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Les gaz lacrymogènes sont dangereux pour la santé. Des manifestants témoignent

10 décembre 2019 / Marie Astier (Reporterre)

Les gaz lacrymogènes sont dangereux pour la santé. Des manifestants témoignent

Enquête 1/3 — Fatigue, infection pulmonaire, problèmes neurologiques… Des manifestants sont restés malades plusieurs jours voire plusieurs semaines après avoir été fortement exposés aux gaz lacrymogènes alors que leurs effets sont censés se dissiper rapidement.

  • Cet article est le premier d’une enquête en trois volets sur les conséquences des gaz lacrymogènes sur la santé.

Ce ne sont pas des gueules cassées de la manif’, ils n’ont pas de cicatrices visibles, de main mutilée, d’œil aveugle à jamais. L’arme qui les a rendu malades est moins impressionnante et moins questionnée que les lanceurs de balles de défense ou les grenades explosives. Pourtant, elle produit aussi ses effets sur ceux qui y sont exposés : cette arme, c’est le gaz lacrymogène.

Logiquement, c’est tout d’abord au milieu des nuages que l’on peut se trouver mal, après que les grenades ont été lancées à la main ou propulsées à l’aide de lanceurs. « En manifestation, il m’arrive souvent d’aider des personnes qui vomissent ou qui ont l’impression de ne pas pouvoir respirer », raconte Charly [*], street medic à Paris depuis 2017. Ariane [*], infirmière à Clermont-Ferrand, a commencé à soigner les personnes blessées ou en malaise dans les manifestations de Gilets jaunes en février, avec une équipe d’amies. Elles ont constaté que les symptômes se répétaient et que les problèmes respiratoires pouvaient être graves pour les asthmatiques : « Les crises sont difficiles à gérer car la ventoline écarte les bronches et accentue l’effet des gaz. »

Elles ont aussi pris en charge des malaises, et géré les conséquences psychologiques de ces gaz. « Certaines personnes sont totalement désorientées, même une fois sorties du nuage. C’est ce que j’ai observé récemment lors d’une manifestation à Saint-Étienne, où les forces de l’ordre ont beaucoup gazé, à l’aveugle », raconte Ariane. « J’ai déjà retrouvé des personnes prostrées dans des coins, qui ne pouvaient plus bouger et paniquaient à cause des gaz », complète Charly. Pour Ariane, cela s’est déjà terminé à l’hôpital : « Une membre de l’équipe a fait une réaction allergique, tout le visage a gonflé, elle a dû aller aux urgences. »

Les grenades lacrymogènes de 40 mm CM3 et MP3.

En tant que professionnelle du monde médical, elle dispose d’un appareil qui permet de mesurer la saturation du sang en oxygène. « L’idéal est à 100 %. En dessous de 90 %, cela montre une mauvaise oxygénation du sang et donc des organes. En manifestation, on est rarement au-dessus. L’organe le plus touché par ce manque est le cerveau, c’est pour cela qu’il y a des malaises. »

Le gaz lacrymogène utilisé en France contient plus précisément comme matière active la molécule CS (o-chlorobenzylidene malononitrile), choisie pour ses effets irritants, censés se dissiper rapidement dès que l’exposition cesse. Mais les témoignages recueillis par Reporterre montrent que certains effets persévèrent plusieurs jours voire plusieurs semaines après la manifestation. Tous lient l’importance ou la durée des symptômes à l’intensité de leur exposition aux gaz. Les descriptions se recoupent avec celles collectées par Mediapart à la suite de la manifestation du 23 mars dernier à Montpellier, où l’utilisation de gaz avait été particulièrement intense.

Bronchite, bouche et yeux irrités, saignements de nez et mal de ventre

Les maux de tête et de ventre reviennent le plus fréquemment dans les témoignages. « Après les manifestations où j’ai mangé beaucoup de gaz, j’ai des migraines et un dérèglement intestinal, des diarrhées dans les jours qui suivent », poursuit Charly. « S’il y a plus de gaz, ou que je me suis fait confisquer mon matériel et suis moins protégée, les symptômes durent plus longtemps. » Certains racontent ne pas arriver à manger pendant plus d’une semaine et subir des pertes de poids.

Les conséquences sur la peau et les yeux peuvent aussi perdurer. Ariane se souvient avoir déjà eu « une réaction cutanée, avec la bouche et les yeux irrités pendant deux semaines ».

Là encore, bronches et poumons sont particulièrement touchés, souvent pris d’assaut par une infection dans les jours qui suivent une exposition. « Une de mes équipières fait régulièrement des bronchites après les manifestations », observe Ariane. Claire, infirmière vivant du côté de Nîmes, a rejoint les Gilets jaunes dès le 17 novembre. Mais elle a découvert ces effets le 16 mars. « On est montés à Paris, on n’avait pas pris les masques pour ne pas se les faire confisquer. Après, j’ai eu une infection pulmonaire qui a durée trois semaines, j’ai été mise sous antibiotiques. »

Des street medics, à Toulouse.

Sarah [*] s’est carrément retrouvée à l’hôpital pendant dix jours, à la suite de la manifestation du 16 février à Montpellier : « Le lendemain, j’ai cru que j’avais une grippe. Puis je n’arrivais plus à me lever, ni à manger. Au bout de cinq jours, mon mari a pris ma saturation en oxygène : j’étais à 72 %. Il m’a emmenée aux urgences. » Les médecins lui diagnostiquent une pneumonie. « Ils m’ont gardée dix jours, et une fois sortie je suis restée quinze jours de plus sous antibiotiques », se rappelle-t-elle. « D’habitude, je ne vais jamais chez le médecin, je ne suis jamais malade. »

« Je ne pouvais même plus emmener ma fille à l’école »

La sensation de fatigue particulièrement intense revient aussi régulièrement dans les récits. « J’ai mis un mois à me remettre de la manifestation du 9 juin, lors de l’Acte 30 », se rappelle notamment Doki, observatrice de la section de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Montpellier. « J’avais les jambes coupées, je me sentais comme si je faisais une grosse dépression, et j’ai chopé une laryngite. Je ne pouvais même plus emmener ma fille à l’école. »

D’autres symptômes sont plus surprenants. Gilet jaune de l’Hérault, Stéphane [*] a parfois combiné manifestation du samedi et actions militantes dans la même semaine. Le 23 mars dernier, à Montpellier, il a été exposé plus intensément que d’habitude. « J’ai eu des problèmes au niveau des mollets, je me sentais comme après un marathon. Ma compagne, de son côté, est allée chez le kiné pendant des semaines. Cela ne s’est calmé que quand on n’est plus allés en manif’. » Il rapporte, une fois, une irritation de la gorge telle qu’il crachait du sang, et « des saignements de nez qui m’obligeaient à me lever la nuit ». Claire est elle aussi abonnée au nez qui saigne, mais a également eu « des problèmes neurologiques comme une mauvaise coordination des mouvements. En parlant autour de moi, je me suis rendue compte que les gens avaient les mêmes symptômes », relate-t-elle.

Les manifestants se munissent de masques à gaz pour se protéger.

Une étude menée par des Gilets jaunes a tenté de mieux caractériser ces symptômes. Soizic Lesage, retraitée Gilet jaune dont le médecin lui a « formellement interdit de se faire gazer », a décidé de se rendre utile en récoltant les témoignages, avec une petite équipe de médecins. « On a établi une liste d’une cinquantaine de questions et distingué les symptômes pendant le gazage, juste après, puis dans les jours qui suivent », explique-t-elle. L’équipe a recueilli les témoignages durant les mois de mai, juin et juillet principalement, puis a regroupé l’ensemble des réponses dans un tableau anonymisé détaillant 47 cas. Ainsi, il apparaît qu’au moment du gazage, la toux, les difficultés respiratoires et les brûlures au niveau des yeux et de la peau sont logiquement — ce sont les effets recherchés — les symptômes les plus ressentis. Certains ont également eu des nausées (28 personnes) ou des vertiges. Dans les minutes et heures qui suivent, l’irritation se calme mais les vertiges persistent. Apparaissent sensation de désorientation, maux de tête et même troubles de la mémoire (pour 19 personnes sur 47, soit 41 %). Dans les jours et semaines qui suivent, les symptômes semblent même s’accentuer. 94 % des témoignages relatent une forte fatigue, des problèmes de sommeil. Les problèmes respiratoires, la toux, les fortes irritations des yeux et de la peau reviennent de plus belle. Les maux de tête persistent. Crampes musculaires et pertes d’appétit sont aussi signalées, voire une insuffisance hépatique. « On a dû ajouter des colonnes au fur et à mesure des témoignages, on est tombés sur des symptômes auxquels on ne s’attendait pas », raconte Soizic. « Notamment ceux qui pourraient être le signe d’une atteinte neurologique, comme les pertes de mémoire. »

Autre résultat surprenant, des femmes rapportent des troubles gynécologiques. Un tiers de celles qui ont témoignées et sont ménopausées évoquent un retour des règles. Parmi les non ménopausées, plus d’un quart signalent que leurs règles sont irrégulières depuis qu’elles respirent des gaz lacrymogènes. Plusieurs femmes ont effectivement relaté à Reporterre des effets sur leur cycle menstruel. « J’étais en pleine période de règles un samedi où je n’avais pas mis mon matériel correctement, se souvient Charly. Le lendemain, les règles s’étaient interrompues, puis elles ont repris deux jours après. » Ariane a échangé sur le sujet avec ses coéquipières : « Je n’ai pas eu mes règles pendant deux mois. Une autre ne les a pas eues pendant trois mois. À l’inverse, une a ses règles trois fois dans le mois à chaque fois qu’elle va en manifestation. » Elles s’interrogent : stress ou effet des gaz ?

Les forces de l’ordre rechignent à évoquer le sujet

Le tout montre des conséquences durables du gaz lacrymogène sur les personnes régulièrement ou fortement exposées. Stéphane a fini par constater une baisse de forme générale, alors qu’il exerce un métier physique : « Avant, sur les chantiers, je bougeais un mètre cube de sable en une ou deux heures, maintenant cela me prend la journée… Je faisais des semi-marathons, désormais je mets une semaine à me remettre d’une manif. » Claire, qui exerce en libéral, a dû diminuer le nombre de jours qu’elle travaille chaque mois. « Mais je n’ai pas d’enfants, il ne me faut pas grand-chose pour vivre, et mes patients me soutiennent », indique l’infirmière.

Si beaucoup hésitent à témoigner du côté des Gilets jaunes — et la plupart préfèrent l’anonymat — c’est également compliqué d’avoir des témoignages de la part des membres des forces de l’ordre. Le service de communication de la police nationale indique qu’il n’y a jamais eu la moindre remontée de problèmes liés aux gaz lacrymogènes.

Selon le syndicat Alliance, « il n’y a pas de collègues qui se plaignent des gaz lacrymogènes ».

Côté syndicats, l’Unsa police refuse de répondre à nos questions. Chez Alliance, « il n’y a pas de collègues qui se plaignent des gaz lacrymogènes », indique Jean Cavallero, délégué national des CRS. Christophe Miette, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure avait été amené à se renseigner, des collègues lui ayant signalé avoir été incommodés après une manifestation riche en gaz à Montpellier (celle du 23 mars) : « Un plus grand nombre de grenades ayant été utilisées, il y avait plus de particules irritantes dans l’air », a-t-il conclu. Seuls les syndicats minoritaires s’inquiètent des conséquences sur la santé, comme le syndicat Vigi. Michel Thooris, secrétaire général de France police – Policiers en colère, demande quant à lui une étude sur les conséquences « pour les collègues qui sont en contact sur le long terme avec ces produits. On avait envoyé une lettre pour demander une étude, à l’époque où le ministre de l’Intérieur était Manuel Valls, mais elle n’a jamais reçue de réponse », indique-t-il.

« Pour moi les lacrymos, c’est aussi dangereux que les LBD, estime Ariane. Ça pénètre dans notre organisme et ça y reste pendant un certain temps. On va finir par voir des maladies chez ceux qui y sont exposés tous les week-ends », craint l’infirmière. Reste un effet à long terme, lui, facilement observable : la majorité des personnes interrogées par Reporterre vont désormais moins souvent en manifestation.

L’utilisation massive de gaz lacrymogènes inquiète les scientifiques du monde entier

L'utilisation massive de gaz lacrymogènes inquiète les scientifiques du monde entier

Enquête 2/3 — L’utilisation massive des gaz lacrymogènes pour réprimer les foules est alarmante : aspergés en grande quantité, de manière répétée, ou dans des milieux confinés, ils se révèlent dangereux comme le montrent plusieurs études scientifiques.

  • Cet article est le deuxième d’une enquête en trois volets sur l’impact des gaz lacrymogènes sur la santé. Pour lire le premier, c’est ici.

Venue à Paris pour le premier anniversaire des Gilets jaunes, Nelly a connu un lendemain de fête douloureux. Diarrhées, nausées, vomissements, grosse fatigue, perte d’appétit, mal de tête… « J’ai perdu trois kilos », a-t-elle expliqué à Reporterre quelques jours après la manifestation du 16 novembre dernier. Nelly s’est retrouvée malgré elle nassée place d’Italie. « On a essuyé 2 h 30 de tirs nourris de lacrymos, Flash-Ball, grenades explosives… Tout le monde crachait, pleurait, raconte la jeune retraitée. C’est la première fois que j’étais exposée à autant de gaz, aussi concentrés, car il n’y avait pas de vent et les fumées sont restées stationnaires », poursuit-elle. Le résultat, son médecin l’a constaté à son retour chez elle, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Il lui a fourni un certificat médical et prescrit une batterie d’analyses pour vérifier son état de santé général. Dix jours plus tard, elle était toujours affaiblie et les maux de ventre persistaient.

Comme Reporterre l’a constaté au travers de multiples témoignages — auxquels nous avons consacré le premier volet de notre enquête — les gaz lacrymogènes ne provoquent pas que des pleurs et une irritation passagère. Les symptômes constatés chez les Gilets jaunes interrogés sont très divers : allergies, maladies des bronches et des poumons, fatigue extrême, troubles digestifs voire perturbation du cycle menstruel. Pour certains, les effets d’une exposition aux gaz lacrymogènes durent plus d’un mois. Une manifestante a même été hospitalisée.

Les gaz lacrymogènes ont été adoptés pour contrôler les foules, notamment dans les empires coloniaux

Le gaz lacrymogène a été utilisé pour la première fois pendant la Première Guerre mondiale. L’historienne Anna Feigenbaum démontre, dans sa Petite histoire du gaz lacrymogène (éd. Libertalia, 2019) [1] que ce dernier a été promu auprès des gouvernements dès les années 1920 et qu’il a été « assimilé non plus à une arme toxique, mais à un moyen inoffensif de préserver l’ordre public ». Il a peu a peu été adopté pour contrôler les foules, en particulier dans les empires coloniaux, ou ensuite pendant la guerre du Vietnam par les États-Unis pour déloger les Viêt-congs des tunnels.

Il est classé parmi les armes chimiques dites « non létales » et désormais interdit dans un cadre militaire par la Convention de Genève de 1993, mais on peut cependant continuer de l’utiliser dans un cadre civil. La substance active choisie par la France est la molécule CS (2-chlorobenzylidène malonitrile). Celle-ci a été découverte en 1928 par deux chimistes britanniques. La très grande marge entre la dose à partir de laquelle elle est irritante et celle à laquelle elle s’avère létale pourrait la faire passer pour inoffensive. Pourtant, son utilisation massive afin de réprimer les foules pose question. Utilisés en grande quantité, de manière répétée, ou dans des milieux confinés, les gaz lacrymogènes peuvent se révéler dangereux et parfois mortels.

Les premières apparitions massives du gaz lacrymogène remontent à la guerre de 1914-1918.

L’ONG étasunienne Physicians for Human Rights (Médecins pour les droits humains) avait recensé, en mars 2012, 34 morts en lien avec l’usage des gaz lacrymogènes, depuis le début du soulèvement populaire survenu un an plus tôt au Bahrein. Beaucoup étaient dus à la pénétration des gaz dans les habitations des quartiers abondamment arrosés. Parmi les grenades utilisées, certaines étaient probablement exportées par la France, avec autorisation du gouvernement. À la même période, un documentaire étasunien dénonçait les exportations de grenades au gaz CS vers l’Égypte, déversées chaque jour sur les manifestants lors de la révolution de 2011. Des médecins y rapportaient plusieurs cas de décès attribués aux gaz lacrymogènes.

En 2017, une étude de l’université de Berkeley s’intéressait à leur usage, jusqu’à plusieurs fois par semaine, dans les camps de réfugiés palestiniens. Parmi les conséquences rapportées : crises d’épilepsie, avortements spontanés, fausses couches, problèmes de sommeil, stress aigu et syndromes de stress post-traumatique.

En octobre dernier, des scientifiques de Hong-Kong s’inquiétaient de l’emploi de « plus de 3.000 cartouches » de gaz lacrymogène CS contre les manifestants pro-démocratie, dans un court article publié dans The Lancet« Dans l’environnement humide subtropical de Hong-Kong, le déploiement de gaz lacrymogènes dans des espaces clos et des stations de métro très fréquentées, à proximité de centres commerciaux, peut exposer les gens à de très fortes concentrations de gaz lacrymogènes pendant un temps prolongé », écrivaient-ils.

« De nombreux rapports indiquent que l’utilisation et le mauvais usage de ces produits chimiques peuvent causer des blessures graves »

Toute une littérature scientifique vient ainsi documenter des cas de patients malades des gaz lacrymogènes, parfois même des décès. Un article de 2017, paru dans la revue BMC Public Health, compile 31 études de 11 pays documentant des dommages causés par des gaz lacrymogènes sur des manifestants. « De nombreux rapports indiquent que l’utilisation et le mauvais usage de ces produits chimiques peuvent causer des blessures graves », indiquent les auteurs. Sur plus de 5.000 cas, ils relèvent notamment deux morts (un pour des problèmes pulmonaires et un dû à l’impact de la grenade). 58 cas « d’incapacité permanente » sont aussi signalés, dont 14 personnes avec des symptômes psychiatriques persistants, et 23 avec des problèmes respiratoires chroniques. 8 % des problèmes de santé documentés « étaient sévères et ont nécessité une intervention médicale professionnelle », indiquent-ils encore. « Nos recherches démontrent qu’il y a un sévère risque de mauvais usage » des armes chimiques en manifestation, concluent-ils. « Elles peuvent potentiellement porter atteinte aux libertés en causant des blessures, en intimidant les communautés et en menant à une escalade de la violence. »

Pour certains Gilets jaunes, les effets d’une exposition aux gaz durent plus d’un mois.

Une équipe proche des Gilets jaunes, rassemblant médecins, infirmières et Alexander Samuel, un docteur en biologie, a collectionné les articles scientifiques rapportant les effets du CS. Une bibliographie que Reporterre a pu éplucher. Des décès sont signalés, en particulier dans des cas où les personnes étaient dans des lieux clos, comme les prisons.

La peau, les yeux et les poumons sont particulièrement touchés. Ainsi, pour la peau, les réactions recensées vont de la rougeur à la brûlure, en passant par l’eczéma, l’apparition de croûtes et des réactions allergiques. Autre cible privilégiée, les yeux. « Chez des personnes exposées, j’ai soigné des conjonctivites ou des œdèmes de cornée [la cornée enfle, on voit trouble]. En général, au bout de dix jours, les symptômes passent », explique Christiane Blondin, ophtalmologue membre de l’équipe qui a travaillé sur les effets pour les yeux. « La littérature scientifique rapporte des problèmes durables à la vision, notamment des risques de cataracte. J’ai envoyé ces informations à la Société française d’ophtalmologie, j’attends leur retour. » Pour les poumons, une étude de scientifiques turcs sur les conséquences à long terme chez 93 patients régulièrement exposés aux gaz lacrymogènes lors de manifestations donne une idée du tableau : « débit expiratoire » diminué, bronchites chroniques augmentées, toux et douleurs à la poitrine durant parfois plusieurs semaines. Du côté du système digestif, nausées et vomissements ont également été documentés. Ces symptômes digestifs et respiratoires correspondent à ceux décrits dans les témoignages recueillis par Reporterre.

« Les effets du CS dépendent de la concentration du produit, de la durée d’exposition, du contexte, mais aussi de la personne, notamment si elle a des antécédents respiratoires », résume Jean-Marc Sapori, toxicologue au centre anti-poison de Lyon. L’exposition quasi hebdomadaire des Gilets jaunes lui a apporté quelques patients. « J’en ai envoyé aux urgences pour une ulcération cornéenne » (une blessure sur la cornée de l’œil), indique-t-il. Pour les effets à long terme, il signale avant tout l’effet sur les poumons : « Une exposition répétée, comme celle des Gilets jaunes qui manifestent tous les samedis, va faire que le temps de récupération des bronches et des poumons sera de plus en plus prolongé. Si on s’expose à nouveau alors que l’on n’a pas récupéré de la semaine précédente, on peut à terme développer de l’asthme ou une BPCO [bronchopneumopathie chronique obstructive, maladie chronique inflammatoire des bronches]. En hiver, s’il y a contact avec un virus, cette irritation peut être un terrain favorable pour une infection. »

Une autre utilisation répétée en France, moins médiatisée, est celle faite sur les migrants. En 2018, le Défenseur des droits avait dénoncé « un usage parfois injustifié du gaz lacrymogène ».

Aucun problème de santé selon les forces de l’ordre

Autant de données qui tranchent avec le discours officiel sur le sujet. « Les gaz lacrymogènes, cela fait pleurer, cela fait tousser. Si un risque était avéré, le ministère de la Santé aurait pris des mesures pour interdire ce produit », nous indique le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop). « Par ailleurs, nous n’avons aucune remontée de problèmes de santé liés aux gaz lacrymogènes au sein des forces de l’ordre. » On nous confirme par ailleurs que les grenades lacrymogènes peuvent être utilisées sans restriction de quantité. Le tout est de respecter le « cadre légal ».

Reporterre a tenté de savoir si leur utilisation a augmenté depuis le début du mouvement des Gilets jaunes. « On sait combien de grenades sont utilisées à chaque manifestation, il y a des rapports », nous apprend Jean Cavallero, délégué national des CRS du syndicat Alliance. Mais il faut l’accord de la direction générale pour communiquer. » Contacté, le ministère de l’Intérieur ne nous a pas encore répondu. « L’utilisation a augmenté depuis les Gilets jaunes », indique cependant M. Cavallero, confirmant un constat largement partagé par tous les observateurs des mouvements sociaux. Beaucoup font débuter cette montée en intensité aux manifestations contre la loi Travail, en 2016.

À l’international, « les manifestations qui ont ébranlé le monde ces dernières années ont fait exploser les ventes de gaz lacrymogène »écrivait dans le Monde Diplomatique en mai 2018 l’historienne Anna Feigenbaum. « Quels dommages cause-t-il à ses victimes ? Quels problèmes pose-t-il en matière de santé publique ? Nul ne le sait, car personne ne s’en soucie. Dans aucun pays il n’existe d’obligation légale de recenser le nombre de ses victimes. Aucune obligation non plus de fournir des données sur ses livraisons, ses usages, les profits qu’il génère ou sa toxicité pour l’environnement », poursuivait-elle. Alors qu’il tentait de connaître la formule précise (avec les additifs qui peuvent influencer la puissance du gaz) des grenades lacrymogènes, un journaliste de Reporterre s’était vu opposer un silence assourdissant sur le sujet. Plus récemment, au salon Milipol, les deux principaux fournisseurs de l’État français, Alsetex et Nobel Sport, ont refusé de répondre à Reporterre.

Mais que l’on se rassure, l’État français gère rigoureusement ses stocks. « Parfois ils diminuent, mais on complète toujours assez vite », indique Jean Cavallero, délégué national des CRS du syndicat Alliance.

Les gaz lacrymogènes exposent-ils au cyanure ? Un biologiste l’assure

Les gaz lacrymogènes exposent-ils au cyanure<small class="fine"> </small>? Un biologiste l'assure

Enquête 3/3 — Depuis huit mois, Alexander Samuel, biologiste, étudie la dangerosité des gaz lacrymogènes. Le coupable : le cyanure ingéré à fortes doses lorsqu’un manifestant est massivement et régulièrement gazé. Pour le prouver, il se base sur des prises de sang et une solide littérature scientifique.

  • Cet article est le troisième et dernier d’une enquête sur les effets des gaz lacrymogènes sur la santé. Le premier est ici, le deuxième, .

Professeur de mathématiques le matin, chercheur un peu pirate l’après-midi et le soir. Voilà la vie d’Alexander Samuel depuis maintenant plus de huit mois. Son sujet d’investigation est, en cette période de mouvements sociaux, d’une prégnante actualité : les effets à long terme des gaz lacrymogènes sur la santé. Et il est parvenu à une conclusion inquiétante : une partie de leurs effets les plus nocifs seraient dus au cyanure.

Enseignant dans un lycée professionnel à Grasse (Alpes-Maritimes), mais aussi détenteur d’un doctorat en biologie, il a pénétré dans le trouble nuage des lacrymos un peu par hasard. Se décrivant comme « très écolo », avec « pas mal de potes zadistes », il s’est d’abord tenu à distance des Gilets jaunes, y voyant un mouvement loin de ses préoccupations. Jusqu’à ce que des amis le traînent à une manifestation, le samedi 23 mars dernier, à Nice. « Je me suis retrouvé aux premières loges de l’affaire Geneviève Legay. J’ai voulu témoigner, j’étais très actif sur les réseaux sociaux et des Gilets jaunes m’ont contacté. » Il leur envoie son témoignage, et signe de son titre de docteur en biologie. « Ils m’ont répondu : “on a un truc pour toi”. Et ils m’ont envoyé un résultat d’analyse de thiocyanates. »

Un taux élevé de thiocyanates dans le sang pourrait démontrer une exposition au cyanure

Les thiocyanates sont le produit de la dégradation du cyanure dans le corps. Alors que le cyanure est rapidement transformé, les thiocyanates peuvent persister et être mesurés pendant plus de deux semaines. Un taux élevé de thiocyanates chez un manifestant pourrait donc montrer qu’il a été exposé au cyanure, via les gaz lacrymogènes. « Au début, quand les Gilets jaunes m’en ont parlé, j’ai cru à une fake news, raconte Alexander Samuel. Mais les témoignages de personnes malades des gaz m’avaient l’air sincères. »

Outre les irritations classiquement attendues, certains lui rapportent des évanouissements, des vertiges, des fatigues extrêmes, des problèmes musculaires, hépatiques (du foie) ou cardiaques. C’est ce qu’Alexander Samuel appelle les « effets cyanure »« Le principal effet du cyanure est le blocage de la chaîne respiratoire des cellules », explique-t-il. Les organes très consommateurs d’oxygène comme le cerveau ou les muscles sont alors touchés, ce qui explique ces symptômes — Reporterre avait d’ailleurs collecté des témoignages relatant de tels troubles. « Mais ils sont trop généralistes, reconnaît M. Samuel. J’ai donc eu une démarche dans l’autre sens. J’ai regardé s’il était possible que la molécule utilisée dans le gaz lacrymogène nous expose au cyanure. » Il déroule la démonstration, tantôt pédagogique, tantôt emporté par ses termes de spécialiste.

« Au début, quand les Gilets jaunes m’en ont parlé, j’ai cru à une fake news. »

Il vérifie rapidement que c’est effectivement le cas. La molécule utilisée dans les gaz lacrymogènes en France est du o-chlorobenzylidène malonitrile, appelée CS. Elle libère, une fois dans l’organisme, un peu de cyanure, ce célèbre poison, que l’on croise dans pas moins de cinq romans d’Agatha Christie et de nombreuses fois dans l’histoire… Le gaz lacrymogène, désormais régulièrement et abondamment utilisé en manifestation, peut-il causer des intoxications (même légères), ou des problèmes chroniques du fait du cyanure ? Pour répondre à la question, il faut pouvoir doser la quantité de cyanure pouvant arriver dans le corps par les gaz lacrymogènes.

Car, en matière de cyanure, la dose fait le poison. La cigarette ou l’alimentation (pépins de certains fruits, manioc) sont des sources d’exposition quotidiennes au cyanure. « Quand il y en a peu, il est rapidement neutralisé par l’organisme, nous indique le toxico-chimiste André Picot, un soutien de poids qui encourage Alexander Samuel dans ses recherches. Mais chez les personnes qui y sont exposées tous les week-ends via les gaz lacrymogènes, le système de défense s’épuise, et le cyanure commence à jouer son rôle toxique. » Alexander Samuel poursuit : « Il y a des effets directs, sur le moment, quand on est exposés à de fortes doses. Mais il y a aussi les effets d’une exposition répétée. Les boxeurs qui ont des hypoxies [manque d’oxygène] toutes les semaines développent ensuite la maladie de Parkinson. »

D’un débit rapide, Alexander Samuel détaille chacune de ses affirmations. Son smartphone dans une main et son ordinateur dans l’autre, il fait défiler les documents, mitraille les informations qu’il a commencé à « résumer » dans un document de plus de cent pages, qui s’appuie sur plus de 400 références, majoritairement tirées de la littérature scientifique. Il partage chaque nouvelle trouvaille, sur sa page Facebook mais aussi sur le site qu’il a créé« Je fais de la recherche open source », lance-t-il d’un air nonchalant.

« Dès que vous respirez le gaz, il pénètre très rapidement, arrive dans le sang, des réactions se produisent et il libère une molécule de cyanure »

Le biologiste a identifié deux voies d’exposition au cyanure. Tout d’abord, la molécule de CS peut libérer, comme on l’a vu, le cyanure une fois dans le corps. « Le gaz CS fait partie des molécules plutôt instables, explique André Picot. Dès que vous le respirez, il pénètre très rapidement, arrive dans le sang, des réactions se produisent et il libère une molécule de cyanure. » Alexander Samuel cite une étude des années 1980, qui avait tenté de calculer quelle quantité de cyanure pouvait ainsi se retrouver dans le corps [1]. « Elle indiquait qu’un manifestant situé à vingt mètres, pendant dix minutes, d’une grenade lacrymogène, recevait autant de cyanure que dans deux bouffées de cigarettes de l’époque [la cigarette expose aussi au cyanure] », résume Alexander Samuel. Mais cette valeur doit être désormais revue à la hausse, estime-t-il : « Avec des calculs plus proches de nos réalités de manifestation, où l’exposition est plus forte et plus longue, on peut atteindre des doses de cyanure bien plus élevées. »

Le cyanure pourrait aussi être directement libéré dans l’air. « La dégradation du CS à forte température produit du cyanure, poursuit Alexander Samuel. Une étude de 2013, menée au sein de l’armée étasunienne, montre que cela arrive dès 100 degrés, et que les soldats sont exposés. » Elle conclut notamment que, même si les quantités de cyanure repérées restent en dessous des limites d’exposition, il faudrait « de nouvelles recherches sur les effets d’une exposition chronique », les soldats étant régulièrement au contact du CS. On pourrait donc, tout simplement, respirer du cyanure quand on se fait gazer en manifestation.

Des soldats étasuniens dans une « chambre » dédiée pour leur faire faire l’expérience de l’exposition au gaz lacrymogène CS.

Pour Alexander Samuel, une personne exposée régulièrement plusieurs heures d’affilée aux gaz lacrymogènes risque d’avaler des doses de cyanure dangereuses pour la santé. Pour le démontrer, des Gilets jaunes avaient déjà incité à faire des analyses de thiocyanates (dérivé du cyanure dans le corps, comme nous l’avons expliqué plus haut). Des groupes Facebook de Gilets jaunes avaient relayé, dès avril, des résultats montrant des taux de thiocyanates supérieurs à la normale chez certains manifestants. Mais elles avaient été jugées insuffisantes par les toxicologues interrogés dans différents médias pour juger d’une intoxication au cyanure. Les taux étaient importants, certes, mais pas suffisamment significatifs selon eux. Et puis, comment prouver que c’est bien par les gaz lacrymogènes, et pas par l’alimentation ou la cigarette, que ces personnes ont été exposées ? Les articles de presse publiés en avril et mai dernier avaient donc écarté cette hypothèse. « Le danger des gaz lacrymogènes vient plus de leur effet irritant que de potentielles traces de cyanure »avait conclu LCI, résumant ainsi la position de la majorité des médias.

« Quand beaucoup de grenades lacrymogènes sont lancées sur des personnes nassées, il y a lieu de s’inquiéter »

Mais Alexander Samuel, à l’aide de trois médecins, a aussi réuni plus d’une cinquantaine d’analyses de thiocyanates dans le sang ou les urines de manifestants, présentant des taux élevés. Face aux critiques des toxicologues relayées dans les médias, « on a décidé de mesurer directement le cyanure présent dans le sang au moment de la manifestation », explique-t-il, le regard déterminé encadré par sa barbe et ses cheveux détachés, tous deux longs et roux. Pour ce faire, le biologiste a trouvé un test développé par une jeune entreprise suisse, Cyanogard, qui permet de mesurer facilement de taux de cyanure dans le corps. Les premières tentatives, le 20 avril et le 1er mai, ont été un échec relatif. Le test s’est révélé difficilement lisible, et une polémique s’est installée, partant du petit monde des Gilets jaunes et des street medics pour atterrir dans les médias. Les prises de sang « sauvages » en manifestation sont dénoncées comme dangereuses. Une enquête préliminaire est ouverte par le parquet de Paris, notamment pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Toutes les personnes étaient consentantes, avaient des ordonnances, et les prises de sang ont été faites par des professionnels, se défendent Alexander et les trois médecins.

Des manifestants dans les gaz, le 1er mai 2019 à Paris.

Finalement, il a fait une ultime tentative de mesure, en juin. Cette fois-ci, ce sont lui et son équipe qui ont joué les cobayes, prélevant leur sang avant la manifestation, puis après exposition aux gaz. Ce jour-là, l’équipe de médecins et le biologiste étaient accompagnés de la journaliste du Nouvel Obs Emmanuelle Anizon et du fabricant du kit de mesure. « Je suis resté dans les gaz jusqu’à avoir des vertiges, ce qui arrive régulièrement à des gens », raconte Alexander Samuel. Pour lui, le résultat est cette fois-ci sans appel, les analyses montrent que les taux de cyanure augmentent significativement, et atteignent « des niveaux supérieurs au seuil de dangerosité », indique-t-il. Désormais, « on sait qu’il y a du cyanure, poursuit-il. Donc quand beaucoup de grenades lacrymogènes sont lancées sur des personnes nassées, et utilisées en quantité importante et de façon répétée, il y a lieu de s’inquiéter. » Il relève notamment qu’« il n’y a aucune limitation du nombre de grenades lacrymogènes pouvant être utilisées par les forces de l’ordre ».

Son discours reste cependant contesté par plusieurs toxicologues français, et notamment Jean-Marc Sapori, du centre anti-poison de Lyon, qui travaille dans le domaine des NRBC — comprenez risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. « Le test de Cyanoguard n’est utilisé ni en France ni en Suisse, et cette firme ne répond pas aux normes. Je reste donc très prudent quant à l’efficacité de ce test, conteste-t-il. Par ailleurs, reprenez les articles scientifiques qui synthétisent les conséquences d’une exposition au gaz lacrymogène. Les effets décrits ne correspondent pas à ceux d’une intoxication au cyanure. » Il préfère en rester à la réponse scientifique majoritairement donnée aujourd’hui, qui écarte la possibilité que le CS produise suffisamment de cyanure pour atteindre des doses dangereuses.

Un silence officiel est entretenu autour des effets sur la santé potentiels des gaz lacrymogènes

Alexander Samuel estime que le débat a été prématurément enterré. Une expérimentation en bonne et due forme serait donc nécessaire pour conclure la discussion. Mais veut-on vraiment connaître la vérité ? Alexander Samuel voulait doubler ses analyses avec un protocole plus officiel. « J’ai contacté tous les laboratoires de France qui possédaient l’appareil nécessaire, ils m’ont tous répondu qu’il n’est pas possible de le paramétrer pour le cyanure », regrette-t-il. Il a tenté en Belgique, où un toxicologue avait accepté de recevoir les échantillons, avant de se retirer.

Comme Reporterre l’a expliqué dans ses précédents articles, en France, un silence officiel est entretenu autour des effets sur la santé potentiels des gaz lacrymogènes. Il faut dire qu’au-delà de leur utilisation pour le maintien de l’ordre, ils représentent un marché prospère. « Le secteur de la sécurité a connu 4,5 % de croissance annuelle en moyenne entre 2013 et 2017 », se félicitait le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, au salon Milipol 2019. Car la France exporte en quantité du matériel de répression.

Pour tenter de briser ce silence, Alexander Samuel écrit, sollicite, échange en permanence sur le sujet avec des scientifiques un peu partout dans le monde. Il a traduit la synthèse de son travail en anglais afin de la partager le plus largement possible. Il a commencé à faire relire le résultat de son travail par certains pontes de la recherche en toxicologie, afin d’obtenir une validation scientifique lui donnant plus de poids. André Picot l’aide aussi à peaufiner son rapport. Il poursuit ses recherches, nous parle d’une nouvelle astuce qu’il aurait trouvée pour calculer la quantité de cyanure se retrouvant dans le corps. Il tire tous les fils, a aussi pris contact avec des politiques. « Il s’agit d’un problème de santé publique, et on a des éléments suffisants pour sonner l’alerte », répète Alexander Samuel à qui veut bien l’écouter.

La dérive sécuritaire

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  • Écrit par  Françoise Verna 
  • mercredi 4 décembre 2019 09:30 
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Le maintien de l’ordre est éclaboussé par plusieurs scandales, et dans ces affaires le gouvernement a une lourde responsabilité.
À Marseille, une octogénaire, Zineb Redouane, est morte après avoir reçu un tir de grenade lacrymogène, effectué par un CRS, alors qu’elle fermait ses volets, le 1er décembre 2018. Une instruction est ouverte à Lyon, la famille ayant obtenu le dépaysement du dossier. Si la dérive du maintien de l’ordre avec son lot de bavures, ne date pas du mouvement des Gilets jaunes, il a pris une particulière acuité depuis novembre 2018. Comme si la seule réponse à la soif d’égalité et de démocratie était la répression et de décourager les manifestants. Les policiers à qui le gouvernement ordonne de faire le sale boulot ne sont pas non plus épargnés.

Scandale sanitaire ?

Il ne s’agit pas ici de faire peur mais d’exposer des faits à l’aune, notamment, du travail minutieux du biologiste Alexander Samuel sur la nocivité des gaz lacrymogènes.
Les armes utilisées à grande échelle ont provoqué à ce jour 2 448 blessés parmi les manifestants et 561 signalements ont été déposés à l’IGPN, selon les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur. Au 21 novembre 2019, l’État a recensé un total de 9 071 tirs de LBD, 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées et 5 420 tirs de grenades de désencerclement
Selon le décompte du journaliste David Dufresne, 25 personnes ont été éborgnées et cinq mains arrachées. C’est à ce jour le plus gros scandale du maintien de l’ordre. Un autre est en train de poindre et pourrait devenir un véritable scandale sanitaire.

« Les lacrymos causent des intoxications au cyanure » Alexander Samuel, docteur en biologie

  • Écrit par  Sylvain Fournier 
  • mercredi 4 décembre 2019 09:11 
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Les forces de l’ordre avancent dans un nuage de lacrymos après avoir lancé des grenades, le 17 novembre, aux abords de la Plaine (Marseille) , pour empêcher la tête de cortège des Gilets jaunes d’y prendre pied. Un usage massif qui n’épargne ni les manifestants pacifiques, ni habitants et passants ni policiers et gendarmes.

Les forces de l’ordre avancent dans un nuage de lacrymos après avoir lancé des grenades, le 17 novembre, aux abords de la Plaine (Marseille) , pour empêcher la tête de cortège des Gilets jaunes d’y prendre pied. Un usage massif qui n’épargne ni les manifestants pacifiques, ni habitants et passants ni policiers et gendarmes. PHOTO Sylvain Fournier

Docteur en biologie et enseignant, Alexander Samuel mène des recherches depuis plusieurs mois sur les effets du gaz lacrymogène : « Le gaz CS provoque des intoxications au cyanure qui est libéré dans le sang après inhalation ». Il livre ici sa démarche et ses premières conclusions. Édifiant.


La Marseillaise : Pourquoi se pencher sur de supposés liens entre le gaz lacrymos et cyanure ?
Alexander Samuel : Des Gilets jaunes m’ont montré des résultats d’analyses au cyanure, enfin, un dérivé du cyanure, le thiocyanate, qui reste deux semaines dans le sang, le cyanure reste quelques minutes, au maximum une heure. Ils étaient convaincus que cela venait des lacrymos. Je suis spécialiste fake news de l’Académie de Nice, et leur ai dit que c’était une fake news. Et en tant que biologiste, j’ai voulu démontrer que c’était bidon… Même s’ils m’ont décrit des symptômes qui n’étaient pas simplement dus aux grenades lacrymogènes, mais pouvant être reliés au cyanure, comme tomber dans les pommes, etc. Cela pouvait aussi être dû à tout et n’importe quoi. J’ai, dans un premier temps, regardé rapidement la littérature scientifique.

Et qu’avez-vous constaté ?
A.S. : J’ai été étonné. Depuis les années cinquante, les études montrent que ce gaz libère du cyanure dans le sang, par métabolisme. Il n’y a pas du cyanure caché, dans la grenade, c’est une grosse molécule qui contient des groupements de cyanure, et ces groupements quand ils sont libérés, sont dangereux.
Donc, le cyanure est bien présent dans le gaz lacrymogène ? Comment est-il libéré ?
A.S. : À la base, il se situe dans la molécule entière : l’ortho-chlorobenzylidène malonitrile, le gaz CS, pour faire simple. Dès qu’il rentre en contact avec des fluides, comme le sang, ses composés sont découpés et le cyanure est libéré. Il est aussi libéré par dispersion thermique, quand on le chauffe. Une étude récente, de 2013, a démontré que c’était libéré dès 100 degrés. Et, plus il fait chaud, plus la molécule est dégradée, et plus il y a de cyanure libéré.

Les effets des gazeuses et des grenades sont identiques ?
A.S. : Pour les grenades, il y en a probablement dans l’air puisque ce sont des palais qui sont chauffés – dispersion thermique. Pour les sprays, il n’y en a probablement pas dans l’air. Mais dans les deux cas, la molécule passe par les surfaces poreuses, la peau, va être inhalée, et va être transformée en cyanure dans le corps, par le métabolisme.

Quelles sont les méthodes utilisées pour démontrer la présence de cyanure ?
A.S. : Au départ, nous savons qu’il y a du cyanure. Reste une inconnue : quelle est la dose, est-elle dangereuse ? Une petite dose de cyanure correspond à une bouffée de cigarette, ce n’est effectivement pas très grave. Le seul indice que nous avions c’était cette analyse d’un dérivé de cyanure qui nous disait que la dose était 2 à 3 fois au-dessus de la normale. Nous avons demandé aux gens exposés au gaz lacrymogène de faire des analyses de thiocyanate… Et nous avons eu droit à une levée de boucliers et des critiques très violentes.

Vous avez eu combien d’analyses ?
A.S. : Moi-même j’en ai une vingtaine, et le médecin avec qui je travaille affirme que nous en avons une cinquantaine. Au début, nous avons eu un mal fou à récupérer les résultats… On a dû insister lourdement pour avoir les cinq premiers… Puis la procédure a été critiquée, car le thiocyanate n’était pas un bon marqueur : il reste longtemps dans le corps, et l’ingestion de fumée de cigarettes, de pépins, de manioc ou d’amandes peut influer sur le résultat. Nous ne pouvions en conclure que cela provenait du gaz lacrymogène. Le seul moyen de vérifier qu’il y avait un taux élevé de cyanure juste après l’exposition au gaz lacrymogène, c’était de mesurer le cyanure immédiatement après.


Comment avez-vous fait ?
A.S. : J’ai contacté une entreprise, une start-up suisse, qui fabrique, depuis 2018, un kit novateur permettant de mesurer directement le taux de cyanure dans le sang, un peu comme un alcootest. La différence avec un alcotest c’est qu’il faut du sang. J’ai demandé au médecin s’il pouvait mettre en place un cadre correct, une procédure, pour faire une prise de sang dans l’heure qui suit un gazage. Et donc, trois médecins m’ont aidé. L’objectif était de permettre au patient de vérifier si les vertiges ou la perte de connaissance venait d’une crise d’épilepsie comme l’estimaient les toxicologues ou pouvaient être dus à une intoxication au cyanure, comme je le soupçonnais. C’était dans l’intérêt du patient, tout a été fait avec des consentements signés. Malgré cela, le parquet de Paris a ouvert une enquête – toujours en cours, pour « mise en danger de la vie d’autrui et violence aggravée », concernant les prises de sang… L’ensemble des médecins et moi-même avons été interrogés en juillet.

Puis vous avez été arrêté et votre matériel saisi…
A.S. : Après avoir fait publier les premiers résultats – dans l’Obs et l’Huma – début août, j’ai été mis en garde à vue parce que j’aurais « lancé une trottinette et dégradé un véhicule » lors d’une manif. L’affaire a été classée sans suite. J’ai eu une deuxième garde à vue, un mois plus tard, en octobre. J’avais un rendez-vous à Nice, des militants faisant une action à la Société Générale, à proximité de mon point de rendez-vous, j’ai été contrôlé et embarqué avec 48 heures de garde à vue et perquisition à mon domicile. Les policiers y ont saisi un tee-shirt de medic, un sac à dos… et, ce qui m’a le plus choqué : des livres, concernant les travaux que je fais sur les gaz, et l’ensemble de mon matériel informatique a été saisi, ils ont aussi consulté devant moi mes mails… J’ai été libéré avec un classement sans suite. Un des livres, rare, a été détruit, le matériel m’a été restitué…

Quel est le niveau d’intoxication des manifestants, policiers, habitants ?
A.S. : Il y a déjà les effets directs des lacrymos. Avec de gros problèmes pulmonaires, qui ont fait l’objet d’études, lors de l’entraînement des soldats américains, notamment. Une autre étude, turque, a démontré que les habitants des quartiers exposés avaient aussi de gros problèmes pulmonaires. Pour le cyanure, lorsque la dose est très légère, il est transformé en thiocyanate doucement, et il ne se passe quasiment rien. À côté de ça, on peut avoir des effetsaigus lorsque la concentration arrive entre 0,25 et 0,5 mg / litre de sang. La dose mortelle est difficile à définir, elle tient à une accumulation, mais entre 50 et 100 mg, on est sûr de mourir. Ce que j’ai mesuré, c’est : 0,7 mg par litre de sang, on atteint « l’effet aigu » qui peut occasionner perte de mémoire, perte de connaissance, vertiges, soit les effets d’hypoxie. Ces effets ont été vus, vécus et rapportés. Aujourd’hui l’interrogation porte sur les personnes qui y sont exposées fréquemment. C’est comme si on jouait au jeu du foulard avec les manifestants, toutes les semaines. Avec des risques inhérents, sur les reins, le foie…


Que comptez-vous vous faire pour faire connaître vos résultats…
A.S. : Nous n’avions pas envisagé de les médiatiser à outrance. Nous voulions alerter les autorités de Santé. La Haute autorité de santé, nous a renvoyés vers d’autres organismes. Et pour l’instant ils se renvoient la balle… Je n’arrive pas à imaginer que les autorités de Santé, ne soient pas déjà alertées. Les études sont publiques et publiées. Je suis étonné que peu de toxicologues français agissent… Pour pouvoir alerter davantage, je suis entré en relation avec André Picot, de l’association de Toxicologie-chimie de Paris, il a accepté d’être coauteur d’un dossier et de le publier au nom de l’ATC. Avec plus de 500 références scientifiques.


Entretien réalisé par Sylvain Fournier

ALEXANDER SAMUEL : « TEAR GAS POISONS»

Tuesday, November 5th, 2019

Emilien Urbach

Whistleblower. The young biologist from Nice highlights large doses of cyanide in the blood of demonstrators exposed to this chemical weapon.

« Cyanide in the tear gas used for law enforcement? Would the government poison the population? Unthinkable! It was the first reaction of Alexander Samuel, a math teacher and doctor of biology, when the yellow vest Julien Chaize, in April 2019, asked him to study this hypothesis. Six months later, the young scientist from Nice is convinced, significant doses of poison circulate in the blood of gassed demonstrators.

This conviction disturbs. On Saturday November 2, Alexander was taken into police custody on the grounds that he was implicated in a symbolic, bio-painted attack on a bank. He denies it but remains locked up for forty-eight hours. His home is searched. Its computer equipment and many documents are thoroughly inspected. A military manual from 1957, « on protection against combat gases », is seized and destroyed.

Away, he observes the violence

This episode is apparently unrelated to his research on tear gas. In any case, the biologist has already compiled his work in a report. It will be published in the coming days by the Toxicology Chemistry Association, founded by André Picot, honorary director of the chemical risk prevention unit at the CNRS. The latter will co-sign the Alexander publication alongside other researchers and doctors.

There was nothing to suggest such a result when, at the beginning of spring, Alexander went for the first time to a demonstration of yellow vests. « I was suspicious, » he admits. In the Alpes-Maritimes, the far right was very present at the start of the movement and my environmental convictions were at odds with the demands linked to fuel taxes. Curious, however, he went to the rally organized on March 23 in Nice.

At a distance, he observes the violent police charges during which the head of Attac, Geneviève Legay, is seriously injured. Alexander does not attend the scene directly but he sees the street medics, these militant rescuers who intervene during the demonstrations, prevented from intervening and being arrested. Alexander films. He was immediately placed in police custody. It’s his first time.

« I was shocked, » says the scientist. The conditions of my detention, the lies of Emmanuel Macron and the prosecutor concerning Geneviève Legay made me stand in solidarity with the movement. He decides to gather everything that could make it possible to establish the truth and to pass it on to yellow vests who intend to seize the United Nations. Among them, Julien Chaize wants to convince him to look into the case of a demonstrator who, following an exposure to tear gas, displayed an abnormally high level in the blood of thiocyanate, molecule formed after the assimilation of cyanide by the liver.

This is an isolated case. Impossible for Alexander to see in it evidence of massive poisoning of the population. Incredulous, he participated in other demonstrations and observed the reactions of people exposed to the gases. Vomiting, irritations, disorientation, loss of consciousness … these fumes don’t just make you cry.

Alexander consults the scientific literature. The tear gas component used in France is 2-Chlorobenzylidene malonitrile. As it is considered a chemical weapon, its use is prohibited in the context of armed conflicts. Not for policing. For the biologist, the verdict is clear, this molecule, once present in the blood, releases cyanide. Several studies since 1950 confirm this. None said otherwise. But this poison is also present in cigarettes and a multitude of foods. Its dangerousness is therefore a question of dosage. How to measure it?

Alexander and three doctors in yellow vests then proposed to the demonstrators to have their blood analyzed to determine a level of thiocyanate. But this marker is not reliable enough. Cyanide must be quantified. However, the poison is only detectable in the blood for a few tens of minutes. Armed with a kit of tests, prescriptions and forms to be signed by the candidates for an exam, they decided to take blood and urine samples directly during the demonstrations of April 20 and May 1.

The results are edifying

The results of the first samples confirm the significant presence of cyanide, but do not give the precise dosage. On June 8, in Montpellier, the team perfected their protocol. Alexander, the three doctors and a few accomplices make themselves guinea pigs from their experience. They test their blood before the demonstration and afterwards. The results are edifying. Scientific community considers cyanide poisoning

Émilien Urbach



Fabriquer un système respiratoire de fortune

Un système artisanal pour éviter de se faire confisquer un masque tout en étant protégé efficacement contre le gaz lacrymogène, à condition de maîtriser une technique de respiration.
Il faut inspirer par la bouche dans le tuyau, afin que l’air passe par le filtre, et expirer par le nez (sans recracher l’air dans le tuyau)

Matériel requis

Il faudra une cartouche filtre à gaz de type P3 (le plus souvent A-P3), du scotch résistant et renforcé, un cutter et un tuyau qu’il faudra couper à la longueur adéquate.

Etapes de fabrication

1) Ouvrir l’avant du filtre et prendre le bouchon en plastique
2) Faire un trou dans le bouchon à l’aide du cutter pour faire passer le tube et le coincer à l’aide d’une vis
3) Scotcher l’ensemble abondamment de façon à ce que le scotch passe bien sous le capuchon plastique
4) Ajouter un élastique et fixer le bouchon sur le filtre.
5) Utiliser le filtre en respirant avec la bonne technique

Conseils de conservation

Pensez à bien déboucher le bas du filtre quand vous respirez, et à le reboucher quand vous avez fini de l’utiliser.
Un gant placé à l’extrémité du tuyau peut être ajusté et éviter que de l’air ne passe dans le filtre lorsqu’on ne l’utilise pas.

Fabriquer un masque de fortune

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Couper une bouteille de soda de 2 litres comme indiqué.
Coller une bande de caoutchouc sur les bords de la bouteille.
Coller du tissu par-dessus le caoutchouc.
Insérer un masque respiratoire dans la bouteille.
Fixer un élastique pour accrocher au visage.
Ajouter un peu de vinaigre pour humidifier le masque avant de le porter.

Alexander Samuel, l’homme qui enquête sur le gaz lacrymogène utilisé contre les « gilets jaunes »

Alexander, au cours d’un rassemblement national des « gilets jaunes » à Montpellier. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse)

Docteur en biologie, Alexander Samuel enquête sur les dangers du gaz lacrymogène, utilisé massivement en France contre les “gilets jaunes”. Sa méthode : entrer dans les nuages et effectuer ensuite des tests sanguins et urinaires.

Par Emmanuelle AnizonPublié le 24 juillet 2019 à 14h00

On l’a vu, à plusieurs reprises, entrer dans le nuage blanc, et en ressortir quelques minutes plus tard, longue crinière rousse en pétard, yeux et visage écarlates, pleurant, toussant, titubant, à la limite du malaise… Alexander Samuel, 34 ans, docteur en biologie moléculaire, prof de maths dans un lycée professionnel de Grasse et amateur de philosophie, n’aurait jamais imaginé humer volontairement du gaz lacrymogène au cœur de manifestations. Ni traverser la France avec des flacons de sang et d’urine dans le coffre de sa voiture, tel un passeur de drogue, à la recherche d’un labo susceptible d’accepter sa cargaison. Encore moins se retrouver convoqué par la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Lui, dont la seule violence assumée consiste à hurler régulièrement dans un micro, entouré de son groupe de metal.

Alexander s’est engagé par inadvertance, le 23 mars 2019. Ce jour-là, le prof dont le cœur penche « très à gauche », vient « en observateur » à une manifestation de « gilets jaunes » à Nice. Il est contacté par un groupe, SOS ONU, qui recense les violences policières. « Quand ils ont su que j’étais docteur en biologie, ils m’ont demandé si je pouvais les aider à analyser les effets des gaz lacrymogènes. Ils décrivaient des symptômes nombreux : maux de ventre, nausées, vomissements, douleurs musculaires, migraines fortes, mais aussi pertes de connaissance, problèmes pulmonaires, cardiaques, hépatiques… Des “gilets jaunes” avaient été hospitalisés.Ils évoquaient une possible intoxication au cyanure. Au cyanure ! Je les ai pris pour des dingues ! Mais vu qu’il y avait beaucoup de témoignages, je me suis dit que j’allais creuser. »

Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)
Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)

Alex adore creuser. Déjà, à l’université de Nice, le thésard brillant, mi-français, mi-allemand, s’était fait remarquer par sa propension à plonger son nez obstiné dans les affaires – détournements de subventions, corruption de syndicats étudiants et autres passe-droits. « Alex est un chercheur qui trouve, témoigne Guillaume, un ancien camarade de l’époque. Il accumulait des preuves, récupérait des documents, enregistrait les conversations. Il combinait les méthodes d’un enquêteur et d’un scientifique. »

Le prof se plonge dans la « littérature », comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire tout ce qui a été publié scientifiquement sur le sujet. Et rend compte méthodiquement de ses découvertes sur son site. Il apprend que le gaz « CS » utilisé par les forces de l’ordre ne contient pas de cyanure en tant que tel, mais qu’un de ses composants, le malonitrile, se métabolise en cyanure quand il entre dans le corps.

Une question de santé publique

On peut supporter le cyanure à petites doses ; les fumeurs, les mangeurs de chou, d’amandes ou de manioc en ingèrent. A plus haute dose, le cyanure provoque une hypoxie, un manque d’oxygène.Et peut tuer, même s’il n’y a pas de décès par gaz lacrymogène recensé en France. Alex explique :« La personne gazée subit comme un étranglementÇa fait quoi sur la santé de se faire étrangler un peu chaque week-end ? On nous dit que le gaz lacrymogène n’est pas dangereux, mais on ne connaît pas vraiment ses effets à long terme sur la santé ».

Le chercheur passe ses journées et ses nuits sur ce qu’il considère être « une question de santé publique : le gaz lacrymo est utilisé aujourd’hui massivement par les forces de l’ordre, et pas que sur les “gilets jaunes” : les écolos du pont de Sully, les jeunes de la Fête de la Musique à Nantes, les riverains et les commerçants, tous se sont retrouvés sous le gaz. Et les policiers, qui sont les premiers exposés ! » Ceux-ci portent la plupart du temps des masques à gaz qui les protègent, mais le 28 juin, sur le pont de Sully, un commandant a perdu connaissance à cause des lacrymos.« Où est Steve ? », voilà LA question

Le cyanure disparaît moins de trente minutes après l’exposition au gaz lacrymo. En revanche, il laisse dans le corps un marqueur, le thiocyanate, qui, lui, peut être détecté pendant plusieurs semaines. « J’ai vu des résultats d’analyse de “gilets jaunes” avec des taux plus de trois fois supérieurs à la normale ! » affirme Alex, qui contacte alors moult toxicologues, médecins, chercheurs en France et à l’étranger. Les réactions sont contrastées, entre ceux qui lui disent qu’il fait fausse route, comme Jean-Marc Sapori, du centre antipoison de Lyon, et ceux qui l’encouragent à poursuivre un travail « remarquable », comme André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie, sans oublier ceux qui lui glissent au passage :« Faites attention à vous, vous vous attaquez à un sujet trop dangereux. »

Il appelle beaucoup, on l’appelle de plus en plus. Un barbouze veut lui refiler des documents confidentiels sur les victimes de gaz pendant la guerre d’Algérie. Des « gilets jaunes », par dizaines, veulent témoigner, envoient leurs analyses :« On compile leurs symptômes dans un tableau, on voit remonter de nouveaux trucs bizarres. Par exemple, beaucoup de femmes, même ménopausées, se retrouvent avec des règles abondantes. »

Une praticienne du CHU de Lyon lui écrit pour un patient, gazé à de multiples reprises, ayant un « problème hépatique de cause inconnue » : « Je me demande si cela pourrait expliquer sa pathologie », dit-elle.

Comment prouver le lien entre pathologie et gaz lacrymo ?

Que répondre ? Comment prouver irréfutablement ce lien ? Puisque les autorités de santé ne s’emparent pas du sujet et que le ministère de l’Intérieur martèle « Circulez, il n’y a rien à voir », Alex, trois médecins – Renaud, anesthésiste-réanimateur, Josyane, généraliste, et Christiane, ophtalmologue – et quelques « gilets jaunes » décident d’effectuer des prélèvements sanguins à chaud, en manifestation.

Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)
Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)

Lors de ses recherches, Alex a découvert qu’une société suisse, CyanoGuard, fabriquait des kits pour mesurer le taux de cyanure dans le sang : « Ça marche comme un éthylotest. Si la couleur reste orange, c’est bon. Si elle vire au violet, c’est qu’il y a un taux de cyanure dangereux. Ils sont sérieux, ils ont publié dans l’excellente revue de la Royal Society of Chemistry, et le FBI utilise leurs outils ! » Alex et les médecins achètent dix kits, à 15 euros l’unité, et prévoient d’envoyer aussi en parallèle des tubes de sang en labo pour mesurer le taux de thiocyanate : « En combinant les deux méthodes, on renforce la fiabilité des résultats. » Et c’est ainsi que, samedi 20 avril à Paris, des « gilets jaunes » ont vu, au milieu des fumées, crachats, tirs de LBD et mouvements de foule, un petit groupe équipé de casques, lunettes, seringues et tubes effectuer des prises de sang, à même le trottoir.

Les résultats sont décevants : le changement de couleur du cyanokit est difficilement interprétable. « Cyanoguard nous disait : “C’est positif”, mais j’avais des doutes. » Autre surprise : les résultats du thiocyanate, analysé par le seul labo compétent de France, à Lyon, reviennent pour la plupart négatifs. « Même ceux des fumeurs, ce qui n’est pas possible ! » pouffe Alex, qui pouffe beaucoup, en rougissant et en plissant le nez, comme le font les enfants. Le prof ne veut pas croire que ces résultats aient pu être truqués volontairement, mais trouverait judicieux néanmoins de faire analyser de nouveaux tubes par un labo étranger « indépendant ».

Les médecins sont présentés comme des assassins

Le 1er mai, lors de la manifestation très agitée de Paris, le petit groupe récidive, cette fois dans un hall d’immeuble protégé des regards. « Des “gilets jaunes” nous attendaient à la porte, pour nous casser la gueule. » Car le groupe inquiète. Sur fond de guerre intestine au sein de SOS ONU, qu’Alex et les médecins ont quitté, une polémique a éclaté. Des vidéos des prélèvements circulent sur les réseaux sociaux, où les médecins sont présentés comme des assassins.On a suivi des « gilets jaunes » devenus black blocs

Les médias relaient les propos d’une « gilet jaune » prélevée accusant l’équipe d’avoir profité de sa faiblesse ; le Conseil national de l’Ordre des Médecins, interpellé, explique qu’il n’est pas interdit en soi d’effectuer une prise de sang dans la rue, mais que celle-ci obéit à certaines conditions. « Nos prélèvements ont été faits dans le respect de ces conditions de sécurité, et tous ceux qui ont donné leur sang ont signé un consentement éclairé », assurent les trois médecins de l’équipe. Une enquête préliminaire est ouverte. Au lycée d’Alex, le proviseur reçoit des messages dénonçant « l’illuminé ».

L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse
L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse

Avec cette tempête, certains dans le groupe prennent peur et abandonnent. Pas Alex, qui décide de repartir de zéro avec un noyau de téméraires. On leur reproche de prélever du sang chez les autres ? Ils le prélèveront sur eux-mêmes. Pas dans la rue, mais au premier étage d’un restaurant de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin (grâce à la complicité du gérant, pro- « gilets jaunes »). Ce jour-là, « l’Obs » était présent, et le fabricant suisse du cyanokit aussi, venu en personne surveiller l’opération. Cette fois, le taux de cyanure a pu être chiffré. Alex analyse :« On est passé de 0 ou 0,1 avant gazage à 0,7 aprèsle seuil de dangerosité étant fixé à 0,5. C’est bien le signe que le cyanure et le gaz sont liés ! »

Sauf que, pour les toxicologues, les chiffres de ce kit non homologué ne constituent pas une preuve officielle. Parallèlement, pour l’analyse du thiocyanate, Alex est allé déposer lui-même des tubes dans une prestigieuse université belge. Vingt-quatre heures de route. Les professeurs, manifestement intéressés, l’ont reçu longuement, mais leur labo s’est finalement déclaré incompétent. « Ils n’ont pas envie de se mouiller, ils savent qu’il y a l’Etat français en face », interprète Alex. Peur ou pas, il a fallu chercher ailleurs. Les Allemands ont hésité, puis l’ont renvoyé vers un labo anglais, qui a accepté. Les tubes sont arrivés… mais trop tard : « Pfff… ils étaient hémolysés », soupire Alex. Traduisez : trop datés.

Ils risquent la correctionnelle

Le feuilleton a continué, on vous en passe les épisodes. On retiendra quand même une analyse d’urine par « spectrométrie de masse », avec distribution de pots aux « gilets jaunes ». « Ils sont restés très méfiants. On a récolté deux urines seulement… dont la mienne », avoue Alex. Deux, c’est peu. Mais, à 50 euros l’analyse, il n’aurait pas pu en faire beaucoup de toute façon. Entre les cyanokits, les frais d’envoi, d’analyse et d’avocat, les trajets en voiture, le prof dit avoir dépensé quelque 5 000 euros, soit une bonne partie des économies qui devaient servir aux travaux d’installation dans son appartement.

Il le raconte avec son immuable sourire, nez et yeux plissés. Il dit qu’il s’en fiche. Ce qui l’embête davantage, c’est cette enquête préliminaire ouverte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « recherche interventionnelle prohibée ». Début juillet, lui et les trois médecins ont été convoqués par la justice, et longuement interrogés. Ils risquent la correctionnelle. Ça devrait les refroidir ? Pourquoi s’acharner encore dans ce nid à emmerdes ? « On ne lâchera pas tant qu’une étude épidémiologique sérieuse ne prendra pas le relais. » Avec son trio de médecins, Alex va lancer un appel à la Haute Autorité de Santé. Et en attendant, il continue de creuser.A propos du gaz lacrymo

Le gaz lacrymogène est un composé chimique qui provoque une irritation des yeux et des voies respiratoires. Comme toute arme chimique, son utilisation est interdite dans le cadre d’un conflit armé par la Convention internationale de Genève (1993). Paradoxalement, cette interdiction ne s’applique pas au cadre du maintien de l’ordre public.

Il existe plusieurs sortes de gaz. En France, les forces de l’ordre utilisent du CS (chlorobenzylidène malononitrile), et ce de plus en plus massivement, comme l’ont montré les manifestations de ces dernières années. La dangerosité de ce gaz est proportionnelle à sa concentration et aux conditions de son utilisation. Officiellement, il n’est pas létal, mais des décès ont été rapportés après une utilisation en lieu clos, comme lors dusiège de Waco en 1993 aux Etats-Unis, ou encore en Egypte et à Bahreïn lors de soulèvements de population.

En France, « la concentration de CS dans les grenades est de 10% », nous dit la direction générale de la police, qui précise : « Cela fait plus de vingt ans qu’on utilise ces gaz, s’ils avaient été dangereux, on en aurait été les premières victimes, et les syndicats l’auraient dénoncé. »

Emmanuelle Anizon

How to craft a homemade respiratory system

A DIY system to avoid having your mask confiscated during a demonstration. A way of being effectively protected against tear gas, provided you master a breathing technique.
You have to breathe in with your mouth through the pipe, so that the air passes through the filter, and breathe out through your nose (without spitting air out of the pipe)

Material needed

You will need a P3 type gas filter cartridge (most often A-P3), strong and reinforced tape, a cutter and a pipe that must be cut to the appropriate length.

Crafting steps

1) Open the front of the filter and take the plastic plug
2) Make a hole in the plug using a cutter, to pass the tube and clamp it with a screw
3) Tape the whole abundantly, with tape covering both sides of the plastic cap
4) Add a rubber band and fix the cap on the filter.
5) Use the filter while breathing with the right technique

Preserving advice

Remember to unclog the bottom of the filter when you breathe, and to plug it back on when you have finished using it.
A glove placed at the end of the tube can be adjusted and prevent air from passing through the filter when not in use.

How to craft a homemade gas mask

Cut a transparent 2 Litre soda bottle as indicated
Glue a strip of rubber foam on the inside edge of the bottle
Glue a new strip of cloth over the foam rubber
Put a clinical mouth-cover in the neck of the bottle
Elastic to secure it to your head
Soak the mouth cover in vinegar before putting on the mask

Acute tear gas health hazards pointed by a French health report

Link to article

The French society of toxicology just published a report about “tear gas usage and its short and long term toxic effects”. L’Obs exclusively released this document.

By Emmanuelle Anizon

Published June 27th 2020 at 9 a.m., update 9:45 a.m.

A man throws a tear gas grenade back, in Bordeaux, December 5 2019. (NICOLAS TUCAT / AFP)

French society of toxicology-chemistry, Paris, published a report about “tear gas usage and its short and long term toxic effects”. 126 pages, over a year of hard work by Alexander Samuel. L’Obs was already the first magazine to publish a portrait of this maths high school teacher, PhD in molecular biology, and disheveled haired itching powder who accidentally leaded a healthcare team in doing blood and urine analysis on Yellow Vests Movement protestors in France, to detect presence of Cyanide in tear gas, and its consequence on public health.

“Tear gas harmfulness has already been largely questioned worldwide, but such a review had never been written, says André Picot, head of the Society Of Toxicology-Chemistry. Most of the studies are not publicly available because they are limited to the military domain. This work is of public interest”. Burning hot news, while protesters are drowning in tear gas clouds every day around the world.

What does this review say? Outside of technical biological analysis, which we will not comment out of complexity, this review describes tear gas effects and highlights the importance of cyanide in producing those effects. Each CS tear gas molecule that is absorbed will release two cyanide molecules. Absorption is not only respiratory, but can also be cutaneous.

This review describes the mechanism of cyanide poisoning (blocking the respiratory chain and causing an oxidative stress), and details what happens to the human body even at low dose intoxication. This molecule mainly affects brains, livers and kidneys. Eyes would also be affected (cataract…). It has an effect on central nervous system (headache, anwiety, dizziness, confusion, loss of consciousness, paralysis and even coma), on the respiratory tract (hyperventilation, tachypnea, dyspnea or apnea in extreme cases), on the cardiovascular system (hypotension, palpitations, arrythmia, tachycardia…), and even causing damage to thyroid, gastro-intestinal system (nausea, vomiting, diarrhea), musculo-skeletal system (muscular rigidity), liver… In New Jersey, the Department of Health calls protesters who are exposed to check up their livers and kidneys. “Why is nothing done in France? Asks Alexander Samuel. For political reasons, the scientific aspect is not explored.”

Deaths ?

In his review, Alexander Samuel reminds events in which CS could have caused death, directly or indirectly. “A link is often established by families and friends between tear gas exposure and death, but there are often discussions and there is rarely clear evidence. Recently in the United States, a young woman died from a pulmonary issue just after a demonstration with strong tear gas exposure. It was first said it might be due to tear gas, then discussed… We will probably never know. In France, Steve Maïa Caniço, a young man from Nantes drowned in June 2019 after falling in the Loire river during the music fest in June 2019. This happened just after a police charge with at least 33 tear gas grenades in les than half an hour. Enough to disorient someone… And yet, I regret no forensic analysis

Alexander Samuel hopes his work will trigger more awareness.

“What I have written interrogates. I would like other people to start working on answering those questions I raise.”

He still goes on interacting with scientists, sociologists, and Non-Governmental Organizations (like Amnesty International, who just launched a website dedicated to tear gas). He already teaches dangers of using tear gas through web conferences to police officers… from Chile.

Emmanuelle Anizon

Daniel Soto au Chili

2,200+ "Daniel Soto" profiles | LinkedIn

C’est l’histoire d’un Colonel des Carabineros (police Chilienne) qui a lu le dossier sur les gaz lacrymogènes et a décidé de faire intervenir Alexander Samuel dans des cours devant les officiers Chiliens, pour leur faire prendre conscience de la dangerosité de ces armes. En effet, il se trouve être à la tête de la formation « Droits de l’Homme » de la police Chilienne et a donc été interviewé à deux reprises dans le journal Interferencia. La seconde interview lui a valu d’être contraint de signer une lettre de démission et l’a écarté des carabineros. Voici les articles en français :

Impact sur la santé :
Une étude scientifique française conclue que les composants du gaz lacrymogène des Carabineros de Chile produit du cyanure dans l’organisme.

Lien vers l’article

Par Diego Ortiz, le 11/09/2020

Selon cette étude, de longues expositions au gaz CS – comme celles survenues durant « l’explosion sociale » (« estallido social » commencé le 18/09/2020 au Chili) – sont un grand facteur de risque pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux et le système gastro-entérite, autant pour les manifestants que pour les forces de l’ordre.

Le gaz CS (chlorobenzylidène malononitrile) est le composé des lacrymogènes qui provoque irritation et malaise, avec pour conséquences directes sur les manifestants et les passants des brûlures aux yeux, de la toux, des étourdissements et des maux de tête.
Il est également responsable de la génération de cyanure dans l’organisme humain, un composant chimique fortement toxique y potentiellement mortel.

Ce résultat scientifique est présenté par l’étude : « Utilisation du gaz lacrymogène CS : ses effets à plus ou moins long terme », publiée en Juin de cette année en France. Cette recherche a été mené par le docteur en biologie moléculaire, Alexander Samuel et par le président de l’Association de Toxicologie-Chimie de Paris aussi directeur honoraire de recherche du CNRS, André Picot.

De longues expositions au gaz CS, comme celles vécues lors des manifestations des « Gilets Jaunes » en France ou encore durant « el estadillo social » au Chili, pourraient avoir des effets irréversibles sur presque tous les organes du corps humain.

Les résultats de l’étude ont rapidement impacté l’opinion publique

L’Obs, l’hebdomadaire avec une des meilleures diffusion en France, a publié le 27 Juin un article titré : « Une étude pointe les graves dangers du gaz lacrymogène sur la santé » (voir aussi : article de l’obs) qui décrit les effets du gaz et dans lequel André Picot explique que « la majorité des études sur la nocivité des gaz ne sont pas accessibles car elles sont réservées pour les militaires », d’où l’importance majeure de cette étude qu’il caractérise même « d’utilité publique ».

La police française pour sa part n’a pas tardé à réagir. Vigi, un syndicat de policiers et fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, a publié une série d’articles et de communiqués alertant sur les risques du gaz CS, risques encourus autant par les manifestants que par les policiers eux-mêmes qui sont aussi exposés aux agents chimiques toxiques durant leurs entraînements et lors des manifestations. Le syndicat a même envoyé une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, l’alertant sur l’utilisation du gaz CS. (Voir : « Lettre ouverte á Monsieur Castaner sur la dangerosité des gaz utilisés lors du maintien de l’orde en France, pour la santé des personnes exposées »).

Au Chili, il y a eu également des réactions. Carabineros du Chili, dont les fonctionnaires utilisent le composé chimique CS dans les camions « canons à eau », dans les véhicules lanceurs de gaz mais aussi dans leurs cartouches et grenades, a tenu une réunion le 1er juin de cette année avec Alexander Samuel lui-même, le biologiste moléculaire co-auteur de l’étude, dans le but d’en savoir plus sur les conclusions de l’équipe française.

Interferencia a également contacté Samuel, qui a indiqué que le premier objectif de la réunion était «de leur expliquer qu’en tant que policier, ils devraient connaître leurs armes, puisqu’ils leur apprennent à être proportionnels dans leurs actions. Mais comment peuvent-ils l’être s’ils ne connaissent pas leurs armes et leurs conséquences ? ».
Le scientifique, qui assiste également aux manifestations en France en tant que manifestant, a ajouté que « s’ils comprennent à quel point leurs armes sont dangereuses, ils ne les utiliseront pas s’ils n’en ont pas vraiment besoin », qualifiant la réunion de « positive ».

Cyanure dans l’organisme des manifestants et des policiers. Et maintenant ?

Interferencia a contacté le service de communication des Carabineros du Chili pour en savoir plus sur leur dialogue avec l’auteur de l’étude et en leur demandant notamment si cet échange a déclenché des changements dans l’utilisation des gaz lacrymogènes comme moyen de dissuasion lors des manifestations et lors des sessions de formation. L’institution a assuré qu’elle utilisait ses armes dans le cadre de protocoles de contrôle de l’ordre public qui ont été mis à jour début 2019 – alors que les conclusions d’Alexandre Samuel n’étaient pas encore publiques – ajoutant que « l’utilisation ici est la même qu’au niveau mondial, en conformité avec les normes internationales ».

Bien qu’ils ne donnent pas l’apparence de réagir à ces nouvelles informations concernant l’impact sur la santé du gaz CS, le Département Communication de Carabineros indique que « l’institution innove constamment en matière de rétablissement de l’ordre public pour être cohérent avec le respect des Droits de L’Homme et la santé publique des citoyens, Carabineros inclus ».

Concernant ce dernier point, le 12 août, Interferencia a soumis une demande d’information et de transparence à Carabineros afin qu’ils soient tenus de détailler la méthodologie de la formation au maniement des grenades et lanceurs de lacrymogènes, cela pour connaître le niveau d’exposition au gaz CS des fonctionnaires pendant leur formation. Il a été spécifiquement demandé « si les fonctionnaires ont un contact direct avec le gaz et à quel point il est récurrent, en particulier pour les fonctionnaires des forces spéciales ».

Le Département de l’Information et du Lobbying a rejeté la demande parce qu’il s’agissait de « documents secrets », argumentant que la demande correspondrait à divulguer « des détails spécifiques des plans opérationnels, tels que l’utilisation, les modes de fonctionnement, les formes de déplacement, entre autres choses, ce qui représente un préjudice grave à la sécurité publique ».
Le refus de l’institution a motivé la présentation d’un recours devant le Conseil de la Transparence, toujours en attente de résolution. (Lire en PJ le refus de remise des informations de la part de Carabineros à la demande déposée par Interferencia concernant l’exposition des policiers au gaz CS lors de leur formation).

Il a néanmoins été possible de dialoguer avec une personne : l’avocat Daniel Soto, qui a été conseillé de l’institution Carabineros sur le sujet des Droits de l’Homme et qui dirige actuellement des cours à l’institution sur cette matière. Selon lui, « les recherches d’Alexander Samuel sont importantes pour déterminer les effets néfastes que ce gaz [CS] génère sur la population et sur les Carabineros qui l’utilisent ».
Cependant, l’avocat dénonce que la solution au discrédit croissant des citoyens envers les Carabineros ne passe pas nécessairement ou exclusivement par l’utilisation d’un moyen de dissuasion ou d’un autre. « Lorsque la société s’accorde sur les règles et les normes qui la régissent, la police peut maintenir l’ordre public », explique-t-il, « mais quand la discussion, telle qu’elle surgit à partir du 18 octobre, porte sur la légitimité de la loi, la légitimité de l’autorité, la police échoue, car c’est une question de nature politique, qui nécessite des solutions politiques et la force de l’État ne résoudra pas cela ».

Daniel Soto ajoute que le gaz « fonctionne et est socialement accepté à condition qu’il génère de l’irritation ou de la douleur chez les personnes pendant une période de temps très limitée et pendant que les gens sont exposés au gaz », donc « si les résultats sont différents, comme le suggère l’étude, c’est un moyen qui doit être remis en question ». L’avocat et professeur de Droits de l’Homme pour les Carabineros souligne également qu’il « n’avait encore jamais été vu au Chili une exposition intense, en termes de quantité, prolongée et permanente au gaz », ce qui rend le sujet d’étude proposé par les scientifiques français encore plus pertinent.

Dévoiler les dangers des armes utilisé pour le maintien de l’ordre public

Pour les manifestants, la police et les habitants des secteurs où les manifestations se rassemblent généralement, les résultats sont alarmants. « Une fois le gaz absorbé dans l’organisme, au cours de son métabolisme, du cyanure est libéré, provoquant des symptômes décrits par certains toxicologues et médecins comme des vertiges ou une perte de conscience », explique l’étude sur les effets immédiats du CS.
Concernant le moyen et le long terme, les scientifiques écrivent qu’une longue exposition au CS – et, par conséquent, une métabolisation importante du cyanure dans l’organisme – correspond à un « facteur de risque élevé pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux, la thyroïde, les systèmes gastro-intestinal et cardiovasculaire », en plus des effets psychologiques liés à l’utilisation d’armes qui provoquent des sensations d’étouffement et une extrême irritation.

Les conclusions de l’équipe scientifique française sont également étayées par une série d’études militaires antérieures, comme celle menée sur des soldats dans un camp d’entraînement nord-américain intitulé O-Chlorobenzylidene Malonontrile (CS Riot Control Agent) Associated Acute Respiratorty Illnesses in a U.S. Army Basic Combat Training Cohort, où il est indiqué que l’une des principales causes des consultations à l’hôpital des soldats des camps d’entraînement sont les maladies respiratoires graves, présentées après leur exposition au gaz CS. (Consultez ici l’étude en anglais sur l’effet du gaz CS sur les soldats nord-américains, publiée en 2014).

« Mon objectif finalement est de faire savoir qu’il existe des problèmes de santé associés à ce type de gaz», explique Alexander Samuel, « mais nous devons également réfléchir à leur efficacité ». Selon le scientifique, qui a complété son étude avec la collaboration d’un sociologue, d’un historien et d’un psychologue, l’utilisation de gaz lacrymogène peut même être contre-productive. « Si vous tirez une grenade lacrymogène a un groupe de cinq manifestants qui lancent des pierres, ils seront immédiatement rejoints par d’autres manifestants qui en réaction, se sentant agressés, vont aussi vous lancer des pierres. Vous vous retrouvez donc avec un groupe de 50 personnes à gérer au lieu de 5 initialement, et donc vous aller tirez encore plus de grenade lacrymogène… », précise-t-il.

Malgré la pertinence de ses découvertes, Samuel explique qu’il n’a pas été facile de mener cette enquête, se heurtant constamment à des pressions et il dénonce même avoir été arrêté. « J’ai été envoyé en prison trois fois l’année dernière, ils m’ont interrogé, ils ont détruit mes livres de biologie et de chimie après avoir perquisitionné ma maison. Ils m’ont gardé en détention pendant deux jours sous une fausse raison, puis à la fin ils m’ont dit : « c’était une erreur, tu es libre » ».
La persécution dont il a été victime l’a conduit à engager un avocat, qui travaille en collaboration avec l’Inspection Générale de la Police Nationale, une institution de police créée dans le but de contrôler les forces de l’ordre et le respect de leurs procédures.

En faisant abstraction de ces obstacles, Samuel et l’équipe à l’origine des découvertes sur la production de cyanure à la suite de l’inhalation et de l’absorption de CS continuent de travailler : ils sont sur le point de publier une nouvelle étude sur les impacts psychologiques de l’utilisation de ce gaz sur les manifestants et sur son efficacité à contrôler les troubles à l’ordre public.

Diego Ortiz, avec la collaboration technique de Pablo Ugalde, Docteur en Microbiologie et Biotechnologie de l’Université de Montpellier, publié le le 11/09/2020 dans Interferencia.cl

Professeur à l’École des Carabineros: « Le Corps des Officiers de la Police est-il responsable de l’usage de la force ? Oui »

Par Diego Ortiz, publié le 14/09/2020 dans Interferencia.cl

Lien vers l’article

L’avocat Daniel Soto a fait partie de l’équipe fondatrice du Département des Droits de l’Homme des Carabineros en 2011, ainsi qu’un de ses professeurs depuis 2012 et ancien conseiller de l’institution Carabineros sur ce sujet. Pour lui, le policier doit être le « principal agent de promotion des droits de l’homme » bien qu’ils puissent aussi devenir « le principal violeur des droits dont ils ont la charge ».

Depuis 2012, l’avocat Daniel Soto est professeur du cours Droits de l’Homme à Carabineros de Chile, ayant actuellement quatre Unités d’Enseignement sous sa direction avec plus de 70 étudiants au total. Il assure avoir une liberté académique absolue, ce qui peut être démontré à la lecture de ses réseaux sociaux, où il n’a aucun problème à se distancier de la position officielle de l’entité dans laquelle il travaille.

Un exemple récent est sa déclaration après que Mario Rozas, directeur général des Carabineros, ait déclaré dans une interview avec El Mercurio que « les généraux ont des responsabilités stratégiques et non opérationnelles, et cela doit être compris de cette façon ». Cette déclaration faisait suite aux accusations portées par le Contrôleur Général de la République contre sept membres du haut commandement de Carabineros pour leur responsabilité administrative dans les événements survenus lors de la flambée sociale d’octobre de l’année dernière.

Ainsi, Rozas a laissé entendre que les généraux de l’institution n’auraient aucune responsabilité en cas de violations des Droits de l’Homme. Soto semble en désaccord et ses arguments sont d’ordre légal.

À travers son compte Twitter, l’universitaire a publié un fil dans lequel il répond à la question suivante :  » Le commandement de la police est-il responsable de l’usage de la force ? » Pour l’avocat, la réponse est directe.  » Oui, dans la norme internationale, il est entendu que la responsabilité de l’usage de la force et des armes à feu incombe à ceux qui participent à un incident et aussi à leurs supérieurs respectifs », dit-il dans son tweet. (Voir https://twitter.com/DanielSotoM2/status/1305142616158277633 ).

La norme à laquelle se réfère l’enseignant des Carabineros – et qu’il cite dans son tweet – correspond au point 24 des «Principes de base sur l’usage de la force et des armes à feu par la FEHCL (Fonctionnaires chargés de l’application de la loi) », un principe qui a précisément été adopté, explique Daniel Soto, par l’institution policière chilienne.

Le 1er février 2019, les instructions sur l’usage de la force données à Carabineros ont été mises à jour, y compris le principe qui attribue la responsabilité à la fois aux «gouvernements et aux forces de l’ordre».

Daniel Soto s’est également entretenu avec INTERFERENCIA sur une étude scientifique française publiée par ce média où il est révélé que le gaz CS, un composant du gaz lacrymogène, est responsable de la production de cyanure dans le corps humain. Sur ce sujet, Daniel Soto va beaucoup plus loin que l’institution pour laquelle il enseigne.

Selon lui, le gaz ne devrait être utilisé « qu’à la condition de provoquer une irritation ou une douleur chez les personnes pendant une période très limitée et pendant que ces personnes sont exposées au gaz». Donc «si les conséquences de l’exposition au gaz CS sont différentes, comme le suggère l’étude française, c’est un sujet qui doit être revu ». (Voir https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de )

De l’autre côté, les Carabineros n’ont montré aucun signe d’une volonté de changer leur protocole, indiquant que l’utilisation de dissuasifs – y compris des grenades et des cartouches de gaz lacrymogène avec du gaz CS – « est la même au niveau mondial et est conforme aux normes internationales ».

Dans une nouvelle conversation avec cette rédaction (Interferencia), l’avocat Daniel Soto s’est penché sur les cours qu’il donne à Carabineros, en particulier sur un module créé après 2012 avec d’autres professionnels et policiers, et qui prend comme référence la jurisprudence et la bibliographie en vigueur aux Nations Unies et dans le système interaméricain des Droits de l’Homme.

Comment ressentez-vous l’accueil des Carabineros lorsque de vos cours sur les Droits de l’Homme?

Les disciplines juridiques en général ont un contenu politique. Parce qu’au fond, ce qu’ils font, c’est réguler les comportement de la société à certains moments. Donc, ce qui est expliqué aux étudiants, c’est que toutes les disciplines ont pour but de réglementer le bien commun à une époque historique spécifique, et conformément à la réglementation juridique et politique. Ce qui est souligné, c’est que dans les régimes démocratiques, la police fonctionne selon certains paramètres. Pour donner effet à l’état de droit, la police doit être soumise à certains paramètres ou conditions minimales définis par le droit interne et l’ordre juridique international. Un des sujets abordés au début était de mettre en évidence la propriété des droits, c’est-à-dire que la police est titulaire des Droits de l’Homme. Dans le cas d’organisations à caractère militaire telles que les Carabineros, les seuls droits limités du policier sont le droit d’association politique et syndicale. Mais le reste des droits, les Carabineros les ont tous, comme n’importe qui.

Bien sûr, mais les Droits de l’Homme sont violés précisément par des agents de l’État …

Lorsque nous parlons des Droits de l’Homme, nous parlons des obligations de l’État de garantir la vie et la dignité des personnes. Les Carabineros, les agents de l’État, sont des personnes : l’État a alors l’obligation de garantir leurs droits. Toutes les personnes, y compris les agents de l’État, sont titulaires de droits.

Mais, en même temps, ceux qui violent les droits de l’homme sont essentiellement des agents de l’État, n’est-ce pas ?

-Justement. Lorsqu’un individu enfreint la loi, il commet un crime. Lorsqu’un agent de l’État viole la loi, il commet un crime, et engendre également une responsabilité de l’État qui est ce qu’on appelle une violation des Droits de l’Homme.

Comment est la compréhension de ce phénomène dans l’institution ? Parce que les généraux et les anciens généraux ont été vus à la télévision plaider pour les Droits de l’Homme des Carabineros, dans une sorte de volonté de se poser aussi en victime de violation de cet ordre.

Il est à noter que la fonction de police est la première fonction de l’État visant à garantir le respect des Droits de l’Homme. Donc, si nous parlons de promoteurs des Droits de l’Homme, nous devrions toujours mentionner les policiers comme les premiers promoteurs de ceux-ci. Or, quel est le paradoxe qui apparait ? C’est que pour garantir les Droits de l’Homme et garantir l’application de l’état de droit, l’État a la possibilité de restreindre les droits des individus. Le policier a donc, tout d’abord, l’obligation de garantir les Droits de l’Homme du peuple, mais en même temps, il a le pouvoir de le priver de liberté et sa faculté de recourir à la force sont des pouvoirs qui restreignent les droits. Si cette restriction n’est pas conforme à la loi, elle génère une restriction illégale des droits, ce qui signifie en droit interne un crime et pour le droit international, une violation des Droits de l’Homme. C’est pour cela que le principal agent de promotion des Droits de l’Homme, s’il fait les choses mal, peut devenir le principal violeur des mêmes droits dont il a la charge.

Il est extrêmement important de souligner ce point car les Droits de l’Homme, d’un point de vue normatif, sont un sujet théorique, mais dans le domaine de la police, les Droits de l’Homme deviennent une question d’éthique. Pour moi, en particulier, le plus important est de traduire la norme en principe et les principes en éthique. En éthique policière. En d’autres termes, si les choses sont mal faites, les droits des gens sont violés. Si les choses sont bien faites, la liberté est garantie, ce qui serait la chose la plus importante dans une société démocratique.

Concernant la méthodologie de vos cours, utilisez-vous des cas particuliers comme base d’étude et faire le point sur les actions de la police avec vos élèves ?

Pour un enseignant des Droits de l’Homme comme moi, l’un des axes importants d’analyse concerne les cas qui ont été vus et résolus ou des cas controversés du système universel des Nations Unies ou du système interaméricain. Les études de cas dans le domaine académique sont toujours des problèmes très évidents ou très exagérés et très difficiles à résoudre. Ce sont les cas complexes, les cas controversés, les cas qui posent des dilemmes éthiques que nous essayons d’approfondir.

Vous faites des cours depuis longtemps, mais ces derniers temps et avec tout ce qui s’est passé dernièrement, avez-vous l’impression qu’il y a eu un changement dans l’accueil des étudiants ?

Je pense qu’il y a plus d’intérêt maintenant à discuter de ces questions et sous des angles différents. Il y a une expérience personnelle, c’est-à-dire que le 18 octobre 2019 (début de l’ « Estadillo Social » au Chili – N.D.T) génère de la peur, de l’incertitude chez tous les policiers. Ce sont des gens avec des familles, il y a une augmentation de la violence, une augmentation de la délégitimation. La délégitimation des organisations policières génère un danger, génère des problèmes de sécurité personnelle pour la police elle-même, ce qui est une question extrêmement importante. En d’autres termes, la question des Droits de l’Homme suscite beaucoup plus d’inquiétude que ce qui aurait pu exister auparavant, car on peut constater les conséquences directes de l’usage de la force. Le recours à la police est toujours une possibilité qui génère un impact négatif sur les citoyens, il n’y a pas de force inoffensive. Une personne à qui on dit que vous ne pouvez pas continuer à circuler, montrez-moi vos documents, c’est une restriction, elle se sent affectée, émotionnellement au moins. Il s’agit donc de dimensionner les conséquences de l’usage de la force d’une manière pratique.

Lors de l’examen des déclarations des généraux et des communications de l’institution, nous avons le sentiment que les plaintes et les cas de violations des Droits de l’Homme lors de la flambée sociale (depuis le 18 Octobre 2019) semblent être niés dans l’institution ou qu’ils ne sont pas pris très au sérieux. Pensez-vous que vos élèves ont une perception différentes sur ce qui s’est passé depuis Octobre ?

Je dirais qu’il y a une préoccupation légitime parce que ce que l’on fait en cours des Droits de l’Homme, c’est de mettre l’accent sur les aspects éthiques et l’éthique a pour conséquence une responsabilité, c’est-à-dire que vous prenez spécifiquement en charge ce que vous faites. Donc, d’après mon expérience, l’échange sur des questions controversées, c’est pour finalement déterminer ce qui était bien ou mal. Une bonne éducation signifie que vous devez mettre les gens en mesure de prendre des décisions. Si vous obligez les gens à s’engager émotionnellement dans une affaire et à prendre une décision pour se rendre compte ensuite qu’ils ont eu tort, dans une éducation qui fonctionne normalement, la personne se rend compte de l’utilité du contenu que vous enseignez. Donc en étant dans une classe où l’on examine un cas, où l’on débat, où l’étudiant peut proposer des points de vue différents, il ne me semble pas que cet étudiant puisse rester imperturbable dans sa pensée, figé dans sa réflexion. En d’autres termes, la règle générale est que cette personne puisse assumer les responsabilités juridiques, sociales et personnelles liées à ses futures activités professionnelles. Disons comme pour tout étudiant normal.

Par Diego Ortiz, publié le 14/09/2020 dans Interferencia.cl

L’histoire de l’avocat et professeur de droits de l’homme qui dérange les carabineros

Lien vers l’article

Une « clarification de la clarification » de Carabineros a été effectué par l’avocat et professeur Daniel Soto lui qui faisait partie de l’équipe fondatrice du Département des Droits de l’Homme des Carabineros en 2011, en plus d’être enseignant à l’institution, au moins jusqu’à lundi dernier.

Le conflit entre l’institution Carabineros et le défenseur légal a commencé après quelques publications faites par Soto sur ses réseaux sociaux, dans lesquelles il a remis en cause les déclarations du directeur général des Carabineros, Mario Rozas, sur la responsabilité du haut commandement dans l’utilisation de la force contre les manifestants.

Après cela, l’institution a voulu « clarifier » que l’enseignant ne faisait plus partie de l’école des Carabineros depuis 2019. Cependant, Soto a déclaré qu’il avait des cours à l’école des Carabineros jusqu’en 2018 et « jusqu’à aujourd’hui à l’Académie de Sciences de la Police. Aujourd’hui, ils m’ont demandé de signer une « démission » datée de vendredi dernier. »

L’avocat a assuré dans ses publications que «l’exercice du commandement rend le supérieur hiérarchique responsable non seulement de ses propres actes, mais aussi de ceux de ses subordonnés et impose un devoir élevé de précaution et de conservation des éléments matériels et humains».

L’ancien enseignant des Carabineros a souligné: «Le haut commandement de la Police est-il responsable de l’usage de la force? Oui, dans la norme internationale, il est entendu que la responsabilité de l’usage de la force et des armes à feu incombe à ceux qui participent à l’incident et aussi les supérieurs respectifs ».

Soto a souligné que cela fait partie du principe de responsabilité qui a été expressément incorporé par les Carabineros dans la circulaire Digcar 1832 de février 2019, qui a mis à jour les instructions pour l’usage de la force par les uniformes.

«… Ils recourent ou ont recouru à l’usage illicite de la force et des armes à feu et n’adoptent pas toutes les mesures à leur disposition pour empêcher, éliminer ou dénoncer un tel usage» (Principe 24 des Principes fondamentaux sur l’emploi Force et armes à feu par la FEHCL) », a-t-il ajouté.

L’avocat a déclaré à EL DÍNAMO que les Carabineros l’avaient informé pendant le week-end que le cours dans lequel il enseignait n’était plus d’actualité. « J’avais un contrat à l’Académie des Sciences de la Police qui s’étendait tout au long du premier semestre pour un cours régulier et pour le second trimestre, j’avais un cours spécifique, d’août à fin septembre. »

Cependant, l’institution lui a dit que, selon eux, ce cours spécifique avaient pris fin vendredi dernier donc son contrat prenait également fin.

«Ils m’ont dit que mon contrat avait pris fin vendredi, mais j’ai fini de publier des notes dimanche, pas vendredi. Il y a donc eu une résiliation anticipée », a ajouté le professeur Soto.

Interrogé sur sa perception de la situation, l’avocat a ri et a répondu: « Je dirais que cela coïncide avec certains commentaires sur les réseaux sociaux (…) je qualifierais cela d’inattendu. »

Il a soutenu qu’à aucun moment l’établissement n’avait confirmé que la fin de son contrat était due à ses déclarations, mais qu’ils ne lui avaient pas non plus donné plus de détails sur les raisons pour lesquelles son cours était interrompu prématurément ainsi que son contrat avec l’établissement.

«Personne ne m’a rien dit, je pourrais spéculer (…) Quel est mon sentiment ? C’est étonnant et cela coïncide avec ces commentaires d’ordre universitaire sur des questions controversées », a-t-il soutenu.

Le professeur invité

L’avocat a également révélé qu’au cours des conférences donnés par des invités extérieurs, entre juin et juillet dernier, un événement s’est produit qui a fortement retenu son attention et qui, selon lui, pourrait également expliquer son départ soudain de l’institution.

Ce cas précis correspond à la participation de Daniel Chernilo, docteur en sociologie de l’Université de Warwick et directeur du doctorat en Processus et Institutions Politiques Gouvernementales de l’Université Adolfo Ibáñez durant laquelle ce dernier aurait fait des commentaires qui «dérangeaient» l’institution.

«Cela a généré beaucoup de gêne chez les Carabineros. Ils ont présenté au directeur de l’académie leur mécontentement au sujet de cet invité. Ils leurs a semblé que c’était une personne qui n’aurait pas dû être invité parce qu’il avait des commentaires défavorables à l’institution », a déclaré Soto.

Compte tenu de cela, l’avocat s’est défendu en notant qu’il ne croyait pas qu’il devrait y avoir de la censure dans la sphère académique et que la position critique de l’invité était une bonne chose pour les étudiants afin qu’ils puissent se forger un argumentaire en réponse à ces attaques.

« Maintenant, ma position critique a peut-être généré une réaction similaire à celle produite par Chernilo », a déclaré l’ancien conseiller de l’institution.

L’avocat a conclu que ce qui l’avait le plus affecté dans cette histoire était qu’ils avaient mis en question le directeur de l’Académie des Sciences de la Police des Carabineros pour avoir autorisé cet invité controversé à s’y exprimer, alors que le directeur «est un gars honnête et décent, préoccupé par le domaine académique. et sa situation fut alors très inconfortable».

Les effets des gaz lacrymogènes : un problème de proportionnalité dans l’utilisation de la force

Daniel Soto, le 24/12/2020

Le problème posé par l’utilisation du gaz CS depuis la crise sociale provient de son utilisation fréquente en grandes quantités. Cela génère un effet indiscriminé qui peut être nocif pour l’environnement et avoir un impact sans distinction, tant sur les personnes qui commettent des actes violents, que sur celles qui participent pacifiquement à une manifestation, celles qui vivent dans la zone ou qui la traversent, et aussi sur le personnel de police lui-même.

Une étude récente basée sur des données d’urbanisme, réalisée par Forensic Architecture, un centre de recherche de l’Université de Londres, a conclu que les émissions toxiques générées en fortes concentrations dans le cadre du maintien de l’ordre public pouvaient gravement affecter l’environnement et la vie humaine. Deux questions au moins se posent donc : comment est-il possible que ce type d’arme soit autorisé, et que devraient faire les Carabineros face à ces allégations ?  

Le gaz lacrymogène est une arme chimique à usage policier, qui est normalement utilisée comme mécanisme de neutralisation pour les personnes violentes.

Le principal agent chimique utilisé par les Carabiniers du Chili, sous forme liquide, solide ou gazeuse, est le « Chlorobenzylidène malononitrile », mieux connu sous le nom de CS. Le CS est un gaz toxique, dont l’utilisation par la police est internationalement autorisée par la « Convention sur les armes chimiques » de 1993 [2], à condition qu’il ne soit utilisé qu’en temps de paix, comme « agent antiémeute » et dans la mesure où il produit une irritation ou des effets physiquement handicapants, qui disparaissent peu de temps après la fin de l’exposition à l’agent.

Le problème posé par l’utilisation du gaz CS depuis la crise sociale provient de son utilisation fréquente en grandes quantités. Cela génère un effet indiscriminé qui peut endommager l’environnement et avoir un impact sans distinction sur les personnes qui commettent des actes violents, celles qui participent pacifiquement à une manifestation, celles qui vivent dans la région ou qui la traversent après que la manifestation, et même sur le personnel de police lui-même [3].

Une étude menée par Alexander Samuel et André Picot [4] a suggéré qu’une exposition prolongée à de fortes concentrations de ce gaz peut avoir des effets durables qui peuvent affecter le cerveau, le foie, les reins, les yeux, la thyroïde, le système gastro-intestinal et cardiovasculaire, tant chez les manifestants que chez les policiers et les résidents des lieux où l’agent toxique est utilisé [5].

Étant donné que jusqu’à la crise sociale, l’utilisation du gaz CS était plutôt sporadique et en faibles concentrations et que, apparemment, la plupart des cas de blessures connus sont dus à ce changement des conditions d’utilisation, les Carabineros ont l’obligation de s’attaquer au problème en adoptant diverses mesures, telles que :

1) Étudier les recommandations internationales pour l’utilisation d’armes moins létales, en particulier le texte « Guidance on Less-Lethal Weapons in Law Enforcement » du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme publié en 2020.

2) Demander au Laboratoire de Criminalistique des Carabineros (Labocar) de publier un rapport technique sur le gaz CS qui prenne en compte l’analyse des échantillons recueillis sur le terrain, une revue de la littérature scientifique et des entretiens avec les auteurs de travaux récents.

3) Professionnaliser l’utilisation des éléments chimiques en concevant de nouveaux protocoles qui minimisent leur utilisation conformément aux normes des Droits de l’Homme, en évitant d’impacter ceux qui ne participent pas à des activités violentes et en interdisant l’utilisation directe d’aérosols ou de canons à eau contre les personnes, et en engageant des experts civils pour les unités qui utilisent des produits chimiques, personnes civils pouvant déterminer les concentrations du mélange et son utilisation appropriée dans les zones urbaines à des moments précis.

4) Mener des plaintes pénales et des enquêtes administratives pour chaque réclamation déjà effectuée concernant les dommages causés par le gaz CS et  OC, en informant le public de leurs résultats

5) Explorer de nouvelles techniques d’intervention utilisant une gamme plus large d’éléments de protection pour le personnel de la police et des armes / techniques d’intervention dont les résultats sont mieux connus et plus ciblés.

Les effets des gaz lacrymogènes : un problème de proportionnalité dans l’utilisation de la force

Selon la jurisprudence du système interaméricain, le principe de proportionnalité consiste dans le fait que la force doit causer le moins de dommages possible pour atteindre l’objectif souhaité [6] et son ampleur doit tenir compte à la fois de la gravité du crime et de l’objectif légitime poursuivi [7]. 

Ainsi, si la nocivité du gaz CS est inconnue et qu’il est utilisé de manière excessive, le principe de proportionnalité [8] établi par la norme des droits de l’homme pour l’application de la loi [9] serait violé.

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[1] Forensic Architecture. 20 de décembre 2020 : Tear gas in Plaza Dignidad. https://forensic-architecture.org/investigation/tear-gas-in-plaza-de-la-dignidad 

20 décembre 2020 : Interferencia. Lacrimógenas en Plaza Dignidad: investigación inglesa registró concentraciones 135 veces superiores a límite establecido por Carabineros. https://interferencia.cl/articulos/lacrimogenas-en-plaza-dignidad-investigacion-inglesa-registro-concentraciones-135-veces

[2] Artículo 7 de la Convención sobre la Prohibición del Desarrollo, la Producción, el Almacenamiento y el Empleo de Armas Químicas y sobre su Destrucción, de 1993 (Decreto Supremo 1764 de 2 de diciembre de 1996 del Ministerio de Relaciones Exteriores).

[3] Bureau du Haut Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l’Homme 2020. Guidance on Less-Lethal Weapons in Law Enforcement. Genève : UNHROHC, páginas 31-32.

[4] Samuel Alexander, André Picot. 2020. L’utilisation du gaz lacrymogène CS, ses effets à plus ou moins long terme. Paris: Association de Toxicologie-Chimie de Paris.

[5] Rothenberg, C. et. al. 2016. Tear gas: an epidemiological and mechanistic reassessment. Annals of the New York Academy of Sciences, 1-12; Schep, L. et. Al. 2015. Riot control agents: the tear gases CN. CS and OC – a medical review. J R. Army Med Corps. 161(2) 94-9; Haar et. al. 2017. Health impacts of chemical irritants used for crow control: a systematic review of the injuries and deaths caused by tear gas and pepper spray. Public Health 17: 831; Kaszeta, D. 2019. Restrict use of riot-control chemicals. Nature 573: 27-29.

[6] Caso Hermanos Landaeta Mejías y otros vs. Venezuela (2014): Corte Interamericana de Derechos Humanos, 27 de agosto de 2014 (excepciones preliminares, fondo, reparaciones y costas), párr. 136.

[7] Corte IDH. Caso Hermanos Landaeta Mejías y otros vs. Venezuela, Op. Cit. párr. 136.

[8] Corte IDH. Caso Nadege Dorzema y otros vs. República Dominicana, op. cit., párr. 87; Corte IDH. Caso Hermanos Landaeta Mejías y otros vs. Venezuela, op. cit., párr. 130; Caso Tarazona Arrieta y otros vs. Perú (2014): Corte Interamericana de Derechos Humanos, 15 de octubre. de 2014 (excepción preliminar, fondo, reparaciones y costas), párr. 162.

[9] Gaggioli, G. 2017. L’usage de la force dans les conflits armés. Le paradigme de la conduite des hostilités et du maintien de l’ordre. Genève : CICR.

Responsabilité du commandement de la police : ce qui se cache derrière le ton dur du directeur général du PDI

Daniel Soto M.
22/01/2021 – 06:00

Héctor Espinosa a adopté une attitude agressive qui, du point de vue de la législation régissant le travail de la police, ressemble davantage à une réaction défensive. Ceci alors que ses actions personnelles dans la méga-opération ratée de Temucuicui peuvent être remises en cause sur le plan juridique et éthique.

Héctor Ángel Espinosa Valenzuela est une personnalité publique qui a suscité l’admiration à l’intérieur et à l’extérieur de la police civile pour la défense de sa corporation, mais qui a récemment mis le monde politique mal à l’aise tant par sa proximité avec le gouvernement que par ses invectives contre les autorités qui ont mis en cause les abus policiers dans l’opération Temucuicui.

La facette policière sévère et rigoureuse contraste avec la difficulté institutionnelle à clarifier les rumeurs sur d’éventuelles improvisations qui ont affecté l’opération de saisie massive (drogue et armes – NDT) et se heurte à l’absence absolue de reconnaissance des responsabilités de ceux qui étaient en charge d’une intervention qui a coûté la vie d’un détective et a généré une douzaine de blessés dans leurs propres rangs.

Qu’est-ce qui se cache derrière le ton dur et le manque d’autocritique d’Espinosa ? Quels reproches juridiques pourraient être adressés au directeur général pour sa responsabilité de commandement dans la mort du sous-inspecteur Luis Morales Balcázar ?

Selon le chef de la police lui-même, la procédure du 7 janvier 2021 était prévue plus de six mois à l’avance, mais son exécution a été décidée à la hâte car le délai de l’ordre émis par le parquet d’Araucanía était sur le point d’expirer.

Le but principal de cette intervention aurait été la saisie de la production de marijuana et des biens liés à celle-ci. Pour ce faire, 850 détectives de différentes spécialités et équipes de tout le pays ont été réunis et 200 véhicules de tous types ont été utilisés, dont un nombre indéterminé de véhicules blindés, plus un hélicoptère institutionnel.

Il a apparemment été jugé inutile de vérifier auprès d’autres sources les caractéristiques de l’organisation criminelle présumée et il a également été jugé inutile de demander le soutien des Carabineros locaux du fait que l’utilisation massive de ressources devait assurer le succès de l’opération.

Cependant, le déploiement aurait rencontré des obstacles imprévus dès le début et jusqu’au retrait des détectives qui, selon des sources policières, ont reçu des tirs d’armes longues à hauteur d’homme dont les points d’origine n’ont pu être identifiés. Une colonne entière de détectives a été prise au piège et une centaine d’entre eux n’ont pu échapper à une mort certaine que par l’intervention improvisée d’une trentaine de policiers.

Sur la douzaine de lieux visés, la police d’investigation n’a pu en pénétrer que cinq, où elle a saisi 1 277 plants de marijuana, 40 kilos de marijuana transformée, 12 millions de pesos en espèces (13 000 € environ, salaire minimum au Chili environ 300 €) et sept armes à feu. Les pertes pour la police d’investigation sont les suivantes : un mort, une douzaine de blessés, 30 véhicules impactés par balles et un hélicoptère immobilisé, sans compter les frais de transport et de déplacement du personnel, ni l’atteinte à la réputation découlant, entre autres, des allégations de mauvais traitements infligés à plusieurs jeunes filles indigènes Mapuches. Sur le terrain, le procureur, le directeur général et le sous-secrétaire de l’intérieur ont justifié le calendrier et les résultats de l’opération.

Interrogé sur les éventuels abus et erreurs de planification de la police, le directeur général Espinosa a nié, avec un agacement non dissimulé, que des violations des Droits de l’Homme aient été commises à l’encontre des jeunes filles mapuches et a argumenté que le contingent policier a été surpris par la puissance de feu écrasante d’une organisation criminelle jusqu’alors inconnue dont les membres opéraient en parfaite coordination.

Les explications et contre-explications du directeur général ont été critiquées comme étant prétentieuses et inadéquates, mais ont également suscité des doutes quant à leur cohérence et à la possibilité que le ton dur ait été destiné à éviter de mettre en cause la responsabilité de son commandement dans ce que beaucoup décrivent comme une catastrophe policière.

Selon la définition du Statut du Personnel de la Police d’investigation chilienne, le commandement est l’autorité d’un chef sur ses subordonnés et son exercice lui impose « l’obligation d’assumer ses responsabilités et attributions dans leur intégralité, et celles-ci ne peuvent être éludées ou transférées à des subordonnés » (article 49 de la LDF n° 1 du ministère de la défense de 1980).

Alors, quelles seraient les obligations dont Héctor Espinosa devrait s’occuper ? En tant que directeur général, il devra répondre des conséquences de l’exercice du commandement et de la direction supérieure, de la direction et de l’administration de la police d’investigation du Chili (article 9 du décret-loi n° 2.460 de 1979, loi organique de la police d’investigation du Chili et article 23 du décret 41 du ministère de la défense de 1987, règlement organique de la police d’investigation du Chili). Il lui incombe donc d’assurer la prise en charge de l’ensemble de son personnel et la préservation de tous les éléments matériels de l’institution.

Les contours du commandement de la police sont définis par les règlements internes et l’éthique institutionnelle et exigent que ceux qui l’exercent assument la responsabilité de leurs propres actions ainsi que celles de leurs subordonnés.

Dans des cas similaires à ceux de Temucuicui, dans lesquels des membres du personnel de commandement sont également décédés à la suite d’ordres supérieurs, la discussion pénale a consisté à déterminer si ces ordres devaient être considérés comme un manque de prévoyance ou de prudence, ou plutôt comme le produit d’un concours de volontés qui a intentionnellement enfreint les devoirs de diligence inhérents à l’exercice du commandement, en acceptant, dans la pratique, les conséquences d’accidents mortels ou d’agressions.

C’était le débat lié à la responsabilité des commandants militaires qui, en 2005, ont causé la mort de leurs subordonnés, respectivement dans une crevasse en Antarctique et dans une marche fatale à Antuco. Dans les deux cas, la discussion a consisté à déterminer s’il y avait culpabilité et, par conséquent, un quasi-crime d’homicide ou, alternativement, une malveillance préméditée et les commandants militaires devraient être punis pour l’homicide de leur personnel.

Dans la culture policière et militaire, on considère que les opérations à risque ne peuvent pas être exposées à des scénarios imprévus. On peut même supposer que des décès peuvent survenir, mais il n’est pas admis qu’ils puissent être dus à des erreurs imprévues, et encore moins à une négligence de la part des commandants. Selon ce point de vue, si un chef de police expose maladroitement la vie de son personnel avec des résultats irrémédiables, ce comportement constituerait une violation des principes de commandement responsable et pourrait être qualifié pénalement d’homicide.

Conformément à ce qui précède, Héctor Espinosa Valenzuela pourrait non seulement faire l’objet de lourdes accusations pénales, mais devrait également être immédiatement tenu responsable des infractions disciplinaires découlant de la violation de ses devoirs de direction et d’administration, dans les termes prescrits par les articles 9, 10 et 22 du D. L. n° 1.460 de 1979. L. n° 1.460 de 1979, loi organique de la police d’investigation, raison pour laquelle, cette fonction étant de confiance exclusive du Président de la République, il devrait être révoqué conformément aux pouvoirs présidentiels de l’article 32 n° 10 de la Constitution Politique de la République.

  • Avocat, consultant en Droits de l’Homme et politiques de sécurité. Twitter : @DanielSotoM2

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Petite vidéo en bonus :

Et une autre vidéo dans une grande chaîne chilienne ; https://www.lared.cl/2020/programas/mentirasverdaderas/daniel-soto-coronel-la-gente-necesita-una-policia-que-respete-los-dd-hh-y-que-sea-respetable

Les Carabineros du Chili ont tiré 193.000 cartouches lacrymogènes et lancé 45.000 grenades lacrymogènes pendant la Révolte Sociale.

par Diego Ortiz

10/10/2020

Grenade lacrymogène CS et cartouche lacrymogène CS 37 mm

Les deux moyens de dissuasion – utilisés plus de 238 mille fois entre Octobre 2019 et Mars 2020 – ont comme principale agent actif le composé chimique CS qui, selon une étude scientifique française publiée par INTERFERENCIA (https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de), génère par son métabolisme du cyanure dans l’organisme. A titre de comparaison, c’est 1.200% de plus que lors des manifestations à Hong Kong pendant lesquelles, sur une durée de six mois également, 16.000 cartouches ont été percuté.

D’Octobre à Mars, les Carabineros du Chili ont utilisé 193.000 fois leurs carabines lacrymogènes de 37 millimètres et ont fait exploser 45.000 grenades lacrymogènes. Au total, ils ont utilisé cette dissuasion chimique 238 mille fois en 183 jours, selon les informations fournies par l’Institution Carabineros de Chile grâce à la loi sur la transparence. (Consultez ici la réponse de Carabineros de Chile à la demande d’information d’INTERFERENCE concernant l’utilisation de gaz lacrymogène).

Ces chiffres, bien que vertigineux, ne sont pas facile à appréhender. Pour mettre les choses en perspective, au cours de ces six mois d’Octobre à Mars, les Carabineros ont utilisé en moyenne 1.300 armes lacrymogènes par jour. En comparaison, la police de Hong Kong, selon le média chinois The Standard, a tiré 16.000 cartouches de gaz CS en six mois, 12 fois moins que les 193.000 tirs des Carabineros au cours de la même période. (Consultez l’article en anglais du média chinois The Standard, intitulé 2.393 étudiants arrêtés depuis Juin; 16.000 cartouches de gaz lacrymogène tirées: https://www.thestandard.com.hk/breaking-news/section/3/138217/2,393-students-arrested-since-June;-16,000-rounds-of-tear-gas-fired).

Le mois qui a vu le plus de gaz lacrymogène dispersé dans les rues chiliennes a été celui d’Octobre 2019, malgré le fait que les manifestations massives n’ont commencé que le 18 de ce mois. A partir de cette date et pendant seulement deux semaines, 61.024 cartouches de 37 mm ont été utilisé et 17.022 grenades à main ont été lancé soit en moyenne un peu moins de 5.500 agents de dissuasion chimiques par jour (la moyenne n’est pas exacte car il y a eu des manifestations où les gaz ont été utilisés à moindre échelle, principalement contre les lycéens). 

Le mois de Novembre a connu un niveau similaire d’utilisation des cartouches de lacrymogènes, avec 60.082 tirs, mais  une baisse pour les grenades avec 5.253 unités lancées. 

Ensuite, jusqu’en Mars 2020, les Carabineros ont effectué une moyenne mensuelle de 18.208 tirs de carabine et 5.739 jets de grenades lacrymogènes.

Il est à noter que les deux armes chimiques contiennent du gaz CS – le chlorobenzylidène malononitrile -, un composant responsable des irritations et qui selon une étude française publiée par INTERFERENCIA se métabolise dans l’organisme en un composé chimique hautement toxique et potentiellement mortel, le cyanure.

Outre la toxicité que cet agent chimique implique tant pour les manifestants que pour les habitants des rues ou des places où ils sont utilisés – un risque aussi encouru par les forces de l’ordre eux-mêmes d’ailleurs – l’utilisation aveugle des cartouches à gaz de 37 mm représente également un risque mortel immédiat pour quiconque se trouvant sur sa trajectoire. Le cas de Fabiola Campillai en est un exemple : alors qu’elle se rendait au travail à la société Carozzi, Fabiola Campillai a été frappé en plein visage par une cartouche de gaz lacrymogène de calibre 37 tiré par un Carabineros. Les conséquences pour elle : perte de la vue, de l’odorat et du goût. Elle a dû subir plusieurs interventions chirurgicales en raison de ses blessures et séquelles, la dernière en date le mercredi 16 septembre 2020, près d’un an après que les Carabineros lui aient enlevés trois de ses cinq sens.

Les informations obtenues par cette rédaction s’ajoutent à celles qui ont été découvertes par CIPER Chile, qui grâce à la loi sur la transparence a obtenu le relevé d’utilisation des cartouches en plomb/caoutchouc en Octobre, Novembre et Décembre. En seulement trois mois, l’institution a tiré 152.000 fois avec ses fusils antiémeutes – chiffre atteignant même les 104.000 tirs au cours des deux premières semaines de la Révolte -, causant des blessures aux yeux à 340 personnes entre le 18 octobre et fin novembre 2019. (Consultez l’article de CIPER, Carabineros révèle qu’il a été tiré 104 mille balles au cours des deux premières semaines de la Révolte Sociale : https://www.ciperchile.cl/2020/08/18/carabineros-revela-que-disparo-104-mil-tiros-de-escopeta-en-las-primeras-dos-semanas-del-estallido-social/).

Les raisons du Juge qui a ordonné la suspension de l’usage du gaz lacrymogène :

Choques con el Esmad en Leticia

Publié le 01/11/2020 Section Justice de El Tiempo. Bogota, Colombie.

Le cinquième tribunal de Bogotá a ordonné à la police de cesser d’utiliser des armes chimiques telles que des gaz lacrymogènes. La décision fait partie des mesures pour faire face à la pandémie COVID.

Le juge s’est prononcé suite à une demande de protection déposée par un citoyen. Ce dernier revendiquait que le droit à la vie et à la santé soit protégé et que l’utilisation du gaz lacrymogène soit suspendue jusqu’à ce que le pays soit déclaré exempt de Covid ou que « le droit à un vaccin efficace soit garanti sans aucune discrimination fondée sur le sexe, la race, l’origine nationale ou familiale, la langue, la religion, l’opinion politique ou philosophique et le revenu socio-économique ».
Le tribunal a cité les effets de ce type de gaz et a souligné que « l’utilisation de ces gaz serait une combinaison très dangereuse dans un contexte de propagation du virus parce que leurs effets sur le corps humain dégradent les défenses antivirales des poumons. Le citoyen serait donc plus à risque et sa santé plus exposée en cas d’infection par la Covid « 
Il a également indiqué qu’étant donné l’effet du gaz sur les personnes, cela les forcerait à tousser, augmentant ainsi le risque de propagation du virus : « En ce sens, tout protocole standard sanitaire ou de biosécurité est mis en échec au moment même où ces agents chimiques sont utilisés ».
Bien que l’utilisation de ce type d’arme dépend de l’exécutif, la situation de la pandémie devrait conduire à d’autres types d’évaluations indique encore le juge.
Il a ajouté que l’utilisation « de ces agents chimiques affecte sans aucun doute la santé humaine, devenant interdite dans certains pays ou également dans certaines villes ».
« L’utilisation de ces agents chimiques qui visent à disperser la foule viole non seulement le droit fondamental à la santé de ceux qui participent à la manifestation, mais aussi celui des passants, des habitants et des travailleurs du secteur touché, qui ne devraient pas avoir à supporter le fardeau disproportionné d’être affectée, même temporairement, de leurs capacités sensorielles du fait de l’usage aveugle de cette substance », lit-on dans l’arrêt.
Dans sa décision, il a exhorté la Présidence de la République, le ministère de la Défense Nationale et la Police Nationale à « débattre sérieusement de la nécessité de maintenir l’utilisation d’agents chimiques ou de déterminer leur interdiction absolue ».
Il faut aussi considérer que « cela affecte non seulement les manifestants, les passants, les habitants et les travailleurs du secteur dans lequel la substance est dispersée, mais cela met également en danger la santé des membres de la police nationale, ce qui augmente le risque de souffrir de maladies professionnelles respiratoires et d’autres infections déjà observées. Qu’en est-il de la responsabilité éventuelle de l’État en cas de préjudice aux personnes ? ».
L’administration de Bogotá a répondu en déclarant que des progrès avaient été accomplis pour garantir le droit de protester dans le cadre des décisions ordonnées par le Tribunal Administratif de Cundinamarca et la Cour Suprême de Justice.
De plus, il a été rappelé que ce sont la Police, le ministère de la Santé et le ministère de l’Intérieur qui ont la compétence de se prononcer sur une suspension de l’utilisation d’armes chimiques par la brigade mobile anti-émeute « puisqu’ils obéissent aux politiques et directives des entités de niveau central susmentionnées et qui sont régies entre autres par des décrets, des résolutions, des politiques en dehors du district de la capitale ».
La Présidence de la République a indiqué que la demande est basée sur des hypothèses alors qu’il existe des protocoles établis et approuvés pour l’utilisation de ce type d’armes non létales.
Cependant, le juge a considéré que les entités n’avaient pas évoqué le risque ou non que l’utilisation d’agents chimiques implique lors de la pandémie engendrée par le virus SARS-CoV-2.