anglais afin de la partager le plus largement possible. Il a commencé à faire relire le résultat de son travail par certains pontes de la recherche en toxicologie, afin d’obtenir une validation scientifique lui donnant plus de poids. André Picot l’aide aussi à peaufiner son rapport. Il poursuit ses recherches, nous parle d’une nouvelle astuce qu’il aurait trouvée pour calculer la quantité de cyanure se retrouvant dans le corps. Il tire tous les fils, a aussi pris contact avec des politiques. « Il s’agit d’un problème de santé publique, et on a des éléments suffisants pour sonner l’alerte », répète Alexander Samuel à qui veut bien l’écouter.
Le maintien de l’ordre est éclaboussé par plusieurs scandales, et dans ces affaires le gouvernement a une lourde responsabilité. À Marseille, une octogénaire, Zineb Redouane, est morte après avoir reçu un tir de grenade lacrymogène, effectué par un CRS, alors qu’elle fermait ses volets, le 1er décembre 2018. Une instruction est ouverte à Lyon, la famille ayant obtenu le dépaysement du dossier. Si la dérive du maintien de l’ordre avec son lot de bavures, ne date pas du mouvement des Gilets jaunes, il a pris une particulière acuité depuis novembre 2018. Comme si la seule réponse à la soif d’égalité et de démocratie était la répression et de décourager les manifestants. Les policiers à qui le gouvernement ordonne de faire le sale boulot ne sont pas non plus épargnés.
Scandale sanitaire ?
Il ne s’agit pas ici de faire peur mais d’exposer des faits à l’aune, notamment, du travail minutieux du biologiste Alexander Samuel sur la nocivité des gaz lacrymogènes. Les armes utilisées à grande échelle ont provoqué à ce jour 2 448 blessés parmi les manifestants et 561 signalements ont été déposés à l’IGPN, selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur. Au 21 novembre 2019, l’État a recensé un total de 9 071 tirs de LBD, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées et 5 420 tirs de grenades de désencerclement Selon le décompte du journaliste David Dufresne, 25 personnes ont été éborgnées et cinq mains arrachées. C’est à ce jour le plus gros scandale du maintien de l’ordre. Un autre est en train de poindre et pourrait devenir un véritable scandale sanitaire.
« Les lacrymos causent des intoxications au cyanure » Alexander Samuel, docteur en biologie
Les forces de l’ordre avancent dans un nuage de lacrymos après avoir lancé des grenades, le 17 novembre, aux abords de la Plaine (Marseille) , pour empêcher la tête de cortège des Gilets jaunes d’y prendre pied. Un usage massif qui n’épargne ni les manifestants pacifiques, ni habitants et passants ni policiers et gendarmes. PHOTO Sylvain Fournier
Docteur en biologie et enseignant, Alexander Samuel mène des recherches depuis plusieurs mois sur les effets du gaz lacrymogène : « Le gaz CS provoque des intoxications au cyanure qui est libéré dans le sang après inhalation ». Il livre ici sa démarche et ses premières conclusions. Édifiant.
La Marseillaise : Pourquoi se pencher sur de supposés liens entre le gaz lacrymos et cyanure ? Alexander Samuel : Des Gilets jaunes m’ont montré des résultats d’analyses au cyanure, enfin, un dérivé du cyanure, le thiocyanate, qui reste deux semaines dans le sang, le cyanure reste quelques minutes, au maximum une heure. Ils étaient convaincus que cela venait des lacrymos. Je suis spécialiste fake news de l’Académie de Nice, et leur ai dit que c’était une fake news. Et en tant que biologiste, j’ai voulu démontrer que c’était bidon… Même s’ils m’ont décrit des symptômes qui n’étaient pas simplement dus aux grenades lacrymogènes, mais pouvant être reliés au cyanure, comme tomber dans les pommes, etc. Cela pouvait aussi être dû à tout et n’importe quoi. J’ai, dans un premier temps, regardé rapidement la littérature scientifique.
Et qu’avez-vous constaté ? A.S. : J’ai été étonné. Depuis les années cinquante, les études montrent que ce gaz libère du cyanure dans le sang, par métabolisme. Il n’y a pas du cyanure caché, dans la grenade, c’est une grosse molécule qui contient des groupements de cyanure, et ces groupements quand ils sont libérés, sont dangereux. Donc, le cyanure est bien présent dans le gaz lacrymogène ? Comment est-il libéré ? A.S. : À la base, il se situe dans la molécule entière : l’ortho-chlorobenzylidène malonitrile, le gaz CS, pour faire simple. Dès qu’il rentre en contact avec des fluides, comme le sang, ses composés sont découpés et le cyanure est libéré. Il est aussi libéré par dispersion thermique, quand on le chauffe. Une étude récente, de 2013, a démontré que c’était libéré dès 100 degrés. Et, plus il fait chaud, plus la molécule est dégradée, et plus il y a de cyanure libéré.
Les effets des gazeuses et des grenades sont identiques ? A.S. : Pour les grenades, il y en a probablement dans l’air puisque ce sont des palais qui sont chauffés – dispersion thermique. Pour les sprays, il n’y en a probablement pas dans l’air. Mais dans les deux cas, la molécule passe par les surfaces poreuses, la peau, va être inhalée, et va être transformée en cyanure dans le corps, par le métabolisme.
Quelles sont les méthodes utilisées pour démontrer la présence de cyanure ? A.S. : Au départ, nous savons qu’il y a du cyanure. Reste une inconnue : quelle est la dose, est-elle dangereuse ? Une petite dose de cyanure correspond à une bouffée de cigarette, ce n’est effectivement pas très grave. Le seul indice que nous avions c’était cette analyse d’un dérivé de cyanure qui nous disait que la dose était 2 à 3 fois au-dessus de la normale. Nous avons demandé aux gens exposés au gaz lacrymogène de faire des analyses de thiocyanate… Et nous avons eu droit à une levée de boucliers et des critiques très violentes.
Vous avez eu combien d’analyses ? A.S. : Moi-même j’en ai une vingtaine, et le médecin avec qui je travaille affirme que nous en avons une cinquantaine. Au début, nous avons eu un mal fou à récupérer les résultats… On a dû insister lourdement pour avoir les cinq premiers… Puis la procédure a été critiquée, car le thiocyanate n’était pas un bon marqueur : il reste longtemps dans le corps, et l’ingestion de fumée de cigarettes, de pépins, de manioc ou d’amandes peut influer sur le résultat. Nous ne pouvions en conclure que cela provenait du gaz lacrymogène. Le seul moyen de vérifier qu’il y avait un taux élevé de cyanure juste après l’exposition au gaz lacrymogène, c’était de mesurer le cyanure immédiatement après.
Comment avez-vous fait ? A.S. : J’ai contacté une entreprise, une start-up suisse, qui fabrique, depuis 2018, un kit novateur permettant de mesurer directement le taux de cyanure dans le sang, un peu comme un alcootest. La différence avec un alcotest c’est qu’il faut du sang. J’ai demandé au médecin s’il pouvait mettre en place un cadre correct, une procédure, pour faire une prise de sang dans l’heure qui suit un gazage. Et donc, trois médecins m’ont aidé. L’objectif était de permettre au patient de vérifier si les vertiges ou la perte de connaissance venait d’une crise d’épilepsie comme l’estimaient les toxicologues ou pouvaient être dus à une intoxication au cyanure, comme je le soupçonnais. C’était dans l’intérêt du patient, tout a été fait avec des consentements signés. Malgré cela, le parquet de Paris a ouvert une enquête – toujours en cours, pour « mise en danger de la vie d’autrui et violence aggravée », concernant les prises de sang… L’ensemble des médecins et moi-même avons été interrogés en juillet.
Puis vous avez été arrêté et votre matériel saisi… A.S. : Après avoir fait publier les premiers résultats – dans l’Obs et l’Huma – début août, j’ai été mis en garde à vue parce que j’aurais « lancé une trottinette et dégradé un véhicule » lors d’une manif. L’affaire a été classée sans suite. J’ai eu une deuxième garde à vue, un mois plus tard, en octobre. J’avais un rendez-vous à Nice, des militants faisant une action à la Société Générale, à proximité de mon point de rendez-vous, j’ai été contrôlé et embarqué avec 48 heures de garde à vue et perquisition à mon domicile. Les policiers y ont saisi un tee-shirt de medic, un sac à dos… et, ce qui m’a le plus choqué : des livres, concernant les travaux que je fais sur les gaz, et l’ensemble de mon matériel informatique a été saisi, ils ont aussi consulté devant moi mes mails… J’ai été libéré avec un classement sans suite. Un des livres, rare, a été détruit, le matériel m’a été restitué…
Quel est le niveau d’intoxication des manifestants, policiers, habitants ? A.S. : Il y a déjà les effets directs des lacrymos. Avec de gros problèmes pulmonaires, qui ont fait l’objet d’études, lors de l’entraînement des soldats américains, notamment. Une autre étude, turque, a démontré que les habitants des quartiers exposés avaient aussi de gros problèmes pulmonaires. Pour le cyanure, lorsque la dose est très légère, il est transformé en thiocyanate doucement, et il ne se passe quasiment rien. À côté de ça, on peut avoir des effetsaigus lorsque la concentration arrive entre 0,25 et 0,5 mg / litre de sang. La dose mortelle est difficile à définir, elle tient à une accumulation, mais entre 50 et 100 mg, on est sûr de mourir. Ce que j’ai mesuré, c’est : 0,7 mg par litre de sang, on atteint « l’effet aigu » qui peut occasionner perte de mémoire, perte de connaissance, vertiges, soit les effets d’hypoxie. Ces effets ont été vus, vécus et rapportés. Aujourd’hui l’interrogation porte sur les personnes qui y sont exposées fréquemment. C’est comme si on jouait au jeu du foulard avec les manifestants, toutes les semaines. Avec des risques inhérents, sur les reins, le foie…
Que comptez-vous vous faire pour faire connaître vos résultats… A.S. : Nous n’avions pas envisagé de les médiatiser à outrance. Nous voulions alerter les autorités de Santé. La Haute autorité de santé, nous a renvoyés vers d’autres organismes. Et pour l’instant ils se renvoient la balle… Je n’arrive pas à imaginer que les autorités de Santé, ne soient pas déjà alertées. Les études sont publiques et publiées. Je suis étonné que peu de toxicologues français agissent… Pour pouvoir alerter davantage, je suis entré en relation avec André Picot, de l’association de Toxicologie-chimie de Paris, il a accepté d’être coauteur d’un dossier et de le publier au nom de l’ATC. Avec plus de 500 références scientifiques.
Whistleblower. The young biologist from Nice highlights large doses of cyanide in the blood of demonstrators exposed to this chemical weapon.
« Cyanide in the tear gas used for law enforcement? Would the government poison the population? Unthinkable! It was the first reaction of Alexander Samuel, a math teacher and doctor of biology, when the yellow vest Julien Chaize, in April 2019, asked him to study this hypothesis. Six months later, the young scientist from Nice is convinced, significant doses of poison circulate in the blood of gassed demonstrators.
This conviction disturbs. On Saturday November 2, Alexander was taken into police custody on the grounds that he was implicated in a symbolic, bio-painted attack on a bank. He denies it but remains locked up for forty-eight hours. His home is searched. Its computer equipment and many documents are thoroughly inspected. A military manual from 1957, « on protection against combat gases », is seized and destroyed.
Away, he observes the violence
This episode is apparently unrelated to his research on tear gas. In any case, the biologist has already compiled his work in a report. It will be published in the coming days by the Toxicology Chemistry Association, founded by André Picot, honorary director of the chemical risk prevention unit at the CNRS. The latter will co-sign the Alexander publication alongside other researchers and doctors.
There was nothing to suggest such a result when, at the beginning of spring, Alexander went for the first time to a demonstration of yellow vests. « I was suspicious, » he admits. In the Alpes-Maritimes, the far right was very present at the start of the movement and my environmental convictions were at odds with the demands linked to fuel taxes. Curious, however, he went to the rally organized on March 23 in Nice.
At a distance, he observes the violent police charges during which the head of Attac, Geneviève Legay, is seriously injured. Alexander does not attend the scene directly but he sees the street medics, these militant rescuers who intervene during the demonstrations, prevented from intervening and being arrested. Alexander films. He was immediately placed in police custody. It’s his first time.
« I was shocked, » says the scientist. The conditions of my detention, the lies of Emmanuel Macron and the prosecutor concerning Geneviève Legay made me stand in solidarity with the movement. He decides to gather everything that could make it possible to establish the truth and to pass it on to yellow vests who intend to seize the United Nations. Among them, Julien Chaize wants to convince him to look into the case of a demonstrator who, following an exposure to tear gas, displayed an abnormally high level in the blood of thiocyanate, molecule formed after the assimilation of cyanide by the liver.
This is an isolated case. Impossible for Alexander to see in it evidence of massive poisoning of the population. Incredulous, he participated in other demonstrations and observed the reactions of people exposed to the gases. Vomiting, irritations, disorientation, loss of consciousness … these fumes don’t just make you cry.
Alexander consults the scientific literature. The tear gas component used in France is 2-Chlorobenzylidene malonitrile. As it is considered a chemical weapon, its use is prohibited in the context of armed conflicts. Not for policing. For the biologist, the verdict is clear, this molecule, once present in the blood, releases cyanide. Several studies since 1950 confirm this. None said otherwise. But this poison is also present in cigarettes and a multitude of foods. Its dangerousness is therefore a question of dosage. How to measure it?
Alexander and three doctors in yellow vests then proposed to the demonstrators to have their blood analyzed to determine a level of thiocyanate. But this marker is not reliable enough. Cyanide must be quantified. However, the poison is only detectable in the blood for a few tens of minutes. Armed with a kit of tests, prescriptions and forms to be signed by the candidates for an exam, they decided to take blood and urine samples directly during the demonstrations of April 20 and May 1.
The results are edifying
The results of the first samples confirm the significant presence of cyanide, but do not give the precise dosage. On June 8, in Montpellier, the team perfected their protocol. Alexander, the three doctors and a few accomplices make themselves guinea pigs from their experience. They test their blood before the demonstration and afterwards. The results are edifying. Scientific community considers cyanide poisoning
Un système artisanal pour éviter de se faire confisquer un masque tout en étant protégé efficacement contre le gaz lacrymogène, à condition de maîtriser une technique de respiration. Il faut inspirer par la bouche dans le tuyau, afin que l’air passe par le filtre, et expirer par le nez (sans recracher l’air dans le tuyau)
Il faudra une cartouche filtre à gaz de type P3 (le plus souvent A-P3), du scotch résistant et renforcé, un cutter et un tuyau qu’il faudra couper à la longueur adéquate.
1) Ouvrir l’avant du filtre et prendre le bouchon en plastique 2) Faire un trou dans le bouchon à l’aide du cutter pour faire passer le tube et le coincer à l’aide d’une vis 3) Scotcher l’ensemble abondamment de façon à ce que le scotch passe bien sous le capuchon plastique 4) Ajouter un élastique et fixer le bouchon sur le filtre. 5) Utiliser le filtre en respirant avec la bonne technique
Pensez à bien déboucher le bas du filtre quand vous respirez, et à le reboucher quand vous avez fini de l’utiliser. Un gant placé à l’extrémité du tuyau peut être ajusté et éviter que de l’air ne passe dans le filtre lorsqu’on ne l’utilise pas.
Fabriquer un masque de fortune
Couper une bouteille de soda de 2 litres comme indiqué. Coller une bande de caoutchouc sur les bords de la bouteille. Coller du tissu par-dessus le caoutchouc. Insérer un masque respiratoire dans la bouteille. Fixer un élastique pour accrocher au visage. Ajouter un peu de vinaigre pour humidifier le masque avant de le porter.
Docteur en biologie, Alexander Samuel enquête sur les dangers du gaz lacrymogène, utilisé massivement en France contre les “gilets jaunes”. Sa méthode : entrer dans les nuages et effectuer ensuite des tests sanguins et urinaires.
On l’a vu, à plusieurs reprises, entrer dans le nuage blanc, et en ressortir quelques minutes plus tard, longue crinière rousse en pétard, yeux et visage écarlates, pleurant, toussant, titubant, à la limite du malaise… Alexander Samuel, 34 ans, docteur en biologie moléculaire, prof de maths dans un lycée professionnel de Grasse et amateur de philosophie, n’aurait jamais imaginé humer volontairement du gaz lacrymogène au cœur de manifestations. Ni traverser la France avec des flacons de sang et d’urine dans le coffre de sa voiture, tel un passeur de drogue, à la recherche d’un labo susceptible d’accepter sa cargaison. Encore moins se retrouver convoqué par la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Lui, dont la seule violence assumée consiste à hurler régulièrement dans un micro, entouré de son groupe de metal.
Alexander s’est engagé par inadvertance, le 23 mars 2019. Ce jour-là, le prof dont le cœur penche « très à gauche », vient « en observateur » à une manifestation de « gilets jaunes » à Nice. Il est contacté par un groupe, SOS ONU, qui recense les violences policières. « Quand ils ont su que j’étais docteur en biologie, ils m’ont demandé si je pouvais les aider à analyser les effets des gaz lacrymogènes. Ils décrivaient des symptômes nombreux : maux de ventre, nausées, vomissements, douleurs musculaires, migraines fortes, mais aussi pertes de connaissance, problèmes pulmonaires, cardiaques, hépatiques… Des “gilets jaunes” avaient été hospitalisés.Ils évoquaient une possible intoxication au cyanure. Au cyanure ! Je les ai pris pour des dingues ! Mais vu qu’il y avait beaucoup de témoignages, je me suis dit que j’allais creuser. »
Alex adore creuser. Déjà, à l’université de Nice, le thésard brillant, mi-français, mi-allemand, s’était fait remarquer par sa propension à plonger son nez obstiné dans les affaires – détournements de subventions, corruption de syndicats étudiants et autres passe-droits. « Alex est un chercheur qui trouve, témoigne Guillaume, un ancien camarade de l’époque. Il accumulait des preuves, récupérait des documents, enregistrait les conversations. Il combinait les méthodes d’un enquêteur et d’un scientifique. »
Le prof se plonge dans la « littérature », comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire tout ce qui a été publié scientifiquement sur le sujet. Et rend compte méthodiquement de ses découvertes sur son site. Il apprend que le gaz « CS » utilisé par les forces de l’ordre ne contient pas de cyanure en tant que tel, mais qu’un de ses composants, le malonitrile, se métabolise en cyanure quand il entre dans le corps.
Une question de santé publique
On peut supporter le cyanure à petites doses ; les fumeurs, les mangeurs de chou, d’amandes ou de manioc en ingèrent. A plus haute dose, le cyanure provoque une hypoxie, un manque d’oxygène.Et peut tuer, même s’il n’y a pas de décès par gaz lacrymogène recensé en France. Alex explique :« La personne gazée subit comme un étranglement. Ça fait quoi sur la santé de se faire étrangler un peu chaque week-end ? On nous dit que le gaz lacrymogène n’est pas dangereux, mais on ne connaît pas vraiment ses effets à long terme sur la santé ».
Le chercheur passe ses journées et ses nuits sur ce qu’il considère être « une question de santé publique : le gaz lacrymo est utilisé aujourd’hui massivement par les forces de l’ordre, et pas que sur les “gilets jaunes” : les écolos du pont de Sully, les jeunes de la Fête de la Musique à Nantes, les riverains et les commerçants, tous se sont retrouvés sous le gaz. Et les policiers, qui sont les premiers exposés ! » Ceux-ci portent la plupart du temps des masques à gaz qui les protègent, mais le 28 juin, sur le pont de Sully, un commandant a perdu connaissance à cause des lacrymos.« Où est Steve ? », voilà LA question
Le cyanure disparaît moins de trente minutes après l’exposition au gaz lacrymo. En revanche, il laisse dans le corps un marqueur, le thiocyanate, qui, lui, peut être détecté pendant plusieurs semaines. « J’ai vu des résultats d’analyse de “gilets jaunes” avec des taux plus de trois fois supérieurs à la normale ! » affirme Alex, qui contacte alors moult toxicologues, médecins, chercheurs en France et à l’étranger. Les réactions sont contrastées, entre ceux qui lui disent qu’il fait fausse route, comme Jean-Marc Sapori, du centre antipoison de Lyon, et ceux qui l’encouragent à poursuivre un travail « remarquable », comme André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie, sans oublier ceux qui lui glissent au passage :« Faites attention à vous, vous vous attaquez à un sujet trop dangereux. »
Il appelle beaucoup, on l’appelle de plus en plus. Un barbouze veut lui refiler des documents confidentiels sur les victimes de gaz pendant la guerre d’Algérie. Des « gilets jaunes », par dizaines, veulent témoigner, envoient leurs analyses :« On compile leurs symptômes dans un tableau, on voit remonter de nouveaux trucs bizarres. Par exemple, beaucoup de femmes, même ménopausées, se retrouvent avec des règles abondantes. »
Une praticienne du CHU de Lyon lui écrit pour un patient, gazé à de multiples reprises, ayant un « problème hépatique de cause inconnue » : « Je me demande si cela pourrait expliquer sa pathologie », dit-elle.
Comment prouver le lien entre pathologie et gaz lacrymo ?
Que répondre ? Comment prouver irréfutablement ce lien ? Puisque les autorités de santé ne s’emparent pas du sujet et que le ministère de l’Intérieur martèle « Circulez, il n’y a rien à voir », Alex, trois médecins – Renaud, anesthésiste-réanimateur, Josyane, généraliste, et Christiane, ophtalmologue – et quelques « gilets jaunes » décident d’effectuer des prélèvements sanguins à chaud, en manifestation.
Lors de ses recherches, Alex a découvert qu’une société suisse, CyanoGuard, fabriquait des kits pour mesurer le taux de cyanure dans le sang : « Ça marche comme un éthylotest. Si la couleur reste orange, c’est bon. Si elle vire au violet, c’est qu’il y a un taux de cyanure dangereux. Ils sont sérieux, ils ont publié dans l’excellente revue de la Royal Society of Chemistry, et le FBI utilise leurs outils ! » Alex et les médecins achètent dix kits, à 15 euros l’unité, et prévoient d’envoyer aussi en parallèle des tubes de sang en labo pour mesurer le taux de thiocyanate : « En combinant les deux méthodes, on renforce la fiabilité des résultats. » Et c’est ainsi que, samedi 20 avril à Paris, des « gilets jaunes » ont vu, au milieu des fumées, crachats, tirs de LBD et mouvements de foule, un petit groupe équipé de casques, lunettes, seringues et tubes effectuer des prises de sang, à même le trottoir.
Les résultats sont décevants : le changement de couleur du cyanokit est difficilement interprétable. « Cyanoguard nous disait : “C’est positif”, mais j’avais des doutes. » Autre surprise : les résultats du thiocyanate, analysé par le seul labo compétent de France, à Lyon, reviennent pour la plupart négatifs. « Même ceux des fumeurs, ce qui n’est pas possible ! » pouffe Alex, qui pouffe beaucoup, en rougissant et en plissant le nez, comme le font les enfants. Le prof ne veut pas croire que ces résultats aient pu être truqués volontairement, mais trouverait judicieux néanmoins de faire analyser de nouveaux tubes par un labo étranger « indépendant ».
Les médecins sont présentés comme des assassins
Le 1er mai, lors de la manifestation très agitée de Paris, le petit groupe récidive, cette fois dans un hall d’immeuble protégé des regards. « Des “gilets jaunes” nous attendaient à la porte, pour nous casser la gueule. » Car le groupe inquiète. Sur fond de guerre intestine au sein de SOS ONU, qu’Alex et les médecins ont quitté, une polémique a éclaté. Des vidéos des prélèvements circulent sur les réseaux sociaux, où les médecins sont présentés comme des assassins.On a suivi des « gilets jaunes » devenus black blocs
Les médias relaient les propos d’une « gilet jaune » prélevée accusant l’équipe d’avoir profité de sa faiblesse ; le Conseil national de l’Ordre des Médecins, interpellé, explique qu’il n’est pas interdit en soi d’effectuer une prise de sang dans la rue, mais que celle-ci obéit à certaines conditions. « Nos prélèvements ont été faits dans le respect de ces conditions de sécurité, et tous ceux qui ont donné leur sang ont signé un consentement éclairé », assurent les trois médecins de l’équipe. Une enquête préliminaire est ouverte. Au lycée d’Alex, le proviseur reçoit des messages dénonçant « l’illuminé ».
Avec cette tempête, certains dans le groupe prennent peur et abandonnent. Pas Alex, qui décide de repartir de zéro avec un noyau de téméraires. On leur reproche de prélever du sang chez les autres ? Ils le prélèveront sur eux-mêmes. Pas dans la rue, mais au premier étage d’un restaurant de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin (grâce à la complicité du gérant, pro- « gilets jaunes »). Ce jour-là, « l’Obs » était présent, et le fabricant suisse du cyanokit aussi, venu en personne surveiller l’opération. Cette fois, le taux de cyanure a pu être chiffré. Alex analyse :« On est passé de 0 ou 0,1 avant gazage à 0,7 après, le seuil de dangerosité étant fixé à 0,5. C’est bien le signe que le cyanure et le gaz sont liés ! »
Sauf que, pour les toxicologues, les chiffres de ce kit non homologué ne constituent pas une preuve officielle. Parallèlement, pour l’analyse du thiocyanate, Alex est allé déposer lui-même des tubes dans une prestigieuse université belge. Vingt-quatre heures de route. Les professeurs, manifestement intéressés, l’ont reçu longuement, mais leur labo s’est finalement déclaré incompétent. « Ils n’ont pas envie de se mouiller, ils savent qu’il y a l’Etat français en face », interprète Alex. Peur ou pas, il a fallu chercher ailleurs. Les Allemands ont hésité, puis l’ont renvoyé vers un labo anglais, qui a accepté. Les tubes sont arrivés… mais trop tard : « Pfff… ils étaient hémolysés », soupire Alex. Traduisez : trop datés.
Ils risquent la correctionnelle
Le feuilleton a continué, on vous en passe les épisodes. On retiendra quand même une analyse d’urine par « spectrométrie de masse », avec distribution de pots aux « gilets jaunes ». « Ils sont restés très méfiants. On a récolté deux urines seulement… dont la mienne », avoue Alex. Deux, c’est peu. Mais, à 50 euros l’analyse, il n’aurait pas pu en faire beaucoup de toute façon. Entre les cyanokits, les frais d’envoi, d’analyse et d’avocat, les trajets en voiture, le prof dit avoir dépensé quelque 5 000 euros, soit une bonne partie des économies qui devaient servir aux travaux d’installation dans son appartement.
Il le raconte avec son immuable sourire, nez et yeux plissés. Il dit qu’il s’en fiche. Ce qui l’embête davantage, c’est cette enquête préliminaire ouverte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « recherche interventionnelle prohibée ». Début juillet, lui et les trois médecins ont été convoqués par la justice, et longuement interrogés. Ils risquent la correctionnelle. Ça devrait les refroidir ? Pourquoi s’acharner encore dans ce nid à emmerdes ? « On ne lâchera pas tant qu’une étude épidémiologique sérieuse ne prendra pas le relais. » Avec son trio de médecins, Alex va lancer un appel à la Haute Autorité de Santé. Et en attendant, il continue de creuser.A propos du gaz lacrymo
Le gaz lacrymogène est un composé chimique qui provoque une irritation des yeux et des voies respiratoires. Comme toute arme chimique, son utilisation est interdite dans le cadre d’un conflit armé par la Convention internationale de Genève (1993). Paradoxalement, cette interdiction ne s’applique pas au cadre du maintien de l’ordre public.
Il existe plusieurs sortes de gaz. En France, les forces de l’ordre utilisent du CS (chlorobenzylidène malononitrile), et ce de plus en plus massivement, comme l’ont montré les manifestations de ces dernières années. La dangerosité de ce gaz est proportionnelle à sa concentration et aux conditions de son utilisation. Officiellement, il n’est pas létal, mais des décès ont été rapportés après une utilisation en lieu clos, comme lors dusiège de Waco en 1993 aux Etats-Unis, ou encore en Egypte et à Bahreïn lors de soulèvements de population.
En France, « la concentration de CS dans les grenades est de 10% », nous dit la direction générale de la police, qui précise : « Cela fait plus de vingt ans qu’on utilise ces gaz, s’ils avaient été dangereux, on en aurait été les premières victimes, et les syndicats l’auraient dénoncé. »
A DIY system to avoid having your mask confiscated during a demonstration. A way of being effectively protected against tear gas, provided you master a breathing technique. You have to breathe in with your mouth through the pipe, so that the air passes through the filter, and breathe out through your nose (without spitting air out of the pipe)
You will need a P3 type gas filter cartridge (most often A-P3), strong and reinforced tape, a cutter and a pipe that must be cut to the appropriate length.
1) Open the front of the filter and take the plastic plug 2) Make a hole in the plug using a cutter, to pass the tube and clamp it with a screw 3) Tape the whole abundantly, with tape covering both sides of the plastic cap 4) Add a rubber band and fix the cap on the filter. 5) Use the filter while breathing with the right technique
Remember to unclog the bottom of the filter when you breathe, and to plug it back on when you have finished using it. A glove placed at the end of the tube can be adjusted and prevent air from passing through the filter when not in use.
How to craft a homemade gas mask
Cut a transparent 2 Litre soda bottle as indicated Glue a strip of rubber foam on the inside edge of the bottle Glue a new strip of cloth over the foam rubber Put a clinical mouth-cover in the neck of the bottle Elastic to secure it to your head Soak the mouth cover in vinegar before putting on the mask