De Diego Ortiz et Lissette Fossa pour Interferencia.cl
Le 23/10/2020
Cela pourrait s’expliquer par un dysfonctionnement moléculaire dû à une diminution des taux d’oxygène dans le sang elle-même causée par la présence de cyanure. Le stress post-traumatique lié à l’utilisation de gaz lacrymogènes peut également jouer un rôle dans les troubles menstruels. Il existe des témoignages de cet effet en Inde, aux États-Unis, en France et – maintenant – au Chili. « À partir des données d’une étude transversale sur la santé des manifestantes du mouvement des Gilets Jaunes en France, nous avons examiné la relation entre l’exposition aux gaz lacrymogènes et le cycle menstruel chez les manifestantes », détaille l’étude scientifique menée par le Dr. en Biologie Moléculaire, Alexander Samuel et les docteurs en psychologie, Yara Mahfud, Elif Çelebi et Jais Adam-Troian. « L’analyse suggère un lien positif entre l’exposition [aux gaz] et les perturbations du cycle menstruel », indique l’étude. Aux conclusions de l’enquête s’ajoutent les témoignages de manifestants recueillis par des médias en Inde, aux États-Unis, en France et – maintenant – au Chili. (Voir l’étude en anglais : The link between CS gas exposure and menstrual cycle issues among female Yellow Vest protesters in France : http://gazlacrymo.fr/BORDEL/Cycle.pdf ).
L’étude est parvenue à cette conclusion après avoir examiné les cas de 145 manifestants du mouvement des Gilets Jaunes en France. Les scientifiques précisent néanmoins qu’une enquête plus approfondie est nécessaire car il s’agit de conclusions préliminaires. De plus, étant donné que des altérations de la menstruation pourraient aussi se manifester en raison du stress auquel les manifestantes sont soumises lorsqu’elles sont gazées, on ne sait pas encore précisément dans quelle mesure le cycle menstruel est affecté par le gaz CS et / ou par le stress. « Le gaz lacrymogène pourrait affecter le cycle menstruel par un dysfonctionnement moléculaire dû à une diminution des niveaux d’oxygène dans le sang (une conséquence de l’augmentation des niveaux de cyanure dans le sang) », expliquent les scientifiques. Il est à noter qu’une étude française publiée par INTERFERENCIA a confirmé que le gaz CS, une fois métabolisé dans l’organisme, génère du cyanure dans l’organise, le cyanure étant un produit chimique hautement toxique. (Voir article publié par INTERFERENCIA le 11/09/2020 : https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de ).
Actuellement, le travail des scientifiques est en cours d’évaluation par la revue scientifique Women’s Health Issues, créée en 1990. Il est cependant déjà publié dans le cadre d’une relecture non officielle sur le site de pré-évaluation scientifique medRxiv, créé lui pour discuter des travaux connexes sur des médicaments encore à l’étude. En parallèle à cela, l’Université du Minnesota a lancé une enquête similaire, axée sur la question de savoir si les gaz lacrymogènes affectent le cycle menstruel des manifestants. (Lire l’étude et les commentaires qu’elle a généré : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.10.11.20210955v1.full).
S’ajoutent à l’enquête de multiples témoignages, publiés par les médias en Inde et aux États-Unis, de femmes dont le cycle menstruel a été affecté après avoir été en contact avec des gaz lacrymogènes.
La répression de la révolte sociale chilienne depuis le 18 octobre 2019 a également eu des conséquences sur les femmes. INTERFERENCIA a obtenu des témoignages de première main.
Augmentation notable de la douleur, du flux et de la durée des règles : retard et dérèglement
« Mes règles sont survenues peu de temps après le 18 octobre 2019. Depuis le début de la révolte, j’étais presque tous les jours à la Plaza Italia », raconte Juana, dont l’identité restera confidentielle. « Lorsque mes règles sont revenues, cela faisait très mal, comme presque jamais auparavant. Je prends des pilules et sinon ça ne fait pratiquement rien normalement », explique-t-elle. Elle ajoute que le saignement était manifestement plus élevé que d’habitude et note aussi une durée anormalement longue de ses règles post exposition au gaz. Patricia – dont le nom a également été changé pour protéger son identité – a assisté à beaucoup de manifestation depuis le 18 Octobre, mais affirme avoir eu un contact prolongé avec le gaz lacrymogène à trois reprises durant lesquelles elle a souffert de brûlures intenses et ressentit une forte gêne dans la poitrine. « Ensuite, mes règles ont été très douloureuses, difficiles et avec beaucoup plus de fluide », indique-t-elle, ce dernier détail étant évident puisque Patricia confie s’être taché pour la première fois de sa vie au moment de ses règles.
Les cas de Juana et Patricia ne sont que deux sur un total de sept auxquels nous avons eu accès. Toutes décrivent des dérèglements similaires dans leur cycle menstruel après un contact prolongé avec des gaz lacrymogènes : une douleur intense, une augmentation du débit et de la durée, des retards ou encore des règles précoces.
Parallèlement, INTERFERENCIA s’est également entretenu avec huit autres femmes qui ont participé à des manifestations et qui étaient en contact direct avec des gaz lacrymogènes, qui ne se souviennent pas avoir souffert d’un quelconque changement dans leur cycle menstruel.
Mais le Chili n’est pas le seul pays où le gaz CS est utilisé. En Inde, après les protestations étudiantes, la police a également utilisé cette arme chimique.
« Nous étions sur la route de Mata Mandir dans le cadre d’une manifestation silencieuse organisée par notre faculté. C’est à ce moment-là que nous avons vu la police charger dans notre direction », déclare à Feminism In India, Tanya, étudiante en droit en Inde. Selon l’article, en décembre 2019, après avoir reçu des gaz lacrymogènes à une distance de cinq mètres, le cycle menstruel de Tanya a été retardé de 20 jours. (Consultez l’article en anglais : https://feminisminindia.com/2020/09/02/tear-gas-attacks-jamia-irregular-periods-black-lives-matter/ ).
Le même article raconte également l’expérience de Taslima, une étudiante de 22 ans à l’Université Musulmane d’Aligarh. « Ce mois-là, je me souviens avoir eu des crampes douloureuses au moment où mon cycle était censé commencer, comme si j’allais saigner à tout moment. Mais cela a persisté pendant 8 à 10 jours avant que mon cycle menstruel ne commence enfin », a-t-elle raconté.
Selon le magazine Teen Vogue – une version jeunesse du magazine Vogue – Charlie Stewart a été en contact avec des gaz lacrymogènes quatre fois le 30 mai 2020. Peu de temps après, Stewart n’a pas pu se mettre au travail. « J’ai commencé à ressentir beaucoup de crampes », qu’elle considère comme le pire qu’elle ait jamais connu. Le cycle menstruel de Stewart avait pris fin la semaine précédente, mais malgré cela, elle a commencé à saigner quelques heures après avoir ressenti les douleurs. (Consultez ici l’article https://www.teenvogue.com/story/protestors-say-tear-gas-caused-early-menstruation)
INTERFERENCIA a contacté le service de communication des Carabineros du Chili pour savoir s’il y a eu des plaintes de fonctionnaires de l’institution ayant manifesté des altérations de leur cycle menstruel mais aussi pour savoir s’il existe des études ou des documents au sein de la police qui signaleraient cet autre effet possible du gaz lacrymogène.
L’institution a répondu que « pour le moment, il n’y a aucune connaissance, ni aucun cas de femmes fonctionnaires affectées par les effets du gaz sur leur période menstruelle. ».
De plus, en ce qui concerne l’existence d’études des conséquences sur la santé des gaz lacrymogènes liés aux troubles des menstruations, ils nous ont indiqué que « puisqu’il n’y a pas de cas ou de plaintes, il n’y a pas non plus d’études à cet égard ».